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NANCY
29/01/2008
Maîtrise de Caen & Philippe Jarousski
© Sylvain Guichard
Stefano Landi (1586-1639)
IL SANT'ALESSIO
Drame sacré en un prologue et trois actes de Giulio Rospigliosi
créé le 23 février 1632 (ou en 1631?) au Palazzo Barberini de Rome
Mise en scène, Benjamin Lazar
Costumes, Alain Blanchot
Scénographie, Adeline Caron
Lumières, Christophe Naillet
Chorégraphie, Françoise Denieau
Alessio : Philippe Jaroussky
La Fiancée : Max Emanuel Cencic
Eufemiano : Alain Buet
La Mère : Xavier Sabata
Curzio : Damien Guillon
Marzio : José Lemos
Le Démon : Luigi De Donato
Adrasto : Ryland Angel
La Nourrice : Jean-Paul Bonnevalle
Le Messager : Pascal Bertin
Rome, La Religion : Terry Wey
Une Voix du Chœur : Ludovic Provost
Un ange (en alternance) : Benjamin Hiraux, Pierre-Alain Mercier,
Hans Emmanuel Banim
La Maîtrise de Caen (chœur d’enfants) préparation, Olivier Opdebeeck
« Les Arts florissants », Chœur et Orchestre
Préparation du Chœur, François Bazola
Clavecin et Asistant musical, Benoît Hartoin
Clavecin, orgue, régale et direction, William Christie
Opéra national de Nancy et de Lorraine, 29 janvier 2008
Coproduction Théâtre de Caen, Opéra national de Nancy et de Lorraine,
Théâtre des Champs-Elysées, Grand-Théâtre de la Ville de Luxembourg,
Grand-Théâtre de Genève
Décors et Costumes réalisés par les Ateliers de l’Opéra national de Lorraine
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Mode ou passion ?
Deux heures de spectacle ininterrompu (on
« collait » prologue, actes I et II), un public
curieusement captivé et sage comme une salle vide… alors
que l’Opéra de Nancy voyait ses mille et quelques places
prises d’assaut, étaient les conditions attendant le
spectateur pour cet opéra avant la lettre.
Il faut bien le dire, ce genre de musique ne nous est pas
éloigné que temporellement (1632 !), mais
l’on est tenté –avec certes une pointe de mauvaise
foi- de faire la comparaison avec le cinéma muet qui,
malgré sa grande vogue, fut délaissé lorsque le
parlant fut mis au point. Endurer ainsi ces longs moments de chant
accompagné seulement par la sécheresse d’un ou deux
clavecins, est une épreuve que l’on ne souhaite pas
connaître en se rendant à l’Opéra…
mais celui du reste qui l’a endurée, ne dira plus rien
contre l’orchestre dépouillé du pauvre Bellini.
La volonté de mettre le malheureux spectateur sous le joug
d’une première partie de spectacle cumulant deux heures
(!) alors que le troisième acte ne dure que 35’,
n’arrange pas les choses… Etait-ce une manière de
faire passer la pilule ? ou voulait-on empêcher les gens de
partir ?
De ce côté-là, il n’y avait pas de danger,
tant le public venu de partout et pas seulement de France, retenait son
souffle, si bien qu’une malheureuse spectatrice vit ainsi
amplifier le bruit du bonbon qu’elle ne finissait pas de
déballer ! Comme il était plaisant de constater que
parmi les spectateurs indignés se dressant sur leur siège
vers le bruit sacrilège venant d’une loge au-dessus
d’eux, se trouvait un monsieur, jeune encore, qui un instant plus
tôt, dormait du sommeil du juste, la tête appuyée
contre le muret de la loge en question, la bouche ouverte et même
pas troublé lors de l’entrée des démons
agitant une retentissante crécelle ! On repense
immanquablement au mot de Rossini, répondant à un
dignitaire s’étonnant d’un formidable coup de grosse
caisse prévu dans la partition de son Elisabetta regina d‘Inghilterra,
il me semble : « Mais, c’est pour
réveiller tous les … qui
dorment ! ». Comment ne pas repenser non plus à
cette euphorie du public, durant une représentation de
L’Incoronazione di Poppea dans ce même Opéra,
à cause cette dame qui ronflait au milieu des fauteuils
d’orchestre, sans que personne n’osât dire quoi que
ce soit. Ne voilà-t-il pas que la confidente de Poppea lui donne
la tendre injonction de se laisser aller à un sommeil
réparateur, avec les douces paroles de « Dormi,
dormi !… », impératif italien à
une époque dépourvue de surtitrages, mais pourtant assez
proche du français pour être compris et goûté
de tous les spectateurs : c’est cela aussi,
l’opéra !
