UNE DERNIÈRE
POUR LA ROUTE !
En mars dernier, à l'issue de
la présentation de sa dernière saison aux membres de l'AROP,
Hugues Gall concluait (je cite de mémoire) : "Trois Strauss
et deux Puccini, après ce sera le Carême...".
Je ne sais pas si Gérard Mortier
consacrera sa réputation en bannissant ces deux compositeurs le
temps de son mandat, mais l'amateur le plus forcené conviendra qu'on
puisse se passer de cette production de Tosca durant
quelques saisons.
Difficile de se remémorer une
mise en scène du chef d'oeuvre de Puccini aussi laide, anti-dramatique
et prétentieuse dans sa quête de modernité vide de
sens que celle imaginée par Werner Schroeter.
A tel point que Bastille a même
fait les frais, pour le premier acte, d'une nouvelle peinture de Marie
Madeleine. Il faut dire que le précédent portrait (une tête
tranchée de 6 m de haut et qui louche) ne se contentait pas d'être
abominable, mais suscitait l'hilarité des spectateurs - la direction
avait fini par censurer le sur titrage en supprimant la traduction d'un
"É troppo bella" franchement hors de propos !
Comme en 2002, la reprise est confiée
à Nicolas Marty. Pour l'édition de janvier
(interprétée par Nelly Miricioiu, Fabio Armiliato et Lado
Atanelli), j'avais apprécié un intéressant travail
sur la dramaturgie, que je n'avais cependant pas retrouvé en
juin (avec cette fois Sylvie Valayre, Vladimir Galouzine et Jean-Philippe
Lafont).
Hélas, l'édition 2003
confirme que la réussite théâtrale - sinon vocale -
de l'édition de janvier 2002 devait davantage à l'intelligence
des interprètes qu'au métier de l'assistant ; pour cette
ultime reprise, nous retrouvons, en effet, la quasi totalité des
poncifs de la version originale de 1994, à l'exception de l'insupportable
scène de soldats-mimes de l'acte III, heureusement simplifiée.
On n'en finirait pas d'énoncer
(et de dénoncer) les inepties de cette production; en vrac et pour
faire court : Mario ayant été torturé au deuxième
acte au moyen d'un cercle de fer garni de pointes qui lui entraient dans
le crâne, nous apparaît à l'acte III avec des bandages...
sur les mains (1)
; Floria reste en plein sur le passage des balles au moment de l'exécution
de son amant; alors que Scarpia et ses sbires sont en scène depuis
plusieurs minutes et que la chapelle des Attavanti n'est vraiment pas bien
grande, un soldat découvre, enfin, le panier de victuailles et l'apporte
en courant pour le mettre sous le nez ... du sacristain (!), lequel s'écrie
"Vuotto ! Vuotto !"; Mario peint une Marie Madeleine de 6 m de haut (a-t-il
des problèmes de vue ? Il n'est pas le seul : Tosca doit monter
sur le praticable et coller son nez sur le portait avant de s'exclamer
"E l'Atavanti"); vous en voulez encore ? Le pâtre est accompagné
d'un corbeau, durant l'acte II ; des figurants observent constamment la
scène au travers de fenêtres ; une sombre histoire de meurtre
entre soldats (les connotations homosexuelles de la production d'origine
sont un peu affadies) détourne l'attention au début du III...
et, bien entendu, le décor ne ressemble à rien, quand il
ne contredit pas franchement le livret, mais il est gris, noir et orange
donc "moderne". Bref, c'est navrant (2)
.
Fiorenza Cedolins faisait ses débuts
à Paris ; il ne semble pas que cet événement l'ait
motivée outre mesure. Habituée du rôle, elle l'aborde
de façon très traditionnelle, voire routinière, sans
que rien dans son interprétation ne retienne véritablement
notre attention. Vocalement, la chanteuse est plus qu'honnête : après
un démarrage un peu métallique, la voix chauffe rapidement
et, si le timbre n'a rien d'exceptionnel, les aigus sont sûrs et
puissants (pour une fois, nous avons droit à des contre-ut justes
et percutants), il y a quelques piani là où on les attend,
les graves sont un peu écrasés, mais audibles. La technique
et les moyens sont une chose, l'interprétation en est une autre
: et, malheureusement, cette Tosca n'a rien à dire, si ce n'est
dans un "Vissi d'arte" enfin émouvant. Qui plus est, elle semble
plutôt handicapée par la mise en scène, se mouvant
avec une totale absence de naturel ("deux pas à gauche, après
je m'agenouille, puis je me relève et puis deux pas à droite,
zut ! où est Mario ?"). Bref, une interprétation qui manque
cruellement de spontanéité, d'engagement et de charisme.
