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PARIS
16/11/2007
© Vincent Jacques - Angers Nantes Opéra
Maurice RAVEL (1875 – 1937)
L’ENFANT ET LES SORTILEGES
Fantaisie lyrique en 2 parties, Livret de Colette
Transcription et préparation musicale, Didier Puntos
Mise en scène, Patrice Caurier et Moshe Leiser
Décors, Christian Rätz
Costumes, Patrice Caurier
Lumière, Christophe Forey
Assistante aux costumes, Patricia Nail
Le fauteuil, l’arbre, Thomas Dolié
Le feu, la Pastourelle, le Rossignol, la Chouette, Kareen Durand
La Mère, la Tasse, la Libellule, Delphine Galou
L’Horloge, le Chat, Simon Jaunin
L’Enfant, Gaële Le Roi
La Théière, la Rainette, le Petit Vieillard, Jean-Louis Meunier
La Bergère, le Pâtre, la Chatte, l’Ecureuil, Sandrine Sutter
La Princesse, la Chauve-souris, Katia Velletaz
Piano à quatre mains, Didier Puntos et Frédéric Jouannais
Flûtes, José-Daniel Castellon
Violoncelle, Valérie Dulac
Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet,
le 16 novembre 2007, 20h00
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Monde de brutes !
Cinquante minutes… La durée de L’enfant et les sortilèges pourrait laisser croire à un opéra de poche. Il n’en est rien ; au contraire, la fantaisie lyrique de Maurice Ravel
brille par une orchestration rutilante, qui aux instruments usuels,
utilisés dans des proportions symphoniques, ajoute une
ribambelle de percussions, certaines insolites comme l’Eoliphone
ou le Luthéal (1). Les
dimensions réduites de la salle de l’Athénée
ne sauraient accueillir un tel effectif et obligent à recourir
à la version écrite sur mesure par Didier Puntos en 1989 pour l’Atelier d’interprétation vocale de l’Opéra National de Lyon.
Elaborée à partir de quatre musiciens autour de trois
modes de jeu instrumentaux – le clavier, le souffle et
l’archet – elle réussit le tour de force de
préserver par une combinaison de sonorités inhabituelles
la magie de l’écriture ravélienne. C’est
déjà beaucoup. On est surpris par la manière dont
la scansion du piano, la poésie de la flûte et la chaleur
vibrante du violoncelle, toutes ensemble mêlées,
parviennent à restituer la palette de sentiments qui agitent
l’œuvre : nostalgie, humour, tendresse, ironie,
sarcasme, etc. Le plus difficile reste ensuite d’assembler le
puzzle, trouver le fil qui réunit ces miniatures tracées
au pinceau de soie.
Les quatre instrumentistes – dont Didier Puntos- se connaissent
bien. Ils ont tous transité par Lyon et participé aux
représentations angevines et nantaises de cette même
production en 2006 ; cela s’entend. Ils savent justement
assurer la transition entre les ambiances et les rythmes, fondre les
couleurs, unifier la pâte pour donner à la matière
suffisamment de consistance jusqu’à la rendre parfois
opaque. Ils partagent le même sens du mystère, la
même vision de l’ouvrage, un peu sombre. L’ensemble
sonne moins capricieux, moins volubile et enchanteur qu’à
l’habitude mais plus angoissant, dès les premières
mesures quand le visage de l’enfant – Gaële Le Roi
particulièrement expressive – apparaît à
travers une fenêtre aménagée dans le rideau, comme
un prisonnier derrière ses barreaux.
En revanche, il y a aussi dans L’enfant et les sortilèges
un foisonnement mélodique et une dimension parodique –
l’ouvrage a été imaginé par Ravel et Colette comme un pied de nez à l’opéra – que la transcription rend moins évidents.
