A Paris, Andreas Scholl et l'Academia
Bizantina ont apporté quelques modifications bienvenues à
leur programme : exit la cantate de Pasquini avantageusement
remplacée par le célèbre "Cessate, omai cessate" de
Vivaldi qui conclut la soirée. Le concert gagne en cohésion
et se présente comme une invitation au voyage à travers la
musique de chambre italienne au début du 18e siècle où
les pages connues en côtoient d'autres, oubliées, dont certaines
méritent le détour.
C'est Rome qui est à l'honneur
dans la première partie qui s'articule autour de deux cantates de
Francesco Gasparini (1668-1727), entre lesquelles s'intercale judicieusement
une úuvre de l'un de ses maîtres, Arcangelo Corelli : violoniste
fameux, ce musicien fit toute sa carrière dans la capitale italienne
et composa essentiellement pour son instrument. Les douze concerti grossi
de
son opus VI furent publiés après sa mort avec un succès
retentissant, la célébrité du huitième " per
la notte di Natale " ne saurait occulter les qualités des autres,
tel le sixième, absolument magnifique, dont le dernier mouvement
vivace
d'une grande virtuosité met en valeur les belles sonorités
des cordes de l'Accademia Bizantina.
Maître de chúurs et membre de
l'Académie Sainte Cécile, Gasparini a surtout composé
pour les voix : musique sacrée et profane dont une cinquantaine
d'opéras. Les deux cantates qui nous sont proposées, extrêmement
contrastées, constituent une découverte d'importance : "Ecco
che alfin ritorno" aborde le thème rebattu de l'amour contrarié,
transcendé par une musique d'une haute inspiration. Le chant précautionneux
d'Andreas Scholl, visiblement fatigué en début de soirée,
contribue somme toute à exprimer les tourments de l'amoureux transi
qui cherche en vain quelque consolation dans la nature. Changement de ton
avec "Destati Lidia mia ". Ici l'amoureux tente d'éveiller sa belle
endormie : dans la première partie de la cantate, la musique crée
une ambiance pastorale, les instruments imitent avec humour le chant du
coq auquel répondent les graves exagérément poitrinés
du chanteur. La seconde aria, très virtuose, permet à
l'interprète d'exhiber sa technique sans faille. Elle sera reprise
en bis de façon plus spectaculaire encore. Deux oeuvres originales
et passionnantes qui ne manquent pas de susciter l'envie de découvrir
davantage ce musicien.
On n'en dira pas autant de la longue
cantate de Benedetto Marcello qui ouvre la seconde partie du concert. Elève
de Gasparini, le compositeur doit s'incliner ici devant son maître.
Seul le timbre cristallin et le chant envoûtant d'Andreas Scholl
évitent à l'ouvrage, on ne peut plus conventionnel, de distiller
un ennui certain.
Après un détour par Naples
avec un concerto grosso d'Alessandro Scarlatti, le périple s'achève
à Venise avec le somptueux "Cessate, omai cessate" de Vivaldi. Si
la cohésion de l'orchestre est par moment prise en défaut,
Scholl retrouve ses marques et livre une interprétation de très
grande classe : récitatifs expressifs, legato parfait dans
la première aria, vocalises d'une précision et d'une
vélocité stupéfiante dans la seconde, aigus d'une
plénitude et d'une rondeur troublantes et un investissement dramatique
qui fait mentir sa réputation de chanteur froid et "coincé".
Le public lui fait un triomphe, mais le contre-ténor n'accordera
pourtant que deux bis dont une reprise ébouriffante du Vivaldi.
Un orchestre quelquefois brouillon
et un artiste en légère méforme ne sauraient entacher
la qualité d'un concert dont on garde un excellent souvenir, tant
la pertinence du programme et l'enthousiasme des musiciens sont évidents.
Christian Peter
(Dominique Vincent)
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la critique du concert donné à Bruxelles le 3 décembre
2002