Le
zizi de Py
Plus d'une semaine avant la première
de cette nouvelle production de "Tannhäuser" de Richard Wagner, des
indiscrétions savamment orchestrées laissaient entendre qu'un
hardeur montrant son "arme bandée" (voir nos Brèves)
avait été engagé pour figurer dans ce spectacle. Immédiatement,
la presse s'est ruée sur la nouvelle pour en faire des gorges chaudes
(si l'on peut se permettre la métaphore !). Quelle surprise le turbulent
metteur en scène plus "parisien" que français Olivier Py
allait-il encore réserver au public genevois ? La fièvre
journalistique ainsi déclenchée allait lui permettre de se
répandre dans les médias pour justifier son choix et insidieusement,
pour préciser son idée de mise en scène. Après
ses "Contes d'Hoffmann" controversés, sa "Damnation de Faust" contestée
et son "Tristan und Isolde" assagi, on pouvait s'attendre à tout.
Plus l'enfant gâté du Grand-Théâtre se défendait
d'un scandale annoncé, plus les médias en rajoutaient.
La raison de toutes ces manoeuvres
artistico-journalistiques ? L'ouverture du rideau a suffi à la réponse
: la mise en scène, plus particulièrement la direction d'acteurs
est vide, ratée. Se bornant à des effets de décor,
Olivier Py délivre un spectacle dénué de sens. D'aucuns
affirmeront que la dimension psychanalytique de son travail scénique
est magistrale. Qu'a-t-on à faire de ses fantasmes ? L'important
n'est-il pas l'oeuvre et sa présentation au plus près de
son esprit ? Dans un décor de néons blancs sur un fond de
scène irrémédiablement noir, les protagonistes d'Olivier
Py errent d'un côté à l'autre de l'immense scène
sans autres intentions que de meubler un espace infini. Trop occupé
au déplacement inexplicable et inexpliqué de ses constructions
de Meccano chargées de tubes luminescents (il y en aurait 900 !),
aux problèmes techniques liés aux entrelacs de câbles
électriques, le metteur en scène oublie de raconter l'histoire
de Tannhäuser. Et quand il le fait, c'est manqué ! A vouloir
se démarquer de ses précédentes facéties scéniques,
il dépouille sa mise en scène à l'extrême. Hormis
une scène illustrant le trouble d'Elisabeth où son idéal,
représenté par une église, chavire sur son assise,
les autres scènes sont d'une platitude déconcertante.
Jeanne-Michèle Charbonnet
© GTG / Ariane Arlotti
En choisissant de présenter
la version parisienne de Tannhäuser, le metteur en scène disait
son désir de coller au plus près de l'oeuvre. Ainsi dans
cette version, Wagner voulait la première scène dans la grotte
du Vénusberg. Là, une orgie qui, selon les mots qu'il envoya
à Mathilde Wesendonck, devait faire horreur ! Olivier Py
en fait la parodie d'un show du Crazy Horse. Ses femmes sont bien trop
belles, bien trop sages, trop bien vêtues de leurs longues et identiques
robes rouges pour qu'elles offrent l'impression d'un monde hétérogène
à la sexualité débridée telle que voulue par
Wagner.
Et le zizi de Py ? Il est là,
il arrive. Impressionnant. Si grand qu'il semble irréel. Il traverse
la scène, se précipite sur la croupe d'Europe pour disparaître
en coulisses une quinzaine de secondes plus tard. Une image en chair et
en os (!) qui aurait tout aussi pu être factice tant la signification
de sa présence reste visuellement incompréhensible autant
que fugitive. Mais, les désirs du chouchou de la scène genevoise
n'ont décidément pas de limites. Ce zizi ? Un pétard
mouillé !
De cette esbroufe aveuglante et désolante
resterait la musique de Wagner si l'Orchestre de la Suisse Romande l'avait
mieux ressentie mais, imprécisions et pâleur qualifient la
direction sans inventivité d'Ulf Schirmer. Heureusement, la discrétion
de l'orchestre poussée jusqu'au murmure fait la place belle aux
voix. A commencer par le ténor américain Stephen Gould
(Tannhäuser) jouissant d'une belle santé vocale qui malheureusement
étouffe quelque peu la sensibilité musicale attendue du rôle.
Même si quelques aigus apparaissent quelque peu tendus, il se défait
néanmoins de l'harassant rôle-titre avec une belle vaillance.
Aux côtés de ce rare et valeureux ténor wagnérien,
la musicalité discrète du baryton Dietrich Henschel (Wolfram
von Eschenbach) coule comme un miel bienfaisant. Quel phrasé, quelle
douceur et quelle intelligence musicale ! Hormis la belle et profonde voix
de Kristinn Sigmundsson (Hermann), les autres rôles masculins
restent plus en retrait.
Dietrich Henschel
© GTG / Ariane Arlotti
Le véritable bonheur vocal vient
sans contredit des voix féminines. Si la fraîcheur de Katia
Velletaz (Un Pâtre) est un régal de trop courte durée
pour la qualité vocale de cette jeune et prometteuse chanteuse,
la soprano Jeanne-Michèle Charbonnet (Vénus), que
le public genevois avait pu apprécier dans "Tristan und Isolde"
de l'an dernier, reste une montagne d'énergie vocale et scénique.
Si les premières mesures de sa prestation laissaient un sentiment
de retenue, c'est dans la colère et le désespoir de la perte
de Tannhäuser que la cantatrice canadienne laisse éclater son
tempérament. Quelle fougue, quelle puissance et, tout à la
fois, quelle belle ligne de chant. Son imposante et haute stature lui donne
des allures royales dont elle use avec intelligence dans sa composition
de la déesse de la luxure. Elle est dans l'orgie, elle est l'orgie.
Alors que le premier acte se termine, et que l'entracte permet à
chacun de commenter ses impressions premières, l'unanimité
est faite sur la belle qualité des voix. Mais lorsque reprend le
spectacle et que jaillissent les premières notes de Nina Stemme
(Elisabeth), c'est l'évidence qu'avec elle s'avance un autre courant,
une autre classe de chanteur. La manière de phraser, de dire, de
jouer des couleurs vocales est d'une rare beauté. Investie dans
la contemplation, dans l'immobilité, la soprano suédoise
n'a besoin que de sa voix. Et cette voix est unique. Unique de présence,
de conscience, de beauté, d'intelligence, de théâtre
enfin.
Nina Stemme
© GTG / Ariane Arlotti
La fin du spectacle fut saluée
comme à l'accoutumée, d'une ovation pour les chanteurs, pour
le Choeur du Grand Théâtre et sa directrice Ching-Lien
Wu dont on ne signalera jamais assez les extraordinaires qualités.
Quelques irréductibles adversaires d'Olivier Py l'ont conspué
alors qu'une claque importante (importée?) l'acclamait. Rien que
de très banal en somme, tout comme le spectacle qui, sauf pour l'admirable
présence de Nina Stemme, ne laissera pas de souvenir inoubliable
dans la mémoire des spectateurs de Genève. Dommage, parce
qu'avant une bonne décennie, il y a peu de chance de revoir "Tannhäuser"
au Grand-Théâtre !
Jacques SCHMITT
Prochaines représentations le
29 septembre 2005, les 2, 5, 8, et 11 octobre 2005.