......
|
PARIS
15/10/2006
© Opéra de Paris
Hector Berlioz (1803 - 1869)
LES TROYENS
Opéra en cinq actes et neuf tableaux (1815)
Livret du compositeur d’après L’Enéide de Virgile
Mise en scène, décors,
costumes et lumières : Herbert Wernicke
Réalisation 2006
Mise en scène : Tine Buyse
Décors : Joachim Janner
Costumes : Dorothea Nicolai
Lumières : Olaf Winter
Dramaturgie : Xavier Zuber
Deborah Polaski : Cassandre et Didon
Jon Villars : Enée
Gaële le Roi : Ascagne
Frank Ferrari : Chorèbe
Elena Zaremba : Anna
Kwangchul Youn : Narbal
Nicolas Testé : Panthée et Mercure
Eric Cutler : Iopas
Bernard Richter : Helenus et Hylas
Direction musicale : Sylvain Cambreling
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine et Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Paris, Opéra Bastille, le dimanche 15 octobre 2006
|
Une production en noir et gants
Quelles que soient les insuffisances dénoncées par la
critique et vilipendées sur les forums en ligne par les oreilles
chatouilleuses des aficionados, Les Troyens
sont un événement bien rare à l’Opéra
national de Paris. Le public présent dans une salle quasi comble
pour la matinée dominicale a écouté avec
recueillement près de quatre heures de musique. Et, lui,
n’a pas boudé son plaisir.
Présentée dans la lettre d’information de
l’ONP comme un hommage à Herbert Wernicke, metteur en
scène allemand, disparu en 2002 (Lire l’hommage
de Camille de Rijck), cette production, à peu de choses
près, est une reprise de celle du festival de Salzbourg de
l’an 2000 (télévisée à sa
création). La suppression des ballets et quelques coupures
habiles respectent néanmoins l’équilibre musical.
La mise en scène est fondée sur deux idées
visuelles fortes. Espace scénique clos par une gigantesque
muraille blanche, fendue d’une haute brèche,
étroite ouverture sur l’extérieur et voie unique
des entrées et sorties des personnages ; choix de costumes
stylisés, en noir et gants : gants rouges comme le sang
pour les Troyens, bleus comme les mers du Sud pour les Carthaginois.
Ceci afin de situer le choc de ces deux civilisations dans un
vingtième siècle suggéré plus que
représenté.
Grâce à un bon travail de lumière, aux symboles
entraperçus et à quelques projections, ce qui se passe
derrière la muraille reste en retrait et le drame humain intime
prédomine. L’apparition du fameux cheval est
carrément escamotée. Mais certaines scènes restent
gravées dans la mémoire : le dépôt des
armes en cercle autour de Cassandre au moment de la reddition de Troie
ou encore le dialogue poignant entre Cassandre et les Troyennes qui se
termine par un suicide collectif après la fuite d’une
minorité de femmes sur un impitoyable « Honte sur
vous, sortez ! » lancé par Cassandre.
En dépit de passages tournoyants qui finissent par lasser, comme
le dépôt des offrandes aux dieux, les mouvements des
choristes et figurants sont maîtrisés plastiquement.
Très peu individualisée, la foule telle une masse
mouvante se déverse sur le plateau d’où elle
s’écoule ensuite à la manière d’un
flux liquide.
La brutalité militaire se manifeste selon
l’esthétique d’allusion au fascisme,
récurrente chez Herbert Wernicke (on remarque notamment les
longues capotes doublées de rouge et les képis
rigoureusement identiques à ceux de son Jules César
datant de la même période). Aujourd’hui, pour en
avoir tant vu à l’opéra, et hélas aux
actualités, on se passerait volontiers des irruptions
d’hommes casqués menaçants et des fusils
braqués.
La transposition temporelle ajoutée à la subtile ironie
second degré, toujours présente dans le travail du
metteur en scène allemand, n’est d’ailleurs pas sans
effets pervers. Certains spectateurs sont choqués par
l’imprécation finale d’une foule en costumes
modernes, et chantant en agitant de petits drapeaux « Haine
éternelle à la race d’Enée !
Qu’une guerre acharnée précipite à jamais
nos fils contre ses fils ! » Ils y voient une incitation au
racisme évidemment bien loin des intentions de Berlioz.
Sylvain Cambreling, qui dirigeait également à Salzbourg,
conduit l’orchestre avec précaution sans se laisser
déborder par les déchaînements berlioziens. Dans La prise de Troie,
sa tendance à retenir les passages les plus fougueux et
dramatiques, sans doute par crainte de la grandiloquence,
l’empêche d’atteindre la grandeur. Dans Les Troyens à Carthage,
avec des tempos toujours un peu trop lents, Cambreling donne une
lecture sensible et fouillée de cette partition foisonnante et
contrastée, passant constamment du monumental à la plus
tendre des élégies. Globalement, une prestation
plutôt réussie qui semble avoir permis au chef
français de regagner la confiance des musiciens. L’ovation
du public parisien, en fin de concert, est sans nul doute un baume
après une saison houleuse.
Loin de démériter en Cassandre, Deborah Polaski est
davantage à son affaire dans le rôle de Didon. Plus
qu’un problème de tessiture, c’est une question
d’interprétation. Sa Cassandre est
hébétée plutôt qu’hallucinée,
égarée plutôt que révoltée. Son
« Tu ne veux rien comprendre » lancé
à Chorèbe manque de rage. Par contre, pour incarner la
reine de Carthage, la soprano américaine possède toute la
majesté, la douceur et la féminité souhaitables.
Sa puissante voix de wagnérienne sait se faire émouvante
surtout quand elle est sur le fil, prête à se
briser… Mais l’on aimerait plus de variété
de couleurs et une réaction plus viscérale quand elle est
abandonnée par son amant.
Deborah Polaski forme avec Jon Villars un couple harmonieux, de haute
taille et d’une grande élégance naturelle. Sourds
aux déluges de feu guerrier — transposition de
l’orage — dans la scène dite de la chasse royale et
contenant une émotion visible dans le merveilleux duo
« Nuit d’ivresse et d’extase
infinie » leur mutuelle fascination amoureuse sans surcharge
gestuelle inutile laisse à la musique toute sa place.
Malheureusement le ténor a des difficultés vocales
qu’il doit constamment contrôler pour pouvoir arriver au
bout de son rôle, qu’il sait très exigeant au
dernier acte. La voix est légèrement
éraillée, les aigus sont difficiles, le timbre est plat,
la diction française imprécise, souvent
incompréhensible. Dommage.
Grâce aux talentueux Nicolas Testé (Panthée et
Mercure), Eric Cutler (Iopas) et surtout Bernard Richter (Hylas),
dans des rôles il est vrai très limités, le bonheur
d’entendre de belles voix de ténor chanter Berlioz nous
est cependant accordé.
La curieuse prestation de la mezzo Elena Zaremba (Anna) dont le timbre déplaisant et le vibrato
fâchent les oreilles, nous prive de goûter le magnifique
duo des deux sœurs. Frank Ferrari (Chorèbe) n’est
pas à son meilleur dans un rôle d’amoureux
élégiaque qui ne lui convient guère. Quant
à Kwangchul Youn (Narbal), il confirme qu’il est la basse
qui monte à l’Opéra de Paris !
Brigitte Cormier
|
|