Il est rare d'entendre Tannhäuser
sur scène, l'initiative de l'Opéra de Nancy est donc à
saluer tout particulièrement, d'autant que le spectacle est une
très grande réussite.
La distribution réunie était
vraiment superbe. John Treleaven campait un Tannhäuser extrêmement
convaincant. J'ai personnellement beaucoup aimé son chant parfois
un peu "à l'arraché" mais très expressif et touchant.
Il chantait de mieux en mieux au fil des actes, pour finir sur un superbe
récit de Rome. Une très belle prestation donc, d'autant que
le rôle est vraiment très lourd, notamment dans la version
de Paris choisie ici, et dont la scène du Venusberg est deux fois
plus longue que dans la version originale de Dresde.
Elisabeth Meyer-Topsøe fut une
Elisabeth absolument magnifique tant vocalement que scéniquement.
Une voix superbe aux aigus particulièrement lumineux et épanouis.
Une grande émotion dans l'incarnation, une belle prestance scénique.
Tout juste peut-on lui reprocher quelques sons bas au début du 2°
acte, c'est bien peu de chose face à tant de spendeur. Son duo avec
Tannhäuser au 2° acte fut si enthousiasmant que le public se permit
d'applaudir sur la conclusion orchestrale !!! Incroyable.
C'est Hedwig Fassbender qui devait
à l'origine incarner Vénus, mais malade, elle a été
remplacée au pied levé par Natascha Petrinsky. Belle voix
de mezzo mais qui peinait à atteindre les aigus redoutables du rôle.
Belle incarnation cependant, d'autant qu'elle avait le physique du rôle
et que le metteur en scène ayant particulièrement gâté
le personnage.
Le sommet absolu de la distribution
restera pour moi le Wolfram de Dietrich Henschel qui fut confondant. Tout
y est. Une voix superbe, un chant particulièrement soigné
(jamais de sons ouverts, comme on l'entend parfois, lorsque l'orchestre
est fourni), un phrasé et un legato sublimes, une finesse renversante
(son intervention dans le concours de chant du 2° acte est stupéfiante,
et sa Romance à l'étoile est à se mettre à
genoux : il chante tout celà comme s'il s'agissait d'un lied), aucun
effet gratuit, une incarnation fine et sensible qui attire immédiatement
la sympathie pour le personnage. Bref, la perfection absolue.
Les compagnons de Wolfram (Walter,
Heinrich, Biterolf, Reinmar) étaient sur la même longueur
d'onde que Dietrich Henschel, et c'était heureux : même finesse,
même soin dans le chant. Le concours de chant au 2° acte fut
vraiment un sommet tant les participants se surpassaient.
L'Hermann d'Andrew Greenan possède
une riche voix de basse, rappelant celle d'Hans Sotin. Il fut lui aussi
superbe.
Les seconds rôles furent là
encore très bons.
Le choeur, si important dans cet ouvrage,
fut magnifique de bout en bout, tant le choeur masculin, que le choeur
féminin, dont certaines interventions (les sirènes au premier
acte) se faisaient depuis le foyer de l'opéra : il en résultait
un son réverbéré, très lointain, dont on avait
peine à identifier la provenance, un son qui semblait monter depuis
le sous-sol : fabuleux !
Quant à l'orchestre de Nancy,
il fait sous la direction de Sebastian Lang-Lessing, son directeur musical
depuis 1999, des progrès remarquables. Nous en avons eu une très
belle illustration avec ce Tannhäuser. Si les bois et les cors sont
encore perfectibles, les cordes sont notamment superbes. Quant aux harpes
qui ont un grand rôle dans cet opéra, elles sont absolument
parfaites.
Mais c'est la direction de Sebastian
Lang-Lessing lui-même qui est splendide : aucune lourdeur dans ce
Tannhäuser, mais un allant, un dynamisme, une énergie extraordinaire.
C'est absolument enthousiasmant.
