LA FIN DES ARRIGO
Ou : vive les versions françaises originales
!
Suite au désistement de Samuel
Ramey, l'Opéra de Paris proposait deux basses en alternance : Vitalij
Kowaljow pour les premières et Ferrucio Furlanetto pour les suivantes.
Quelques problèmes de santé ayant conduit au remplacement
de Marcello Giordani par Luca Lombardo (notamment dès le 25 juin
pour la troisième représentation), la présente critique
ne traite en profondeur que des artistes de cette seconde distribution,
la première étant traitée dans la critique de Christian
Peter : http://www.forumopera.com/concerts/vespres_bastille.htm.
Le cas Luca Lombardo reste pour moi
une énigme...
Timbre ensoleillé, style impeccable,
phrasé parfait, legato impeccablement contrôlé: on
a du mal à comprendre pourquoi ce chanteur ne fait pas une carrière
internationale.
Certes, la voix manque un peu de puissance
: cela n'a pas empêché des chanteurs comme Giuseppe Sabbatini
de faire carrière dans quelques unes des plus grandes salles d'opéra.
De toute façon, tous les théâtres ne sont pas gigantesques
et, même parmi les plus grands, certains ont des acoustiques très
favorables aux voix : Vienne, la Scala, le Liceo, Covent Garden, voire
le Metropolitan, ne poseraient a priori pas de problèmes à
ce chanteur pour se faire entendre.
L'aigu n'est pas non plus le point
fort de Luca (il transpose la courte phrase que Giordani conclut par un
splendide contre ré) : mais comme Lombardo ne semble jamais
en difficulté avec la tessiture, on ne connaît pas vraiment
sa limite dans le registre de ténor (et puis un ténor ne
se limite pas à un contre ut : dans son répertoire,
Alain Vanzo a fait une carrière internationale honnête).
De plus, tout ceci n'a pas empêché
Lombardo d'interpréter (mais toujours en tant que remplaçant)
Don José ou Hoffmann à Bastille, sans parler de rôles
autrement périlleux comme l'impossible Sigurd en Province.
En fait, tout le problème de
Lombardo est là : il n'ose pas; il manque de charisme, de hargne,
de volonté de gagner ... bref son ego n'est pas à la mesure
de ses moyens.
Qu'est-ce qui empêche Luca Lombardo
d'être Don José, Hoffmann, etc., sur toutes les petites (par
la taille) scènes d'Italie, d'Allemagne ou d'Autriche : Parme, Turin,
Rome, Bologne, Berlin, Vienne ? Absolument rien sinon la volonté
de le faire.
Comme disait (à peu près)
Renata Scotto : "Quand on est jeune, mieux vaut chanter des grands rôles
dans de petits théâtres que des petits rôles dans de
grandes salles".
Souhaitons que Luca Lombardo suive
ce conseil.
Sondra Radvanovsky est un autre mystère,
mais dans un registre différent : "grosse" voix, tessiture étendue,
engagement, etc., mais aussi une absence totale de variations dans la coloration,
un type d'émission vocale figée (nulle surprise; une note
= un son, prévisible en fonction de la hauteur de la note et de
la voyelle, quelque soit la situation dramatique), une articulation déficiente
(mais avec une très nette amélioration au fil des représentations,
ce qui témoigne d'un certain manque de préparation); bref,
la question est : avec de tels moyens et une aussi pauvre technique, cette
chanteuse arrivera-t-elle à mener une carrière sur le long
terme ?
Succédant à Vitalij Kowaljow,
Ferrucio Furlanetto incarne un Procida fanatique et inquiétant,
un Ben Laden à la sicilienne. On est bien loin de la basse slave,
monolithique et bonhomme, bien chantante mais semblant ne comprendre goutte
à la situation! Les tares vocales de Furlanetto n'ont pas changé,
en particulier une voix complètement engorgée, émise
en arrière; disons qu'avec les années (car cela doit bien
faire près de 20 ans que j'entends ce chanteur sur scène),
ces défauts passent au second plan tant j'y suis habitué.