Cela dit, il serait dommage de laisser l’ennui occulter à la fois l’originalité de Landi
et l’excellence de la réalisation. Lorsque les clavecins
se taisent enfin, et que le récitatif prolongé se fait
arioso, on atteint à une autre expressivité.
Ainsi, l’harmonie oubliée se dégageant de
l’union de la voix et d’instruments à cordes
pincées (pizzicati des
violons, théorbe et autres guitares du temps passé)
procure des moments de grâce véritable.
L’accompagnement de l’orgue, inattendu à
l’opéra quand il n’y a pas de scène
d’église, est employé dès que les paroles ou
les personnages qui les prononcent s’élèvent
au-dessus du commun et il s’intègre ici fort bien à
l’atmosphère de drame sacré plutôt que
passionnel. La flûte à bec, évoquant celle des
bergers d’autrefois, ainsi que le son des cordes à
l’ancienne, heureusement pas trop aigre, ajoutent une touche
agreste de délicatesse complétant
l’atmosphère produite par les instruments
hérités du Moyen Age.
L’aspiration à l’ascétisme du personnage
principal Alessio, comme ses souffrances ou celles de ceux qui
l’aiment, trouvent chez Landi une profondeur d’expression
malgré – ou par- ce dépouillement et cela
malgré la longueur et la monotonie pénibles dont nous
parlions plus haut. Ajoutons à cela la riche présence du
« grotesque » aux côtés du
« sublime », selon l’expression de Victor
Hugo. Ce qu’il admirait chez Shakespeare, tout comme Verdi qui
mélangera également les genres, et notamment dans La Forza del destino,
se retrouve dans les personnages des deux pages qui commentent avec
ironie la vie de la maisonnée, et n‘hésitent pas
à prendre le démon à partie, sans le
reconnaître mais percevant avec une comique espièglerie
apeurée mais sagace, l’étrangeté du
personnage déguisé. Cette nuance n’est pas
seulement dramatique mais musicale, même si
l’interprétation force la main à Landi, pour ainsi
dire, accentuant les moments de grotesque par des coups brusques, et
les rares passages joués en forte de l’exécution.
Max Emanuel Ceneci, Philippe Jarousski, Xavier SAbata, Alain Buet
© Nathaniel Baruch
La distribution entièrement masculine affichait notamment huit contre-ténors ! La notoriété de Philippe Jaroussky va
jusqu’à faire dire, le soir de son forfait à cause
d’une indisposition, à un spectateur frustré :
« J’ai payé pour voir P.
Jaroussky ! » (l’intransigeant aurait
plutôt dû, sa déception passée, tirer son
chapeau à l’Opéra de Nancy qui avait réussi
à trouver en remplacement un neuvième
contre-ténor). Il faut dire que son timbre est pur, et
d’une pureté que bien des mezzos pourraient envier…
La douceur de son inflexion, frôlant le maniérisme mais
demeurant expression délicate, donne toute sa dimension au
personnage éthéré. Ses sept collègues
alignaient leur talent non inférieur, avec un naturel et une
assurance (dans l’émission) stupéfiants.
Par moments, la fiancée d‘Alessio, interprétée par un superbe Max Emanuel Cencic, semblait réellement une femme, par la couleur du timbre et les inflexions caressantes. Xavier Sabata, dans le rôle assez important de la mère du presque saint et Jean-Paul Bonnevalle
(La Nourrice) s’inscrivent dans l’atmosphère
particulière de ces voix différentes mais au naturel
étonnant. Il en va de même pour les rôles un peu en
retrait, comme le Messager de Pascal Bertin et les allégoriques Rome et La Religion de l’excellent Terry Wey
(curieusement grimé en « Nonne
sanglante », comme pour faire un clin d‘œil
à la reprise actuelle en Allemagne de cet opéra oublié de Charles Gounod).