Giordani commence magnifiquement, avec
un "Recondita armonia" sonore et bien conduit ; le duo le trouve comme
d'habitude, un peu embarrassé dans le bas médium, mais il
réussit en général à éviter les graillons
qui le caractérisent dans des tessitures plus tendues (3)
. Le deuxième acte se distingue par un beau "Vittoria", mais le
troisième nous laisse sur notre faim. Dans un louable souci de musicalité,
Giordani chante en effet son "E lucevan le stelle" entièrement piano
et en registre de poitrine, sans le moindre recours à la voix mixte;
techniquement, c'est un exploit, mais le résultat "audible" n'est
pas à la hauteur de la performance : un ou deux piani
"alla Corelli", au milieu de l'air, auraient plus d'effet ; pour le spectateur
moyen, Giordani paraît simplement s'économiser. Le duo final
nous offre, en revanche, une belle ration de décibels, mais c'est
un peu juste pour notre appétit !
Falk Struckmann constitue la vraie
surprise de cette reprise. Je n'attendais pas ce baryton dans le répertoire
italien ; sans être un modèle de style, Struckmann chante
très correctement sa partition, à cent coudées au
dessus des Scarpia des éditions précédentes. C'est
surtout scéniquement que le chanteur fait la différence :
physiquement, c'est un séducteur crédible, d'une certaine
classe, pervers et jouisseur, mais qui sait éviter le piège
de la caricature libidineuse. Il faut voir, par exemple, au final de l'acte
I, la variété d'expressions qui animent son visage. On peut
affirmer, sans exagérer, que son incarnation rend globalement justice
à un personnage dont la complexité échappe à
bien des interprètes.
Falk Struckmann ayant déclaré
forfait pour raisons médicales, Jean-Philippe Lafont le remplace
au pied levé pour la représentation du 16. Depuis sa précédente
incarnation, en ces mêmes lieux (cf. notre
critique ), le baryton français a gagné en sobriété,
même s'il n'a pas revu sa conception un peu sommaire du personnage.
Vocalement, la voix m'a semblé avoir perdu en puissance; par contre,
le style et le timbre demeurent conforme à ce que l'on connaît
de cet artiste.
Marcello Viotti assure la fonction
de chef d'orchestre... car il en faut bien un ! Rien d'indigne, en définitive
: les tempi sont classiques, mais justes, l'équilibre scène
/ fosse est correct, et si on regrette parfois quelques décalages
avec le plateau, il est difficile d'en accuser uniquement le maestro.
Toutefois, Viotti n'évite pas la routine au final et la mayonnaise
ne prend jamais.
Le plus triste dans l'histoire, c'est
que cette distribution aurait très bien pu donner une soirée
enflammée aux Arènes de Vérone, dans un opéra
de province de la péninsule italienne ou encore dans un théâtre
du sud de la France ; à Bastille, le coeur n'y était pas
et il est désolant de voir gâcher de tels éléments
faute d'une véritable réflexion dramaturgique.
Il faut avouer que le public n'a pas
non plus incité les artistes à donner le meilleur d'eux-mêmes.
Lors de cette 8ème reprise, il y avait visiblement plus d'amateurs
pour les cocktails d'entracte, que pour l'opéra lui-même...
Finire così ".
Notons encore que certains défauts
étaient, sinon corrigés, du moins atténués
pour la représentation du 16, ce qui donne à penser qu'il
n'y a pas eu assez de répétitions. Ainsi, Fiorenza Cedolins
m'a semblé plus à l'aise, plus naturelle; le public n'a d'ailleurs
pas hésité à applaudir airs ou duos, mais sans que
Viotti ne daignât s'interrompe pour le laisser exprimer son enthousiasme.
Placido Carrerotti
(1)
Le pansement a dû glisser...
(2) A noter également
: un mime incarnant la statue de la Vierge, à l'acte I. Pourquoi
un mime ?!?
(3) Classiquement, lorsque
qu'un chanteur sollicite exagérément sa voix dans l'aigu,
il peut facilement perdre son assise dans le grave : c'est typiquement
un des problèmes majeurs de Giordani dont le contre ré facile,
le conduit à être engagé pour des rôles où
ces notes sont nécessaires; mais leur émission se fait au
détriment de la ligne de chant générale et, pour moi,
Giordani est bien meilleur, par exemple, en Des Grieux, que dans tout autre
emploi où ses ressources dans le suraigu sont sollicitées.