Déçu
du Voyage
Le "festival" Gergiev de l'automne
parisien se termine par le trop rare Voyage à Reims, une
des plus intéressantes redécouvertes du Rossini Opera Festival
de Pesaro dans les années 80 (1). La demande du
public parisien a été si forte que le Châtelet a doublé
le nombre initial de représentations (4 au lieu de 2) et celui-ci
n'a pas ménagé ses applaudissements à une production
en définitive fort moyenne.
Fort honnêtement, le Mariinski
avait annoncé la couleur : l'ouvrage était destiné
à être interprété par les jeunes artistes de
l'académie du théâtre et non par la brochette de stars
que la partition réclame a priori (2) . En septembre
1997 à Royaumont, Alberto Zedda avait su démontrer que l'ouvrage
pouvait être très correctement rendu par de jeunes chanteurs
bien préparés : tous les espoirs étaient donc permis.
Ici, il faut vite déchanter : les voix sont franchement minuscules,
le style hors de propos et les vocalises appliquées ; finalement,
les chanteurs ne trouvent leurs marques que dans la dernière demi-heure
qui rachète une partie de notre déception initiale.
Parmi les artistes tirant leur épingle
jeu, on notera pour les hommes le Don Alvaro d'Alexeï Safiouline à
la belle prestance et au baryton impérieux.
Daniil Shtoda devra attendre ces dernières
interventions pour impressionner en Conte di Libenskof grace à quelques
beaux aigus, en particulier dans le duo final avec Melibea. Mais le chant
est sans noblesse, et en ce qui concerne la tenue de scène, on croirait
un ours de Sibérie passé à l'ouest à l'occasion
d'une tournée du Cirque de Moscou.
Son confrère ténor Dmitri
Voropaev est l'insipidité incarnée en Belfior : petite voix
nasale, courte et sans aigu ni legato. Aussitôt entendu, aussitôt
oublié (comment s'appelle-t-il déjà ?).
Nikolaï Kamenski est un Don Profondo
sympathique sinon belcantiste. Totalement dépassé en revanche,
le Lord Sydney d'Edouard Tsanga dont le grand air est abrégé
au grand soulagement de tous.
Vladislav Ouspenski est un Trombonock
presque sans voix et, ce qui est bien pire s'agissant du maître de
cérémonie du spectacle, totalement dépourvu d'humour
et de folie.
Chez les dames, on est dans l'ensemble
un peu plus gâté. Larissa Youdina est une Comtesse de Folleville
au timbre de colorature extra-light, mais sans le registre suraigu que
l'on associe généralement à ce genre de voix.
Irma Guigolachvili est une Corinna
bien chantante au timbre ample et généreux.
Anna Kiknadze est un mezzo agréable
dont le duo final avec Libenskof sera d'ailleurs un des morceaux les plus
légitimement applaudis.
Valery Gergiev dirige en sourdine un
orchestre placé en fond de scène : sa lecture un peu trop
sage et sérieuse n'apporte pas grand-chose à Rossini ; de
plus, les passages fortissimo laissent trop la part belle aux cuivres,
donnant une impression assez mal venue de fanfare municipale.
En revanche, on admirera les prestations
des instrumentistes solistes, absolument sans faille.
La mise en scène d'Alain Maratrat
devait relever le défi de renouveler le spectacle particulièrement
abouti de Luca Ronconi. Elle n'y parvient qu'à moitié, flirtant
un peu trop avec le style Broadway. Une impression accentuée par
la présence sur scène de l'orchestre, tout habillé
de blanc.
Le décor est simple : mur et
plancher blancs et scène close par un gigantesque escalier (là
encore, on songe aux comédies musicales hollywoodiennes). Quelques
praticables installés au parterre permettent aux chanteurs d'évoluer
dans la salle (on songe cette fois à la production de Ronconi).
Côté costumes, on remarquera
en particulier les tenues spectaculaires de Corinna et de la Comtesse de
Folleville.
Théâtralement, on pourra
être étonné de certains partis pris. Ainsi, Maratrat
fait de la Comtesse de Folleville une sorte de sotte insupportable, mi-poupée
Barbie, mi-star platine hollywoodienne. Lord Sydney, dont le musique incarne
la noblesse un peu compassée de l'empire britannique, est ici transformé
en timide maladif, n'hésitant pas à se cacher en rampant
sous le clavecin (tellement timide, d'ailleurs, qu'il ne chante pas sa
cabalette !). Quant aux autres personnages, ils sont à peine esquissés
et tentent tant bien que mal de donner l'impression qu'ils s'amusent comme
des fous, esquissant laborieusement des pas de danse de comédie
musicale.
La mise en scène finit d'ailleurs
par s'essouffler, les chanteurs achevant le spectacle, alignés en
rangs d'oignons.
Heureusement, la musique de Rossini
est là pour emporter le spectacle vers une conclusion chaleureuse.
Les occasions de voir ce Viaggio sont trop rares et, faute de grives, nous
nous contenterons de ces merles (2).
Placido Carreroti
Notes
1. La production de
Luca Ronconi dirigée par Abbado y fut créée en 1984,
reprise dans des distributions légèrement modifiées
à Vienne, Milan (85), Pesaro (92), Berlin et ... Ferrare. Pour cette
dernière reprise, il s'agissait d'un spectacle initialement prévu
au Théâtre des Champs-Elysées, annulé in
extremis alors que les places avaient déjà mises en vente
à des prix d'ailleurs astronomiques ! Les raisons de cette annulation
sont demeurées obscures. Cette production a su résister au
temps et au renouvellement complet de la distribution comme l'a prouvé
la dernière reprise au Théâtre
de la Monnaie.
2. Le programme précise
qu'un enregistrement vidéographique du spectacle est prévu
: franchement, ne nous donnez pas cette peine. Une seconde distribution
alterne avec la première : à notre grande honte, nous avouons
n'avoir pas eu le courage de l'affronter ...