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DRESDE
10/09/06
© DR
Richard Wagner (1813-1883)
Siegfried
Opéra en trois actes.
Deuxième journée du « Festival scénique », sur un livret du compositeur.
Siegfried : Alfons Eberz
Mime : Wolfgang Schmidt
Der Wanderer : Jukka Rasilainen
Alberich : Hartmut Welker
Fafner : Michael Eder
Erda : Christa Mayer
Brünnhilde : Evelyn Herlitzius
Waldvogel : Roxana Incontrera
Orchestre de la Staatskapelle de Dresde
Direction musicale : Fabio Luisi
Mise en scène : Willy Decker
Décors : Wolfgang Gussmann
Costumes : Wolfgang Gussmann, Frauke Schernau
Coproduction avec le Teatro Real de Madrid
Dresde, dimanche 10 septembre 2006
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(3 étoiles et demie)
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C’est
à Willy Decker que revenait, il y a presque six ans maintenant,
la lourde tâche de réhabiliter Wagner sur la scène
qui vit la création de Rienzi, du Vaisseau Fantôme et de Tannhäuser.
L’idée du metteur en scène est simple :
revenir aux paramètres essentiels, éviter
d’asséner au spectateurs images et théories souvent
aussi indigestes que partiales, et donner à voir (et à
sentir) la magie d’une société rêvée
où les Dieux et les Hommes jouent le destin d’un monde qui
les dépasse. Pari assez bien réussi, on doit le dire.
Aussi loin des pseudo épures de Bob Wilson
(Zurich - Le Châtelet) que de l’imagerie historicisante et
toute sa bimbeloterie kitsch, il parvient à redonner à
chaque symbole du drame un poids humain souvent occulté. La
lance, instrument métaphorique de la longue distance, outil du
visionnaire qui œuvre pour l’au-delà de
lui-même, l’oiseau-enfant (la chanteuse, en coulisse, est
doublée par un enfant sur scène), image du renouveau que
seule une nouvelle génération parviendra à
imposer, l’épée, le feu, le cor, et même
jusqu’à l’ours – une peluche insensée
que Siegfried brandit comme un vieux gamin mal dégrossi
qu’il est –, tout est ici utilisé avec
précision, indices et non intentions appuyées. On peut
sourire, mais à la réflexion, cela tient la route –
et a surtout le bon goût de ne jamais gêner
l’écoute. Le dispositif scénique joue lui aussi la
carte de la simplicité : pans de murs mobiles, qui
rétrécissent ou élargissent tour à tour
l’espace, enferment, isolent, ou mettent à nu les
protagonistes. Un ciel à la Magritte vient découvrir le
lointain pour l’acte final, ciel que l’on retrouve dans le
drap d’où surgit Erda, et dans lequel elle finit par se
voiler comme dans un retour dans sa gangue native… Une petite
scène (comme un théâtre de marionnettes aux
dimensions humaines) sert de cadre à l’épisode avec
Fafner, puis avec le duo des quiproquos avec Mime… Seules les
chaises vides, que l’on bouge sans grande logique apparente,
finissent par agacer – même si l’allégeance
à Ionesco (involontaire ?) peut également ouvrir
quelques perspectives d’interprétation
supplémentaires…
C’est au tout nouveau directeur musical de l’orchestre que
revenait l’honneur d’officier ce soir. Inutile de dire que
la Staatskapelle, dans une forme éblouissante, a rendu à
Wagner le service rare de jouer constamment sur la qualité de
timbres, sur les raffinements sonores, plutôt que sur le volume
et le babylonien. Ce qui permit à Jukka Rasilainen,
Wotan/Wanderer bien fatigué il y a quelques mois au
Châtelet, de montrer de très réelles
qualités, physiques et vocales. Même constat avec le
Siegfried d’Alfons Eberz, qui réussit l’exploit de
chanter son rôle de bout en bout, sans le hurler jamais, pliant
son immense voix aux exigences finalement intimistes de la plupart des
moments du rôle (ce qu’on oublie quand la fosse oblige
à pousser), et réalisant l’exploit de rester
juvénile dans le duo final. En l’état actuel du
chant wagnérien, on ne saurait bouder notre plaisir. Wolfgang
Schmidt est un remarquable Mime, très traditionnel dans son
approche du rôle, mais à l’impact sûr, et au
timbre bien moins ingrat que ce qui se pratique souvent pour le
rôle. Hartmut Welker est un Alberich saisissant : dans sa
confrontation avec le Wanderer, le jeu de miroir et de double voulu par
le metteur en scène prend tout son sens grâce à une
vocalité qui sait alors se faire très voisine de celle de
Jukka Rasilainen – l’idée est éculée
pour le couple Don Giovanni-Leporello, mais bien menée, elle est
formidable quand il s’agit d’éclairer le rapport
entre Alberich et le Wanderer. La Brünnhilde d’Evelyn
Herlitzius, svelte, éclatante de fraîcheur et de
santé, trouve dans Siegfried l’exact format vocal qui est
le sien, ce qui évite les problèmes de vibrato envahissant qu’on a pu lui connaître dans d’autres rôles – dont la Brünnhilde du Crépuscule.
Face à une telle réalisation, on s’étonne
que le public ne réponde pas davantage présent. Certes,
il s’agissait de la reprise d’une production ayant
déjà tourné. Mais si l’Allemagne voit
déjà ses rangs se clairsemer, même dans les
meilleurs maisons, pour des productions de cette tenue, il y a de quoi
s’inquiéter…
David Fournier
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