En revanche, il faut souligner l'absence de dégradation vocale (Ramey
n'aurait malheureusement pu en dire autant) et surtout, une interprétation
proprement hallucinée ayant véritablement gagné en
profondeur par rapport à sa prestation dans la version italienne
de la Scala en 1989 avec Muti.
J'aurais mauvaise grâce à
émettre des réserves sur le Montfort d'Anthony Michaels-Moore
tant je trouve cet artiste sous employé : là encore, la qualité
du chant vient compenser un timbre un peu quelconque; pourtant, je trouve
cet artiste plus à son aise dans les Verdi de jeunesse (Attila,
La Battaglia di Legnano, Macbeth ...) que dans les oeuvres plus tardives.
Ajoutons qu'au soir du 15 juillet (et
suite à une cascade de spectacles annulés pour cause de grèves
des intermittents), nous avons droit à quelques trous de mémoire
(rien en comparaison de la soirée du 11 juillet, où les duos
avec Giordani devenaient trios avec souffleur obligato audible
du premier balcon !).
Les seconds rôles sont TOUS excellents
: je voudrais juste mentionner Christophe Fel qui lui aussi ne me semble
pas mener la carrière qu'il mérite, tant il semble avoir
intégré la tradition des basses françaises.
La direction de James Conlon a séduit
la majorité des spectateurs et bon nombre de critiques; je l'ai
moi-même été à la première écoute
; après trois représentations, je pense que le chef américain
est ici simplement meilleur que d'habitude : les tempi sont vifs
(mais c'est écrit comme ça) et l'orchestre peut facilement
briller; en revanche, les passages élégiaques sont totalement
sabotés (bref, pour comprendre ce que je peux reprocher à
Radvanovsky et Conlon, procurez-vous l'enregistrement de la version italienne
avec Renata Scotto et dirigée par Muti, écoutez "Arrigo !
Ah ! Parli a un core" et si vous ne voyez pas la différence, je
vous suggère la réincarnation).
Un mot sur la mise en scène
que j'ai trouvée finalement moins dramatique que ce à quoi
je m'attendais après la lecture des réactions de quelques
spectateurs.
Choeurs de militaires français
en képis coloniaux, siciliens en tenue de ville ... le démarrage
pouvait faire craindre une transposition en forme de pensum sur
la guerre d'Algérie.
Fort heureusement, les audaces de
Serban s'évanouissent dès l'ouverture (du rideau) et en dépit
de quelques costumes "dans le style" (notamment des robes blanches très
"années 40"), il n'y a pas de quoi en faire un douar : bref, on
appréhendait "Avoir 20 ans dans les Aurès", ce fut "Le Gendarme
et les Conspirateurs". A noter le ratage intersidéral de la scène
finale : un loupé intégral anthologique.
Le plus difficile à digérer
reste encore les interviews accordées par Serban, dans lesquelles
il exprime tout le mépris qu'il porte à cette oeuvre ? mais
rassurez-vous, ça ne l'empêchera pas d'encaisser son chèque
! D'aucuns répliqueront qu'on a recours à un metteur en scène
réputé justement parce qu'il s'agit d'une oeuvre un peu mineure
(quant au livret, car mélodiquement, c'est une des plus riches),
mais force est de rappeler que Monsieur Serban n'était pas obligé
d'accepter ce contrat, cela s'appelle "cracher dans la soupe" : justifier,
a posteriori, la médiocrité d'un travail par sa difficulté
ne peut guère attirer notre estime. Mais nous perdons notre temps,
tant la collaboration récente d'Andrei Serban avec l'Opéra
de Paris aura été féconde... en spectacles quelconques
ou vulgaires.
Enfin, que dire des "mouvements chorégraphiques"
que nous devons à Laurence Fanon ? Sinon relever que c'est là
sa troisième collaboration avec l'Opéra de Paris, après
une triste Veuve Joyeuse et une grise Kovantchina, sans s'appesantir
davantage, cela ne vaut pas la peine de s'acharner...
Placido Carrerotti