La réussite du spectacle tient
aussi à une mise en scène surprenante, parfois peut-être
un peu outrée, mais d'une grande intelligence.
Dès l'ouverture, on est en effet
saisi par la pertinence des images. C'est, on l'a dit, la version de Paris
qui a été choisie pour cette production, mais au lieu d'un
ballet, Andreas Baesler nous fait voir les tourments de Tannhäuser
dans le Vénusberg, Vénusberg qui est une superbe chambre
à coucher dont les murs sont entièrement couverts de rideaux
rouges, symbole étouffant d'enfermement, le lit trône au milieu
de la pièce. Tannhäuser est seul, il cherche l'inspiration
à travers l'alcool. Vénus apparaît, c'est une star
(une sorte de Marylin), poursuivie par les photographes dont les flashs
crépitent. Tannhäuser est déja las, il veut partir,
mais des Vénus apparaissent à tous les coins de la pièce
afin de dissuader Tannhäuser qui, à peine sorti d'un côté,
réapparaît de l'autre...! Formidable mise en abyme évoquant
l'impossibilité de fuir ! Finalement, Tannhäuser réussit
à fuir en se réfugiant à l'avant-scène. Le
rideau de fer, rouge pour l'occasion, se baisse, isolant ainsi Tannhäuser
du Vénusberg : magnifique moment. Mais Vénus n'a pas
dit son dernier mot, elle traverse le rideau, et vient tenter Tannhäuser,
qui se laisse entraînerÖ
Tous ces jeux de scène sont
bien sûr parfaitement synchronisés avec la musique de cette
ouverture et de cette bacchanale qui deviennent des moments d'une intensité
dramatique exceptionnelle : chapeau, ça commence fort !
Lorsque Tannhäuser se retrouvera
dans la Wartburg, c'est un musée qui s'offrira à nos regards.
Les rideaux rouges ont en effet découverts de grands tableaux accrochés
aux murs, et le lit de Vénus s'est astucieusement transformé
en banquette. Pourquoi un musée ? Nous le comprendrons au fur et
à mesure de l'action : le Landgrave et ses chevaliers représentent
une tradition que rejette finalement Tannhäuser, et quoi de mieux
pour représenter une tradition figée qu'un musée ?
Belle idée là encore.
Par ailleurs, les chevaliers apparaissent
sous un aspect plutôt comique (allusions au look de chanteurs de
rock des années 1960) et lorsqu'ils chantent ensemble le retour
de Tannhäuser parmi eux, il m'a semblé discerner une allusion
cette fois aux "Comedian harmonists", ce groupe de chanteurs allemands
des années 1930. Quoi de plus juste après tout que ces allusions
pour ces chevaliers qui s'illustreront bientôt dans un concours de
chant ?
Le concours de chant justement, se
déroulera dans une grande salle aux murs de laquelle figurent des
disques d'or. Un piano à queue, blanc, trône au milieu de
la pièce, il servira d'estrade pour les chanteurs. Le public sera
constitué de bourgeois superbement vêtus. Quant au dernier
acte, il rassemblera tous les éléments des actes précédents,
mais brisés, pour symboliser l'échec de Tannhäuser,
celui de sa relation avec Elisabeth, mais aussi celles avec Vénus
et les chevaliers. Ainsi on retrouve le piano, cassé, le lit du
Vénusberg, de guingois, les murs du musée, mais les tableaux
au sol.
A côté de toutes ces belles
idées, on pourra trouver certaines étrangetés, comme
certains des pélerins tenant des poches plastique ou les chevaliers
costumés au 2° acte de manière un peu disparate...
Il n'en reste pas moins que cette production
fut vraiment superbe, le public nancéien ne s'y est pas trompé
en réservant un triomphe au spectacle. Espérons que le Vaisseau
Fantôme promis pour la prochaine saison sera du même niveau
!
Pierre-Emmanuel Lephay
Lire
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