On a du mal à différencier les deux personnages
« shakespeariens » des pages comiques Curzio, Damien Guillon, et Marzio, José Lemos,
à cause de leur masque. On se contentera alors de dire que le
répétiteur Yoann Moulin et le conseiller linguistique
Rita De Letteriis ont du travail de persévérance afin de
faire améliorer à l’un d’eux, ainsi
qu’au ténor Ryland Angel,
leur prononciation laborieuse, voire rugueuse de la langue italienne
pourtant idéale au chant. Ce défaut mis à part,
leur chant et leur jeu scénique ne méritent que des
louanges.
Le public non habitué à la voix de contre-ténor
pouvait être surpris mais non rebuté, tant la
qualité de timbre, d’émission et
d‘interprétation était unanime. D’autre part,
les huit contre-ténors assemblés par l’Opéra
de Nancy offraient pratiquement chacun une diversité dans la
couleur du médium ou de l’aigu. Un peu comme si l’on
avait monté un opéra offrant la couleur typique des
rôles que nous allons énumérer : Il Conte
d’Almaviva (Il Barbiere di Siviglia), Elvino (La Sonnambula), Pollione (Norma), Sir Edgardo di Ravenswood (Lucia di Lammermoor), Il Duca di Mantova (Rigoletto), Alfredo (La Traviata), Rodolfo (La Bohème) et enfin Otello ou Canio (I Pagliacci) !
Un ténor… ténor, Ryland Angel,
s’ajoutait à ses
« collègues » sopranisants, mariant
avantageusement son timbre « blanc » aux autres.
Enfin, deux basses au chant impeccable complétaient la
distribution vocale : Alain Buet,
prétait au douloureux père d’Alessio son beau
timbre barytonant, tandis que celui plus noir et caverneux de Luigi De Donato convenait au Démon agacé par tant de piété.
La mise en scène, avec ses décors de bâtiments
à portiques, étages et fenêtres praticables (!)
nous rappelait que ces constructions réalistes « en
dur » sont toujours possibles à notre
époque : que n’en trouvons-nous pas pour
l’opéra dramatique du XIXe siècle ! Les
costumes d’époque semblaient sortir d’un tableau,
tant ils mariaient couleurs sombres et chaleureux tons fondus.
Le défaut de la mise en scène n’est pas dans ce
choix de faire les choses à l’ancienne, mais
peut-être dans l’excès d’une telle tentative.
Quand on pense en effet que David Alagna, expliquait au micro de la RAI
(à propos de l’Orphée
de Bologne) qu’un ange à ailes n’est plus possible
aujourd’hui sur scène, il fallait voir les enfants de la Maîtrise de Caen
ainsi grimés, chantant et se mouvant avec une certaine assurance
du reste. Quant à leurs interventions, dramatiquement et
musicalement parlant, et malgré le ton général et
l’époque de la création qui s’y
prétaient, elles ne « passent » pas,
aujourd’hui, forcément… mais au moins, on sera plus
tenté de sourire à l’audition des
« Chœurs d’esprits élus et
d‘esprits malveillants », toujours un peu bizarres, de
la verdienne Giovanna d’Arco.
Un autre excès est celui de pousser la délicatesse
jusqu’au maniérisme. Ces bras et ces mains constamment
relevés (et pas forcément en acte de piété
ou d’offrande), ces mouvements et démarches
exagérément feutrés (les personnages marchaient comme sur des œufs,
selon l’expression) finissaient par agacer. Un manque de naturel
contredisant, par cette sophistication, la sobriété de
l’histoire et le dépouillement de la musique de Landi.
Enfin, tout ce petit monde éthéré était
efficacement bercé (et parfois mené) par un William
Christie attentif, précis, poétique, et dont
l’amour de cette musique faisait plaisir à voir
(…et à entendre, bien entendu).
Un moment de choix pour les amoureux du baroque, une expérience
mitigée pour les amateurs d’opéra en
général et une souffrance (de plus) pour les
romantiques !
Yonel BULDRINI
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