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STRASBOURG
22/10/04

Mireille Delunsch
© Alain Kaiser
G.F. HAENDEL

Theodora

Mise en scène : Peter Sellars
Réalisée par Olivia Fuchs et Clare Whistler

Décors : George Tsypin
Lumières : James F.Ingalls
Réalisées par Robin Carter

Theodora : Mireille Delunsch
Didymus : Stephen Wallace
Valens : Jonathan Best
Septimius : Matthew Beale
Irene : Yvonne Howard
Messenger : Guillaume Zabé

Choeur de l'Opéra national du Rhin
Orchestre symphonique de Mulhouse
Jane Glover

Production du Festival de Glyndebourne 1996

Opéra de Strasbourg,
22 octobre 2004



Voilà le genre de spectacle qui défie toute notion de critique, au sens large du terme : qu'écrire, que dire qui n'affadisse ou ne banalise une production d'une intelligence, d'une pudeur et d'une clairvoyance rares ? Evidemment, on pourrait parler de cette remarquable peinture d'une société romaine (ou occidentale ou plus généralement intolérante), sclérosée, à l'instar des grands vases de verre fendus qui constituent l'essentiel du décor. On pourrait s'attarder sur la force d'une gestuelle qui illustre systématiquement le texte, au risque d'être redondante, et évoque tout à la fois la gestique oratoire antique, la naïveté des mystères médiévaux et les réunions évangélistes nord-américaines. On pourrait admirer une direction d'acteurs toujours juste, un regard d'une grande acuité sur la société moderne et une capacité à sonder l'âme humaine dans toute sa grandeur et sa générosité. On pourrait s'effrayer qu'une mise en scène, créée il y a déjà huit ans, trouve encore tant de résonances avec l'actualité internationale. On pourrait s'extasier sur cette capacité qu'a le metteur en scène de faire d'un livret riche en formules abstraites et quelque peu saint-sulpiciennes, une représentation du mystère humain (et non pas uniquement chrétien) dans toute sa douleur et sa grandeur. On pourrait lui savoir gré de nous montrer combien est ténue la limite entre croyance pure, absolue et fanatisme sacrificiel. On pourrait s'émerveiller sur la beauté purement visuelle de certaines images, d'un éclairage magnifique qui joue sur les ombres et les contre-jours à la manière d'un Strehler... On pourrait dire tout cela, mais on n'aurait pas dit l'essentiel : que cette expérience se vit mais ne s'explique pas, qu'elle se ressent mais ne se traduit pas.

Mireille Delunsch, Matthew Beale et Yvonne Howard, acte I
© Alain Kaiser

Qu'importe alors si Matthew Beale, qui phrase délicatement son "Descend kind pity ", savonne son "Dread the fruits of Christian folly" et manifeste des signes de fatigue au cours de la représentation ? Son Septimius, sorte de Coryphée qui assiste impuissant au cheminement du drame, est crédible et nous touche. Crâne rasé, le Didymus de Stephen Wallace a des allures du soldat Baleine dans Full Metal Jacket. A la seule différence près que si le personnage interprété par Vincent D'Onofrio subit son destin et en meurt, celui incarné par le contre-ténor anglais l'assume pour mieux s'en affranchir, dans une scène finale d'anthologie.

Incandescente comme jamais, Mireille Delunsch se consume dans le rôle de la martyre chrétienne. La scène de la prison, où elle murmure "With darkness deep as is my woe" allongée sur le dos, le regard tourné vers ces cieux que Theodora tente d'atteindre, pure de toute souillure, est saisissante. L'aigu, peu sollicité, est lumineux, alors que le medium a retrouvé cette rondeur et cette chair que la fréquentation de certains rôles avaient eu tendance à durcir ces derniers temps.

Mais au jeu du don de soi sacrificiel, la palme (du martyre ?) revient néanmoins à une Yvonne Howard maternelle, humble et débordante d'amour. Son Irene semble touchée par la grâce même si elle manque quelque peu de relief.

On saura gré à Jane Glover de ne pas avoir surchargé les da capo dans cette oeuvre essentiellement élégiaque, d'avoir respecté la ligne épurée d'un Händel qui refuse, en fin de carrière, toute fioriture, pour se concentrer sur ce que la musique a de fondamentalement extatique...

Mais on le répète, tout cela n'est que verbiage : tenter de réduire un tel spectacle à des mots est un combat perdu d'avance.
 
 
 

Sévag TACHDJIAN
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Lire également notre entretien avec Mireille DELUNSCH

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