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SAINT-ETIENNE
17/06/05
Giacomo PUCCINI
TOSCA
Mélodramma en trois actes
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi
Illica d'après Victorien Sardou
Création à Rome, Teatro
Costanzi, le 14 janvier 1900
Direction musicale : Laurent CAMPELLONE
Mise en scène : Sylvie AUGET
Décors : Alexandre HEYRAUD
Costumes : Jérome BOURDIN
Lumières : Michel THEUIL
Assistante à la mise en scène
: Leyli DARYOUSCH
Orchestre Symphonique de Saint-Etienne
Choeurs Lyriques de Saint-Etienne
Chef de choeur et assistant à
la direction musicale : Laurent TOUCHE
Maîtrise de la Loire
Floria Tosca : Alketa CELA
Mario Cvaradossi : Jean-Pierre FURLAN
Scarpia : Marcel VANAUD
Cesare Angelotti : Olivier NAVEAU
Spoletta : Pierre ESPIAUT
Sciarrone : Patrick VILET
Le sacristain : Jean VENDASSI
Le geôlier : Zoltan CSEKO
Les bergers : Sophie BONAQUE, Stéphanie
GUERRA, Adrien SALVADOR
Chefs de chant : Catherine FUCHS-ASTOR,
Cyril GOUJON
Régisseur général
: Emmanuelle RISTA
Coproduction : Opéra National
de Montpellier
L'Esplanade Opéra-Théâtre
de Saint-Etienne, 17 juin 2005
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De tous les Puccini, Tosca
est sans doute le plus irréductible aux trips de metteur
en scène. Un accoucheur de songes aussi fécond que Werner
Schroeter y a même laissé ses illusions gay, à Bastille.
Qu'on se le dise, l'orageuse diva se dérobe au regard des audacieux
; ses pygmalions se nomment Zeffirelli, De
Bosio, Patroni Griffi et Benoît Jacquot. La tradition réussit
à Tosca. Question de tempérament, sans doute (l'excès
n'appelle pas l'excès), de rémanences historiques, de conventions-geôlières,
de timing surtout. Tosca, c'est en quelque sorte 24 heures
chrono de la vie d'une femme. En trois actes ramassés, tranchants
comme une faux aiguisée, Puccini orchestre une corrida d'amour,
de désir et de mort. Le drame se joue en temps réel, dans
une Rome de ténèbres que le compositeur dépeint avec
le geste véhément et emporté d'un Delacroix, et la
palette arc-en-ciel d'un impressionniste.
A Saint-Etienne, Sylvie Auget a opté
pour la simplicité, la linéarité, la lisibilité.
Un élément de décor unique, modulable selon les lieux
de l'action : un imposant retable baroque, encadré par des colonnes
à fût cannelé, et décoré de chapiteaux
corinthiens. C'est de lui que vient le trouble. Le metteur en scène
se joue t-il des corrections optiques ? Le fait est que l'arcade qui le
couronne se contorsionne étrangement, comme si elle avait été
froissée par quelque tsunami. L'oeil adopte vite cette sinuosité
concave-convexe ; après tout, la Rome de Dalla Porta, de Pierre
de Cortone n'était-t-elle pas que trompe-l'oeil, et jeux de reliefs
? Et puis, entre désir sauvage et refoulement violent, entre trop-plein
de soi et dépossession de son être, Tosca est aussi une histoire
- tragique - de contorsionnistes. Dans l'église, le retable renferme
une peinture aux teintes pâles. Au Palais Farnèse, dans les
appartements-prison de Scarpia, des couleurs violentes (expressionnistes)
auront jailli sur la toile. Au troisième acte, au Château
Saint-Ange, l'imposant dispositif s'est dépouillé des chantournements
baroques : c'est un simple arc (image émouvante par sa nudité)
qui ouvre sur le ciel romain, caressé par les quelques lueurs de
l'aube. Pendant toute la représentation, l'épure sera de
mise : exit l'échafaudage du peintre et la Chapelle Attavanti au
premier acte. Pour seuls éléments de décor, figurent
un sol pavé en marbre polychrome et Une Madone à l'enfant,
aux atours michelangeliens. Avec ses quelques croquis, Cavaradossi
n'a pas grand chose à voir avec un peintre...
