......
|
STRASBOURG
23/03/2007
(Le Rossignol)
© Alain Kaiser
Igor STRAVINSKY
LE ROSSIGNOL
CONTE LYRIQUE EN TROIS ACTES
Livret de Stepan Stepanovitch Mitousoff
et Igor Stravinsky d’après Hans Christian Andersen
ŒDIPUS REX
OPÉRA-ORATORIO EN DEUX ACTES
Livret de Jean Cocteau
d’après Sophocle traduit en latin par Jean Danielou
Direction musicale : Daniel Klajner
Chorégraphie et mise en scène : Lucinda Childs
Scénographie et costumes : Rudy Sabounghi
Lumières : Christophe Forey
LE ROSSIGNOL
Le Rossignol : Mélanie Boisvert (chant)
Christelle Molard - Sandy Delasalle (danse)
La Cuisinière : Isabelle Cals
Le Pêcheur : Kresimir Spicer
L’Empereur de Chine : Michael Schelomianski (chant)
Boyd Lau - Alexandre Van Hoorde (danse)
Le Chambellan : David Bizic
Le Bonze : Patrick Bolleire
La Mort : Nadia Bieber
Trois envoyés japonais :
Roger Padullés / Carlos Aguirre / Chae-Hoon Baek
Soprano solo : Karine Bergamelli
Alto solo : Simona Ivas
Ténor solo : Jian Wang
ŒDIPUS REX
Récitant : Claude Duparfait
Œdipe : Kresimir Spicer (chant)
Sylvain Boruel - Alain Trividic (danse)
Jocaste : Sylvie Brunet (chant)
Stéphanie Madec - Sybile Obré (danse)
Créon : David Bizic
Tirésias : Michael Schelomianski
Le Berger : Roger Padullés
Le Messager : Patrick Bolleire
Orchestre symphonique de Mulhouse
Ballet de l'Opéra national du Rhin
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Direction des Chœurs : Michel Capperon
Nouvelles productions
Strasbourg, Opéra, 23 mars 2007
|
Lisse, trop lisse
Lucinda Childs n’est pas une inconnue à l’Opéra du Rhin (elle vint notamment en 2004 pour Le Mandarin merveilleux
de Bartok) et signe ici, en plus de la chorégraphie de ces deux
ouvrages de Stravinsky, la mise en scène, activité pour
laquelle elle manifeste de plus en plus d’intérêt.
Le résultat n’est hélas pas à la hauteur des
espérances, ne serait-ce que par la nature des œuvres qui
n’appelle pas forcément la danse (il s’agit pour Le Rossignol d’un « Conte lyrique », et pour Oedipus Rex
d’un « opéra-oratorio »), la parade
étant ici de doubler certains des chanteurs par des danseurs.
Quant à la mise en scène elle-même, si elle affiche
de beaux atours pour Le Rossignol, elle passe, nous semble-t-il, à côté d’Oedipus Rex.
(Le Rossignol)
© Alain Kaiser
Lucinda Childs se montre en effet plus à l’aise avec le conte de fées que constitue Le Rossignol :
de très belles images (la barque du pêcheur, les immenses
lanternes du palais de l’Empereur de Chine, le Rossignol, toutes
plumes dehors survolant la scène etc.), de superbes
éclairages, de beaux moments de danse. La poésie de
l’ouvrage est bien là, mais un côté lisse
fait que la sauce ne prend pas, l’ensemble ne passionne
guère.
Pour Oedipus Rex, ouvrage bien
plus audacieux, bien plus noir et dur, on retrouve le même
côté lisse mais on est alors dans le contresens. Il
s’agit là d’une tragédie extrêmement
sombre et âpre (la peste qui terrasse la cité de
Thèbes, la prise de conscience par Œdipe de son inceste et
son parricide, le suicide de Jocaste, le départ
d’Œdipe, les yeux crevés...) et nous ne voyons sur
scène que des couleurs chatoyantes (dans les tons rouges, tout
de même), une chorégraphie « ronde »
et plutôt sage dans un dispositif scénique repoussant le
chœur - au rôle pourtant essentiel - le plus souvent
à l’arrière de la scène pour ne laisser
qu’un étroit espace aux danseurs. Les chanteurs, quant
à eux, sont hissés en haut de colonnes, telles des
statues. Le narrateur se retrouve tout au fond, également en
hauteur, sur une passerelle traversant l’espace scénique.
Ses entrées et ses déplacements, toujours les
mêmes, finissent par lasser. Les références
à l’antiquité sont un peu grosses (les
colonnes statues, les masques des chanteurs - assez peu
esthétiques) et ne convainquent guère.
Les personnages de Jocaste et Œdipe sont doublés par les
danseurs, compensant ainsi l’absence totale de
déplacements auxquels les chanteurs sont contraints,
perchés sur leurs colonnes. Mais là encore, on
n’arrive pas à se passionner pour la chorégraphie,
tout comme pour celle destinée aux groupes, tout aussi lisses,
alors que la musique est parfois on ne peut plus anguleuse.
