UNE DERNIERE POUR LA ROUTE !
A peine un an après sa précédente
reprise, revoici l'une des vaches à lait les plus sûres de
Bastille ; une production "cheap", des interprètes qui n'auront
guère le loisir de répéter, une direction théâtrale
inexistante et, à l'arrivée, une salle pleine tous les soirs
: pourquoi se priver...
Malgré cela, la distribution
réunie cette saison réserve quelques bonnes surprises et
en particulier celui de découvrir, enfin, la Violetta d'Inva Mula
à Paris.
Ayant incarné le rôle
avec grand succès dans bon nombre de salles prestigieuses, la cantatrice
albanaise n'a aucun mal à convaincre dans chacune des facettes du
rôle.
Certes, le timbre n'est pas des plus
opulents et sans doute plus proche de celui d'une mozartienne que d'une
authentique verdienne. Mais ces réserves comptent peu face à
un engagement véritable, servi par une excellente technique vocale
: pianissimi, piqués, trilles ou variations dynamiques ne
lui posent aucun problème, jusqu'à un rapide contre-mi
bémol qui vient clore le premier acte.
La coloration seule reste un peu plus
limitée, mais compensée par une interprétation juste
et sensible : ainsi le second verset de l'"Addio al Passato" est-il admirablement
traité dans une progression dramatique tout en finesse et qui évite
tout excès vériste.
En dépit de ces qualités,
l'émotion n'est pas complètement au rendez-vous : il faut
dire que cette énième reprise s'apparente plutôt à
un rassemblement hétéroclite d'interprètes qu'à
une véritable démarche théâtrale.
Quatre après ses débuts
à Paris aux côtés de Cristina Gallardo Domas et dans
cette même production, Rolando Villazon nous revient en Alfredo.
Le ténor mexicain est toujours
aussi sympathique, mais ceci ne doit pas nous aveugler sur un certain nombre
de réserves vocales. Les unes, anciennes : une voix un peu trop
placée dans le nez, un volume vocal parfois insuffisant au regard
des dimensions et de l'acoustique du lieu et un tempérament légèrement
excessif pour le rôle ; d'autres plus récentes, comme une
intonation pas toujours très juste.
Le "Bollente spiriti" manque de legato
(la faute aux tempi métronomiques et trop vifs de Lopez-Coboz)
mais la cabalette qui suit (sans reprise) est excitante (quoique
dépourvue du contre-ut traditionnel). L'interprète continue
à nous séduire par sa juvénilité et son engagement,
mais sans réaction salutaire, le rôle d'Alfredo appartiendra
bientôt au passé.
Comme l'année précédente,
Roberto Frontali incarne un modeste Germont. Une prestation en tout point
comparable appelle-t-elle un autre commentaire ? Comme je l'écrivais
voici un an, "Roberto Frontali chante honnêtement, mais sans génie
les belles pages de Germont : il retrouve lui aussi un couplet de sa cabalette
de l'acte II, encore plus rarement donnée à la scène.
Le volume de Bastille ne lui pose pas trop de problèmes, mais le
style est un peu relâché. Quant au timbre, nasal, j'ai eu
un peu de mal à reconnaître la voix jadis claironnante de
ce baryton.". Pour être honnête, je dirai que le timbre
m'a semblé un peu moins nasal cette saison, mais qu'en revanche,
certains aigus étaient un peu bas.
A la tête de l'Orchestre de l'Opéra,
Jesus Lopoz Cobos impose des tempi parfois un peu trop rapides,
notamment dans la partie (théoriquement) lente de "E Strano" au
premier acte, et dans le "Bollente Spiriti" déjà mentionné
ou encore la quasi-totalité de la fête chez la Flora (il faut
le faire !). Sa formation répond, heureusement, à merveille,
et contribue à donner à la représentation une sorte
de sentiment d'urgence, à défaut d'un véritable approfondissement
dramatique.
A son actif, Lopez-Cobos rétablit
un certain nombre de coupures (la reprise de la partie lente du premier
air de Violetta, la cabalette de Germont ou les deux couplets de
l'"Addio al Passato".) ainsi que certaines nuances écrites, mais
pas toujours respectées par la tradition (telle l'alternance staccato/largo/staccato
du final de la scène 2 de l'acte II sur laquelle Arturo Toscanini
fit transpirer ses musiciens comme en témoignent les enregistrements
conservés de ses répétitions).
Nous ne reviendrons pas sur la production,
amplement critiquée à l'occasion de la précédente
reprise (V. notre critique). On
ne peut que se féliciter de la décision de Gérard
Mortier de nous en débarrasser à la prochaine occasion :
quel que soit le metteur en scène retenu, on imagine mal qu'il puisse
faire quelque chose de plus médiocre. Voilà un spectacle
qu'on ne regrettera pas !
Placido CARREROTTI