C'est
une complicité musicale de longue date qui unit Anne Sofie von Otter
et Marc Minkowski. On se souvient de ce soir de janvier 1997 au Théâtre
de Poissy où les deux artistes offraient un Ariodante de
Haendel anthologique préservé par un enregistrement qui fit
date (DGG). Trois ans plus tard, ils se retrouveront sur la même
scène pour un nouvel ouvrage de Haendel (Hercules), avant
d'explorer d'autres univers musicaux : Monteverdi (L'incoronazione di
Poppea à Aix en 2000), et même Offenbach pour un concert
déjanté au Châtelet en 2001, spectacles que le
DVD a judicieusement préservés (1).
Les voici de retour sur une scène
parisienne avec un programme consacré à Fauré et Berlioz,
deux musiciens que la mezzo-soprano suédoise a déjà
beaucoup fréquentés : du premier elle a gravé notamment
La bonne chanson (un CD DGG) et du second, outre Les Nuits d'été,
elle a interprété à plusieurs reprises le rôle
de Marguerite dans La Damnation de Faust qu'elle a enregistré
par deux fois (2).
En revanche, ces compositeurs n'appartiennent
pas au répertoire d'élection de Marc Minkowski et cela s'entend
dès la suite pour orchestre opus 80 de Fauré qui sonne curieusement
sur instruments anciens, d'autant que L'Orchestra of the age of enlightenment
a paru en bien petite forme : cordes grinçantes et vents en désaccord
avec la justesse. Seule l'intervention extatique de von Otter pour Mélisande
song apporte un moment de grâce dans la grisaille ambiante.
Marc Minkowski © DR
Tout s'arrange avec Les Nuits d'été
dans lesquelles le chef français déroule un tapis orchestral
d'un raffinement inouï pour la voix de sa partenaire, soulignant avec
précision chaque détail, adoptant des tempi globalement
retenus et trouvant pour chaque mélodie le climat adéquat
(ah, ces effets de balancement des flots dans "L'île inconnue").
Une conception tout à fait en symbiose avec celle de von Otter que
nous connaissons déjà grâce à l'enregistrement
réalisé sous la baguette de James Levine en 1990 (DGG). Certes,
avec les ans le timbre a perdu un peu de ses couleurs mordorées
et l'aigu n'a plus sa rondeur d'autrefois tandis que le grave se dérobe,
notamment dans la phrase "tout me paraît en deuil" ("Sur les lagunes")
où la cantatrice n'est pas aidée par le diapason d'époque.
Pourtant, son interprétation a gagné en profondeur et en
intensité. On ne sait qu'admirer le plus : l'incommensurable talent
de la diseuse, sa parfaite compréhension du texte, sa diction impeccable
ou l'ineffable élégance de sa ligne de chant qui en font
la digne héritière des plus grandes interprètes de
ce cycle. Qui pourrait donner, aujourd'hui, une lecture aussi aboutie et
passionnante de ces mélodies dont le sommet est "Le spectre de la
rose" chanté dans un silence recueilli ?
L'enthousiasme retombe après
l'entracte avec une quatrième de Beethoven bien prosaïque.
Seul face à l'orchestre, Marc Minkowski se livre à une exécution,
dans tous les sens du terme, bruyante et peu nuancée, de cette symphonie.
Si sa battue est d'une grande précision, elle manque singulièrement
de contrastes. Ainsi dans le premier mouvement, le chef confond fougue
et brutalité, la rythmique en devient mécanique au lieu d'être
jubilatoire. L'adagio, sec, carré est privé de tendresse
et de poésie. Le troisième mouvement est joué fortissimo
de bout en bout. A aucun moment le chef ne parvient à animer le
discours en profondeur. Seul l'allegro final semble traversé
par quelques fulgurances beethoveniennes mais c'est déjà
trop tard. On a entendu Marc Minkowski bien plus inspiré ailleurs.
A oublier très vite. Une soirée en demi-teintes d'où
seules émergent Les Nuits d'été transcendées
par Anne Sofie von Otter.
Christian PETER
Notes
(1) L'incoronazione
di Poppea Aix 2000, un DVD Bel Air.
A Concert music by Offenbach
un DVD TDK.
(2) Sous la direction
de John Eliot Gardiner chez Philips et de Myung-Whun Chung chez DGG.