La conception dramaturgique de Patrice Caurier et Moshe Leiser se
nourrit de cette version ombrageuse. Le livret est pris au pied de la
lettre. L’enfant est volontairement méchant. Son regard
derrière la fenêtre du rideau ne laisse pas le moindre
doute. Il ne s’attendrira que le temps de son seul air
« Toi le cœur de la rose » exhalé
plus que chanté par Gaële Le Roi en état de
grâce. L’univers qu’il habite est cruel, les objets
autant que les animaux. Le décor est unique,
d’époque avec son cheval de bois menaçant
échappé d’un carrousel à l’ancienne.
Il comprend la totalité des aménagements
nécessaires au récit : la bergère,
l’horloge, la tapisserie déchirée, etc. Les
musiciens tapis dans un coin de la scène sont
intégrés au dispositif, leur silhouette, inattendue dans
un tel contexte, ajoutant encore à l’impression
d’inquiétude. Christian Rätz,
le décorateur, se montre moins soucieux du détail dans la
deuxième partie, celle du jardin, suggérée plus
qu’exposée.
D’une manière générale d’ailleurs, la
mise en scène, cohérente et précise au
départ, semble chercher ses marques une fois sortie de la
chambre. Après un duo des chats miaulé et mimé
jusqu’à l’indécence, elle s’essouffle
et ne parvient pas à traduire le bruissement
féérique du jardin, le doux frémissement de la
nuit. Les animaux apparaissent moins clairement dessinés. Qui
est l’écureuil, la libellule, la chauve-souris ?
Celui qui ne connaît pas le livret aura du mal à
répondre à la question. Les chanteurs eux-mêmes ont
à ce moment le geste moins explicite, l’attitude moins
définie.
© Vincent Jacques - Angers Nantes Opéra
La
dimension de l’Athénée joue pourtant en leur faveur
en les rendant plus proches que d’habitude. Ainsi Gaële Le
Roi, dont la puissance n’est pas la première des
qualités, s’impose sans effort. Elle n’a pas
à se préoccuper de volume, elle peut se concentrer
à loisir sur la prononciation et la caractérisation, tout
ce qui fait le prix de son Enfant, garnement intelligent mais
buté dont la silhouette, fluette, asexuée, apparaît
dans ce contexte idéale.
Les autres interprètes, dotés chacun de plusieurs
rôles, s’avèrent plus inégaux ; certains
numéros leur conviennent mieux que d’autres. Les
coloratures de Kareen Durand par exemple manquent un peu de flamme pour traduire les assauts du Feu quand, entremêlées au chant de Delphine Galou,
elles figurent un rossignol enchanteur. Delphine Galou, puisqu’on
en parle, s’affirme une Libellule sensuelle au timbre
chaleureux ; sa Tasse chinoise, autrement aguicheuse dans la
tenue, parait paradoxalement plus terne. On n’est pas prêt
d’oublier les chats classés X de Sandrine Sutter et Simon Jaunin ;
l’Horloge de ce dernier en revanche semble dépassée
par la mesure d’une partition prise de folie. Jean-Louis Meunier ne se montre pas assez aigre et teigneux en Petit Vieillard ; la candeur de la Rainette lui va mieux. La Princesse de Katia Velletaz est plus probante que sa Chauve-souris. L’Arbre de Thomas Dolié pourrait se montrer plus sinistre ; on préfère les accents patibulaires de son Fauteuil.
A l’image de cette distribution à deux vitesses, on garde
du spectacle une impression mitigée, en deux parties :
d’un côté la chambre, inquiétante mais
saisissante, de l’autre le jardin, moins abouti.
« Opéra de chambre intime et intimiste »
plutôt que fantaisie lyrique, soit ; monde sans pitié
où « règnent la peur et la culpabilité
», pourquoi pas mais, on ne se refait pas, on aurait aimé
tout de même que se glisse à la fin de l’œuvre
un peu plus de tendresse, celle qui d’habitude accompagne les
bras tendus de l’Enfant vers la Mère dans un halo de lune.
Christophe RIZOUD
(1) Jean-Christophe Henry, dans son excellente étude de L’enfant et les sortilèges, présente chacun de ces instruments et bien d’autres encore
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