Tosca
retrouvée
On l'a connue dans un coin du petit
écran, pionnière de la télé réalité,
filmée en temps et en décors réels par Giuseppe Patroni
Griffi ; sur les planches, à Paris,
(http://www.forumopera.com/concerts/tosca_bastille_0903.htm), noyée
dans l'océan de l'Opéra Bastille et mise en scène
de manière contestable par Werner Schroeter ; puis reine des salles
obscures, en haut de l'affiche, furieusement glamour face à la caméra
de Benoît Jacquot...
Sous le marbre gris et les teintes
bleues du Grand Théâtre de Bordeaux, Tosca enfile enfin une
robe à sa taille. Car la proportion et l'acoustique de la salle
conçue par Victor Louis restituent au drame de Puccini toute sa
vérité passionnelle. D'autant plus que la direction de Marco
Balderi choisit d'enfoncer le clou. A la tête d'un Orchestre National
de Bordeaux Aquitaine à l'implacable précision, le chef italien
exalte l'intensité des couleurs au détriment des pastels.
Le deuxième acte surtout se transforme en une arène sanglante.
Même l'aube sur Rome se teinte de rouge.
Eblouie par tant de rutilance, la mise
en scène de Nicolas Joël semble un peu pâle. Il faut
dire que le lyricomane est un drôle d'animal. La plupart du temps,
il fustige trop de modernité et ici il se plaindrait presque d'un
excès de conformisme. Sant' Andrea della Valle pourvue de sa chapelle
et de son portrait, la table et ses deux candélabres au centre d'un
salon du Palais Farnese, le Château Saint-Ange avec vue sur Rome
comme si on y était ; capes empire, perruques, jabots, on ne s'écarte
jamais du moule établi par le livret. Il faut alors des comédiens
sacrément accomplis pour en dépasser les ridicules outrances
et éviter les pièges de l'histrionisme.
© DR
Hui He ne parvient pas à contourner
cet écueil. Malgré un indéniable engagement, sa Floria
Tosca prête souvent à sourire tant certaines attitudes frisent
la caricature. Heureusement, la performance vocale de la soprano chinoise
se situe à un autre niveau. Dotée d'un timbre à l'opulente
rondeur, sans cet éclat métallique qui caractérise
souvent les voix asiatiques, elle fait preuve du tempérament exigé
par le rôle. "Quanto... il prezzo", "Nel pozzo nel giardino", les
réplique mythiques tombent justes. Plus que les graves parfois artificiels,
le médium et l'aigu frappent aussi sûrement que le poignard
dans le coeur de Scarpia. Le "Vissi d'arte", parfaitement nuancé,
frôlerait la perfection si il n'était entaché d'inutiles
sanglots.
Viktor Afanasenko (1),
le premier Mario, ne peut malheureusement pas se targuer de la même
forme vocale. On apprendra plus tard qu'il souffrait d'une rhinopharyngite.
Mais il aura fallu auparavant subir un "Recondita armonia" engorgé
et plat dont chaque note trahit l'effort. A tirer ainsi sur la corde, le
ténor donne rapidement des signes de fatigue, se réfugie
dans le parlando puis finit par craquer douloureusement tous les
aigus. Il est remplacé après l'entracte par Brandon Jovanovich,
le Cavaradossi de la seconde distribution, déjà entendu à
Bordeaux dans Madame Butterfly aux côtés d'ailleurs
de Hui He (2). Le rôle de Pinkerton convenait mieux
à ce grand Américain, un peu raide, qui manque de latinité
pour incarner comme il convient le fougueux peintre romain. Toutes les
notes sont là mais ce que la voix, ample, barytonale, gagne en virilité,
elle le perd en séduction. Dans ces conditions, "E lucevan le stelle"
ne remplit pas tout à fait son office et laisse de manière
inhabituelle le public muet.
En Scarpia, David Pittman-Jenning joue
les grands seigneurs ; sa haute silhouette aristocratique confère
au baron une cruauté distinguée. Déstabilisé
par un large vibrato, le baryton a cependant une mauvaise tendance
à chanter constamment forte.
Le sacristain enrhumé de Jean
Ségani, l'Angelotti marmoréen de Jérôme Varnier
et surtout le Spoletta, servile à souhait, de Riccardo Cassinelli
complètent avec bonheur le trio de tête.
Au final, l'extraordinaire tension
accumulée tout au long des trois actes se relâche. L'assistance
s'embrase ; l'applaudimètre s'affole ; la distribution est unanimement
ovationnée. Loin des paillettes, le "polar lyrique" de Puccini fonctionne
à plein régime et son héroïne démontre,
qu'à l'exemple des grandes tragédiennes, elle ne s'accomplit
jamais mieux que quand elle se retrouve dans son élément
: un théâtre, un vrai.
Christophe RIZOUD
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Notes
(1) Pour la petite
histoire, il s'agit du ténor qui remplaça Roberto Alagna
à l'Opéra Bastille dans un Trouvère de sinistre
mémoire. Ce 15 novembre 2003, nous apprenions quelques minutes avant
le lever du rideau que le fameux ténor français, souffrant,
ne chanterait pas. Il faut dire que le public s'était majoritairement
déplacé pour applaudir son Manrico et que les places, pour
l'occasion, avaient été particulièrement difficiles
à obtenir. L'annonce provoqua un tel tollé que le chef, faute
de pouvoir rétablir le silence, attaqua les premières mesures
de l'oeuvre sous les huées. Viktor Afanasenko, appelé in
extremis à la rescousse, joua les doublures sans avoir eu le
temps de répéter avec les conséquences qu'on peut
imaginer : décalages, erreurs de tempi... Dans ces conditions,
nous nous abstiendrons de juger sa performance. A l'impossible, nul n'est
tenu. Mais la frustration et la mise en scène de Francesca Zambello
aidant, cette soirée reste l'un de nos plus mauvais souvenirs lyriques.
(2) D'après
le programme, Hui He chantera de nouveau Madame Butterfly à l'Opéra
de Paris en 2006.