On ne
se bousculait pas à la Bastille pour cette première reprise
d'une des plus belles créations de l'ère Gall : places libres
en grand nombre, même parmi les moins chères.
Un manque de curiosité regrettable
d'autant que la distribution actuelle n'est pas indigne de celle proposée
en 2002.
Olga Guryakova, que nous avons entendu
dans les diverses éditions de "Guerre et Paix", succède à
Renée Fleming pour le rôle titre. La chanteuse américaine
brûlait les planches, imposant son rayonnement sur un plateau qu'elle
dominait de son charisme : des moyens imposants, un timbre unique, une
évidente identification au personnage... mais aussi pas mal de maniérisme.
Le soprano russe n'a certes pas les
mêmes moyens : ici, pas d'étalage de somptuosités vocales,
mais une belle voix saine et franche. Surtout, son interprétation
est plus discrète, plus humble, et finalement très touchante.
Le public ne s'y trompe pas qui lui réserve une belle ovation.
© Copyright : Opéra
de Paris
Sergei Larin devait reprendre son interprétation
de 2002 : le ténor letton semble malheureusement dans une très
mauvais passe et nous ne pouvons que souhaiter le prompt rétablissement
de ce bel artiste.
Miro Dvorsky le remplace pour cette
série, Stuart Skelton, la doublure officielle, se contentant des
2 représentations initialement prévues (une sage décision
comme nous allons voir). Ce jeune ténor australien est une heureuse
surprise : la voix est saine, bien conduite, très homogène
sur la tessiture ; en revanche, le volume vocal est encore insuffisant
pour une salle impitoyable comme Bastille et l'artiste fatigue sur la fin,
savonnant discrètement un aigu. Si le chanteur est encore un peu
jeune pour aborder sans risque une série complète de représentations,
il n'en reste pas moins un artiste à suivre.
Larissa Diadkova succède à
elle-même dans le rôle de Jezibaba ; voix puissante, timbre
de bronze, graves outrageusement poitrinés : ce n'est pas exactement
du plus exquis raffinement mais c'est efficace.
Franz Hawlata reprend lui aussi son
rôle : le chanteur n'appelle pas de réserves majeures, j'ai
même trouvé son Ondin plus touchant et mieux conduit vocalement
qu'en 2002.
Passons rapidement sur les autres rôles,
corrects sans plus.
Anda Louise Bogza est une Princesse
très sonore mais peu sensuelle. Sergei Stimachenko (baryton basse)
succède à Michel Sénéchal (ténor). Choix
peu concluant : on y perd en vis comica et en diversité des timbres.
Karine Deshayes est un travesti attachant.
Enfin, les trois nymphes chantent
remarquablement... quand on les entend. L'un des défauts de cette
reprise, commun avec la création de 2002, c'est que les chanteurs
les moins puissants sont souvent couverts par l'orchestre.
La direction de Jiri Belohlavek est
correcte mais sans génie particulier : on cherchera vainement une
communion avec la poésie de l'ouvrage.
La mise en scène de Robert Carsen,
amplement commentée en 2002 est
toujours aussi spectaculaire visuellement. Le metteur en scène canadien
et son décorateur attitré savent construire des images fortes,
aux sens multiples, qui soutiennent une approche psychanalytique un peu
réductrice.
Placido CARREROTTI