CELESTE
EMPIRE
Cette reprise d'une production de Franco
Zeffirelli datant de 1987 possédait au moins deux atouts : la présence
au pupitre du chef français Bertrand de Billy, trop rare en France
et surtout à Paris et, dans le rôle-titre, celle d'Andrea
Gruber, qui nous avait tant éblouis à Bastille
en décembre 2002.
Hélas, trois fois hélas,
cette magnifique chanteuse ayant déclaré forfait pour cause
de maladie, c'est Rebecca Copley qui la remplaça...
Cette production de Zeffirelli, on
le sait, fit à la création couler beaucoup d'encre et fut
taxée, plutôt à juste titre, de "kitsch". Il n'empêche
qu'avec le recul et compte tenu des aberrations qui, depuis, n'ont cessé
d'envahir les scènes d'opéras de France et de Navarre, la
retrouver aujourd'hui a quelque chose de rafraîchissant... Certes,
la chorégraphie est un peu désuète parfois, et les
décors assez massifs et un rien surfaits. Il n'empêche que
la splendeur des costumes, réalisés avec grand soin dans
des matières nobles (le tomber impeccable de la soie et son chatoiement
sous les éclairages sont reconnaissables entre tous), une grande
recherche jusque dans le moindre accessoire, les mouvements de foule efficaces
et parfaitement réglés, évoquent irrésistiblement
les mémorables superproductions hollywoodiennes des glorieuses années
40-50, à ce jour inégalées. A ce titre, la fameuse
"scène des énigmes", à l'acte II, dans des dégradés
pastel de bleu et de vert, est un véritable morceau d'anthologie.
Que les détracteurs des "chinoiseries"
se rassurent, nous ne verrons sans doute plus désormais ce genre
de mise en scène, les matières synthétiques ayant
remplacé désormais la soie et les broderies n'étant
plus incrustées mais collées. "Chinoiserie" ? Peut-être,
mais raffinée et témoignant d'une grande culture de la part
de Zeffirelli. N'oublions pas que la Chine est présente dans la
partition de Puccini, tout comme le Japon dans celle de Madame Butterfly,
et que sans verser totalement dans la représentation d'un "Céleste
Empire" de pacotille (ce que cette production n'est pas non plus), il est
impossible de faire l'impasse sur cette composante de l'oeuvre.
Bertrand de Billy l'a d'ailleurs fort
bien compris et sa lecture transparente et souple, délicatement
teintée d'orientalisme et très attentive aux chanteurs, évite
les excès dans lesquels nombre de ses confrères ont souvent
sombré, à savoir tonitruance et recherche de l'effet. Le
résultat est étonnant et l'orchestre du Met en grande forme
fait entendre des sonorités assez inhabituelles, avec une belle
mise en relief du caractère "sinisant" de l'oeuvre.
La Turandot de Rebecca Copley est efficace,
à défaut d'être séduisante et nuancée,
et les aigus, souvent émis à l'arraché, sont un peu
stridents. Accordons-lui cependant les circonstances atténuantes
liées au "stress de la remplaçante de dernière minute".
Johan Botha, habitué du rôle,
est un superbe Calaf, puissant mais raffiné, il en assume sans problème
la redoutable tessiture.
Mais c'est certainement dans l'incarnation
de Liù par Krassimira Stoyanova que réside la grande découverte
de la soirée. Cette jeune soprano qui fit ses débuts au Met
en 2001 dans le rôle de Violetta, a également chanté
Mimi à Bastille et est annoncée cette saison dans Léonore
du Trouvère à Washington, Elettra d'Idoménée
à Berlin et Vitellia à Aix. Voilà une voix corsée,
fruitée, émise sans effort apparent, qui fait montre d' un
contrôle total sur toute la tessiture et, ce qui ne gâche rien,
au service d'un style raffiné et d'un rare pouvoir d'émotion.
Sa mort est un des sommets de la représentation et le public du
Met ne s'y trompe pas, lui réservant un véritable triomphe.
Citons encore le noble Timur de la
basse chinoise Hao Jiang Tian et les formidables Ping, Pang, et Pong, avec
une mention spéciale pour le Ping du baryton - également
chinois - Haijing Fu.
Pour conclure, il convient de saluer
le formidable choeur du Met, d'une précision et d'un lyrisme exemplaire.
Décidément, il est des
reprises qui dégagent un délicieux parfum de nostalgie !
(*)
Juliette BUCH
(*) Il existe un DVD de cette production,
paru chez DG, avec la distribution de la création, à savoir
Eva Marton, Placido Domingo, Leona Mitchell, Paul Plishka, placés
sous la direction de James Levine.