On remarquera en outre quelques incongruités telle Jocaste se
retrouvant seule sur sa colonne alors qu’elle s’adresse
à Œdipe et Tiresias ou Œdipe-danseur repoussant
Jocaste-danseuse alors que c’est en principe Jocaste qui fuit
Oedipe. Le chœur quant à lui semble bien seul et statique
à la fin de l’ouvrage alors qu’il évoque des
moments particulièrement « grandioses » et
tragiques (Jocaste se pendant, Œdipe se crevant les yeux puis
fuyant) qui trahissent finalement une certaine inadéquation
entre le monde de cette tragédie et celui de Lucinda Childs. La
noirceur et la grandeur de l’œuvre passent ainsi
complètement à la trappe au profit d’un aspect
décoratif tout à fait hors de propos.
(Oedipus Rex)
© Alain Kaiser
Heureusement,
nous sommes bien plus comblés musicalement, tout d’abord
du fait d’une excellente direction d’orchestre de Daniel Klajner,
le patron de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse depuis 2005,
auquel il a fait faire de sensibles progrès : la preuve ce
soir par une très bonne tenue de l’orchestre dans des
partitions exigeantes. On retiendra notamment de très beaux
vents (trompettes, clarinettes et un excellent timbalier dont le
rôle est capital dans Oedipus Rex). Quant au chef, il exalte la partition d’Oedipus Rex dont
il sait superbement mettre en valeur les angles vifs, la
crudité, le rythme parfois trépidant et l’aspect
percussif. On est emporté par la tornade dès les
premières notes, tandis que le chœur final est
époustouflant. Les chœurs de l’Opéra du Rhin,
sérieusement renforcés pour l’occasion, sont en
effet sensationnels dans Oedipus Rex (alors que curieusement, ils sont ternes dans Le Rossignol).
On notera également l’extrême attention que Daniel
Klajner porte aux chanteurs : il est ainsi capable de
régler les moindres décalages entre fosse et plateau
(sans doute du fait du dispositif scénique qui relègue
les chanteurs en hauteur ou/et assez loin de l’orchestre) ce qui
en fait un vrai chef d’opéra.
La distribution est solide et réserve de splendides moments, telles Mélanie Boisvert, excellente en Rossignol, ou Isabelle Cals en Cuisinière. On retrouve la plupart des autres chanteurs dans Oedipus Rex. Kresimir Spicer campe ainsi un fier Œdipe (alors qu’il est un bien peu convaincant Pêcheur dans Le Rossignol)
du fait d’un chant superbe dans le medium (mais les aigus sont
tendus et peu agréables) et d’une incarnation
extrêmement vivante et soignée qui ferait presque penser
à Philip Langridge ou Anthony Rolfe-Johnson dans certaines
inflexions (un futur Peter Grimes ?). Les voix graves sont
à l’avenant (Créon de David Bizic, Tiresias de Michel Schelominaski, Messager de Patrick Bolleire, solides et sonores comme il se doit) tout comme le très beau Berger de Roger Padullès, une des Jeunes Voix du Rhin présentes dans ce spectacle.
Mais que dire de la Jocaste de Sylvie Brunet
sinon que la chanteuse nous gratifie encore une fois d’une
incarnation et d’une ligne de chant magistrales ? Ce
rôle court mais difficile, tant dans la tessiture que dans les
mélismes mélodiques, Sylvie Brunet le maîtrise
parfaitement, des aigus aux graves (fort sollicités !), du
pianissimo au fortissimo, de la douceur à la virulence
qu’exige sa partie. Les phrases sont magnifiquement
modelées, notamment celles qui se terminent pianissimo. Quel
dommage que la chanteuse ait été juchée sur cette
colonne, il est à parier que ses talents d’actrice
auraient rendu son apparition encore plus mémorable et forte si
elle avait pu bouger... Félicitons-là donc d’autant
plus qu’elle nous a donné le frisson ce soir. Chapeau
Madame.
Le Narrateur de Claude Duparfait,
un habitué du Théâtre National de Strasbourg
voisin, s’il affiche une voix d’une parfaite clarté
et d’une non moins parfaite élocution qui lui permettent
d’être audible malgré son éloignement,
manque, à notre goût, de poids. Que n’a-t-on choisi,
par exemple Jean Lorrain, l’un des récitants de la
magnifique Jeanne au bûcher
que nous pûmes entendre à Strasbourg il y a quelques
mois ? La gravité et la grandeur de la tragédie en
auraient été accrues, et c’est bien ce dont avait
besoin cet Oedipus Rex qui en manquait cruellement.
Bien que nous n’en ayons été, pour la plupart, que
des téléspectateurs, des productions aussi abouties que
le Ring de Boulez-Chéreau ou l’Oedipus Rex
de Ozawa-Taymor n’en ont pas moins marqué nos esprits. Et
chaque fois que ces ouvrages sont à l’affiche dans nos
opéras, nous ne pouvons oublier ces images monumentales, ces
moments grandioses qui hantent nos mémoires. Et pourtant,
l’Opéra du Rhin nous a offert il y a deux mois un sublime Rheingold qui a réussi à nous captiver tout autant que celui de Chéreau. Mais en ce qui concerne Oedipus Rex, nous resterons fidèles à la vision étouffante et stupéfiante de Julie Taymor qui a su saisir toute l’horreur du drame de Sophocle magnifié par la musique de Stravinsky.
|
|