Créée en 1974 avec Montserrat
Caballé, Nicolai Gedda, Sherrill Milnes et Justino Diaz, la présente
production des Vespri Siciliani n'avait plus été vue
au Metropolitan depuis 1982 (1).
La mise en scène minimaliste
de John Dexter n'a pas pris une ride : un immense escalier tel qu'on en
voit dans les villes de Sicile, à la couleur noire près (2),
auquel vient s'ajouter, suivant les scènes, des éléments
complémentaires symbolisant les lieux de l'action (tour, grille,
etc.). Bref, on dirait la récente production de Serban pour Bastille,
mais en négatif.
Les Siciliens sont en noir ; les Français
en bleu ; les costumes vaguement moyenâgeux.
Le spectacle vaut surtout pour une
utilisation très étudié d'éclairages qui sont
le véritable moteur de la mise en scène.
Sans atteindre les sommets des distributions
précitées, les chanteurs de cette nouvelle édition
sont loin de démériter.
Entendue à Bastille en 2003
dans la version française, Sondra Radvanovsky est encore plus à
l'aise qu'à Paris (on n'avait d'ailleurs pu remarquer à cette
occasion qu'elle progressait au fil des représentations).
Les problèmes de justesse semblent résolus, la chanteuse
sait faire preuve de nuances et varie les colorations. Ajoutez à
cela un formidable contre mi à la fin du boléro et vous obtenez
une salle en délire.
Francisco Casanova avait, lui aussi,
interprété la version française, mais en concert à
Amsterdam. Cet artiste, au français excellent, se révèle
encore meilleur dans la version italienne du rôle. La voix a gagné
en volume, elle est également mieux projetée, certaines outrances
véristes entendues hier sont totalement gommées. Quant à
la tessiture, elle ne lui pose aucun problème (on regrette au passage
la coupure de sa courte strette qui suit le Boléro : il aurait été
intéressant de voir comment le chanteur gère le contre ré
final). Stylistiquement, certains accents font carrément penser
à l'art d'un Bergonzi.
C'est également à Bergonzi
que l'on pense quant à la tenue de scène. Le chanteur italien
était passé maître dans l'art de faire passer les trains,
bras gauche écarté, main droite sur le rognon. Avec Casanova,
on fait même plus fort : le chanteur enlevant rarement les mains
de ses poches et ne tournant pratiquement jamais la tête, on pense
à Danny de Vito dans le Pingouin de Batman.
A l'ère des "chanteurs-qui-ont-le-physique-du-rôle",
Casanova part avec un handicap certain : comment expliquer sinon pourquoi
cet artiste ne mène pas la carrière internationale qu'il
mérite ?
Le vibrato de Samuel Ramey atteint
maintenant de telles proportions que le Metropolitan envisage d'interdire
l'accès aux épileptiques. Fort heureusement, après
un air d'entrée qui donnerait le mal de mer aux coeurs les mieux
accrochés, la voix finit par se stabiliser et l'artiste s'en tire
grâce à sa prestance et à sa musicalité. Un
conseil : chauffer la voix une heure de plus.
Leo Nucci est la seule raison qui justifie
cette reprise en italien. Malgré son âge, ce chanteur reste
un sommet de bel canto et d'intelligence, sensible au mot comme à
la beauté de la ligne de chant.
Au-delà des performances individuelles,
il faut signaler des ensembles, et en particulier des duos, absolument
miraculeux. Chanter magnifiquement, c'est une chose. Le faire à
plusieurs, ça n'arrive pas tous les jours. De ce point de vue là
surtout, il faut saluer le travail des quatre principaux protagonistes.
Glissons sur les seconds rôles,
très corrects comme souvent au Met : ils n'ont franchement pas grand
chose à dire dans cet ouvrage.
La direction de Frédéric
Chaslin : des tempi nerveux, une vraie urgence dramatique, couplés
à une véritable attention envers les chanteurs dont il accompagne
les acrobaties vocales avec un dévouement digne de Richard Bonynge.
Dans l'hypothèse assez improbable d'une reprise de la production
de Bastille, espérons que Paris pensera à lui ; mais les
bons chefs français sont rarement prophètes en leur Opéra
National (3).
Placido Carrerotti
1. Parmi
les artistes qui ont été entendus dans cette production (vue
également à Hambourg et Paris sous Liebermann), on peut citer
en vrac : Domingo, Gedda, Bonisolli, Caballé, Arroyo, Deutekom,
Scotto, Milnes, Raimondi, Soyer, Diaz et Plishka.
2. A noter, néanmoins, qu'on
chercherait en vain ces typiques ruelles dans Palerme même.
3. Stéphane Denève a
claqué la porte la saison passée ; Patrick Fournillier, pourtant
dévoué serviteur du répertoire français, n'y
a jamais mis les pieds mais il dirige régulièrement en Italie
; Emmanuel Vuillaume conduit Domingo, mais à Washington ; Manuel
Rosenthal eut juste le temps de voir son nom dans le programme de Bastille
avant que Padmavati ne soit annulé ; et ne parlons même
pas de Michel Plasson !