Pour
cette production de Turandot, Zeffirelli nous propose ici une Chine
de contes de fées, colorée et fastueuse, certainement une
des plus spectaculaires productions du répertoire du Met.
C'est aussi une des productions
les plus académiques : les amateurs d'introspection ou de modernité
en seront pour leur frais ; pas d'amazones ou d'eunuques comme à
Bastille, mais serpentins et dragons chinois !
Créée en 1987
pour Eva Marton et Placido Domingo (on notait les débuts d'Aprile
Millo pour le dernière représentation, succédant à
Leona Mitchell) et maintes fois reprises depuis, cette production a vu
quelques saisons mémorables (un affrontement Jones /Stratas en 92,
les émouvants débuts dans ce rôle au Met d'un
Luciano Pavarotti malade en 97 (et oui !), face à Jane Eaglen, et
bien d'autres).
Abordant le XXIe siècle,
la production n'a pas pris une ride, rencontrant toujours un immense succès
populaire.
L'oeuvre bénéficie
par elle-même d'un surcroît récent d'intérêt
dans le grand public, grâce à la notoriété relativement
récente de "Nessun dorma", en passe de supplanter "Toréador
prends garde !".
Le premier acte nous propose
un décor d'échoppes reliées par des petits ponts de
bois, à peine éclairée par quelques lampions ; c'est
dans cette demie pénombre que rampe un peuple soumis, vêtu
de haillons et que nous retrouverons au début de l'acte III.
L'arrivée de Turandot
nous vaut un gigantesque baldaquin émergeant spectaculairement derrière
le décor, puis s'enfonçant à nouveau après
le refus de grâce par l'impitoyable princesse.
Le début du second
acte (les lamentations du trio Ping, Pang, Pong) se contente d'une toile
peinte aux couleurs flamboyantes : bien entendu, celle-ci se lève
pour la scène des énigmes, faisant place à un des
décors les plus fastueux que le Met puisse proposer et qui déclenche,
bien entendu, les applaudissements de la salle. Costumes somptueux, figurants
nombreux (danseurs et acrobates) : c'est spectaculaire, un peu tape-à-l'oeil,
mais évitant le mauvais goût, trop fastueux pour être
clinquant.
Cette reprise voit les débuts
au Met de l'imposante Audrey Stottler, voix d'airain aux aigus impressionnants,
qui triomphe sans effort apparent de ce rôle écrasant. Mais
cette princesse est aussi capable de nuance et son endurance lui permet
d'offrir de beaux piani au dernier acte et de rendre crédible
la transformation par l'amour de la jeune fille sanguinaire.
Seul regret, une ligne de
chant pas toujours impeccable (certaines phrases, un peu hachées,
réclameraient une meilleure maîtrise du legato) : reproche
mineur face à la difficulté du rôle.
Vladimir Galouzine, dont
j'attendais beaucoup, déçoit en Calaf.
Il y a certes encore quelques
aigus vaillants (les 2 contre-ut de l'acte II ne sont nullement
escamotés), mais toujours raides et en force, sans respect de la
ligne de chant (la note précédente est souvent écourtée
pour préparer l'aigu qui suit) : nous sommes loin d'un spinto
en pleine possession de ses moyens. Ne parlons même pas du legato,
pratiquement inexistant. Après quelques échos alarmants en
début d'année (dont une "Tosca" assez calamiteuse à
Bastille, voir notre critique du 4 juin
2002), Galouzine semble maintenant sur une pente inexorablement
descendante : usure du temps ou fréquentation intensive de rôles
très lourds, cette voix paraît définitivement altérée.
Il faut bien reconnaître, enfin, que son timbre très "barytonnal"
ne lui permet guère de briller : le "Nessun dorma", tube de la soirée,
laisse sur sa faim un public habitué à des voix plus brillantes.
Habituée du rôle
Hei-Kyung Hong est une superbe Liu, alliant sûreté technique
et engagement. Malgré un physique en adéquation avec la fragilité
du personnage, la voix est suffisamment grande et bien timbrée pour
remplir l'immense salle. "Signore ascolta" est une merveille finement ciselée,
qu'elle conclut par un aigu pianissimo parfait, enflé, puis
mourrant sur un souffle. "Tu che di gel " est un autre moment de bravoure,
d'une intense émotion.
Hao Jiang Tian est un excellent
Timur ; Ping, Pang et Pong sont irréprochables ; enfin, la réussite
ne serait pas complète sans la direction inspirée de Carlo
Rizzi, décidément à l'aise dans le répertoire
"puccino-vériste" : il sait en maîtriser la richesse orchestrale
sans couvrir les voix et en respectant la théâtralité
de l'oeuvre.
Placido Carrerotti