Honnêtement, tout cela n'est ni
spectaculaire, ni très crédible, mais Sylvie Auget sait rendre,
par une direction d'acteurs subtile et intelligente, la scène prodigieusement
vivante. Elle possède aussi un sens aigu du détail qui fait...
sens. Les duos d'amour entre Tosca et Mario, les incessants allers et retours
de Tosca, aussi agitée qu'un oiseau en cage au Palais Farnèse,
sont des moments assez prenants, tout comme le Te Deum en clair-obscur
de Scarpia, rejoints par les fidèles, mais aussi par des figures
démoniaques, revêtus de noir, dignes d'un Jugement Dernier
de Rogier Van der Weyden. Plus contestables, le suicide au poignard
de Tosca et la tentative de traduction scénique du Chant du pâtre
: ici, une petite fille rêveuse erre dans la nuit sans fin. Elle
s'enfuit lorsqu'elle entend les pas des geôliers (Pour que la vision
soit poétique, voire féerique, encore eut-il fallût
que la voix du pâtre en question, ne s'étrangle point). Superbes,
les costumes de Jérome Bourdin participent de la réussite
simplement évidente de cette production.
Tosca d'une classe folle, Alketa Cela
réussit brillamment sa prise de rôle. Quelques petits problèmes
de justesse (dernières notes de la prière), une tendance
à durcir la voix dans les forte, des graves parfois inconsistants
(ou inaudibles) ne sont que péchés véniels face à
une performance de première ordre. Admirables, la conduite de la
ligne, la musicalité de la chanteuse qui culminent dans un "Vissi
d'arte" à la poésie déchirante. Le timbre parfois
terne et geignard de Jean-Pierre Furlan n'en fait pas le plus glamour des
Mario, mais ses aigus sont glorieusement projetés, et sa maîtrise
du souffle exemplaire. A peine reprochera t-on à ce ténor
trop méconnu quelques débordements vocaux, dramatiquement
injustifiés.
Méphistophélique Scarpia
de Marcel Vanaud, échappé d'une BD de Franck Miller, et dont
les apparitions terroriseraient le plus blasé des amateurs de giallo.
Vocalement assez gris, avec des sonorités rauques qui sanctionnent
un timbre éteint, le chanteur demeure un grand artiste, une bête
de scène au jeu et au chant puissamment incarnés . Imméritées,
les quelques huées qui l'attendirent au salut final. Complétant
cette distribution équilibrée, les excellents Pierre Espiaut
et Patrick Vilet sont sournois et cauteleux à souhait, en Spoleta
et en Sciarrone. Sacristain truculent et (très) bien chantant de
Jean Vendassi. Seul le fébrile Angelotti d'Olivier Naveau m'a semblé,
vocalement, un peu en retrait.
Dans la fosse, Laurent Campellone, à
la tête d'un Orchestre Symphonique de Saint-Etienne transfiguré,
attise le feu avec l'énergie kamikaze du pyromane. En jouant la
carte du romantisme exacerbé (des alanguissements impromptus au
soulèvement brutal de la houle orchestrale...), sa direction n'est
pas sans rappeler celle de Giuseppe Sinopoli, dans la version DG. Assez
excitant d'un point de vue sonore, le tout ne va pas sans quelques brusqueries,
ni chutes de tension. Sans doute le jeune chef devra-t-il veiller à
l'avenir à ne pas couvrir ses chanteurs, ni à les mettre
en difficulté par des tempi trop lents. Mais en zébrant
l'arche dramaturgique de flaques de violence, et de passion, en immobilisant
en songes orgiaques le chant d'amour de Tosca, il fait jaillir les beautés
farouches d'une partition que l'on dit souvent bruyante. Cette Tosca nous
l'avons entendue rouge sang, rouge désir, brûlant poème
de l'amour et de la mort ; jamais bruyante.
A l'entracte, alors que le public se
dirigeait vers la sortie, je surpris une conversation entre un monsieur
sans âge et son épouse. D'une voix de stentor, le mari regrettait
l'ancien directeur musical de l'opéra de Saint-Etienne, Patrick
Fournillier. J'osai le contredire : "Vous savez, Campellone sera sans doute
l'un des grands chefs de demain". Et lui de me répondre, fièrement
dressé sur ses ergots : "Sans doute pas, une cloche reste toujours
une cloche". Et bien si cloche il y a, que l'on me permette de penser que
les cloches romaines, en ce vendredi de juin, ont sonné non point
assommant, mais superbement exultant.
Arnaud BUISSONIN
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