Comment interpréter la
vision de Robert Wilson ? La question jaillissait, enthousiaste, à l’issue de
la représentation de L’or du Rhin
dimanche dernier. La réponse n’a pas attendu la fin du cycle. Elle survient
immédiate à l’issue de cette Walkyrie : il n’y a pas d’explication.
Car autant le système
fonctionnait à merveille dans le prologue instaurant une tension permanente,
engendrant des images d’une grande force poétique, laissant présager par la
suite certaines révélations, autant le mécanisme s’enraye dès la première
journée. Le lyrisme intense du deuxième volet de La Tétralogie se brise contre
la lenteur du rythme, la répétition mécanique des mêmes gestes ; le message
essentiel, cette naissance de l’humanité à laquelle le spectateur assiste
bouleversé via le personnage de Brünnhilde, ne passe pas. Quelques beautés
subsistent, fulgurantes, la lumière sur les mains de Siegmund et Sieglinde
lors de l’échange de l’eau, l’apparition foudroyante de Fricka à la fin du
deuxième acte… Mais, la magie de ces instants n’efface pas l’absence d’idées
qui paralyse le reste du spectacle. La machine tourne à vide.
Pour ne rien arranger, les
deux vedettes de la production, Peter Seiffert et Petra-Maria Schnitzler,
Tannhaüser et Elisabeth sur cette même scène en avril 2004, partenaires à la
ville comme à l’opéra dans de nombreuses productions wagnériennes, éprouvent
le plus grand mal à balayer le passé et à se plier aux nouvelles règles
imposées par le metteur en scène. Le ténor surtout s’empêtre dans un mouvement
contraire à son tempérament. Seul compte alors la splendide incarnation
vocale, le métal rayonnant dont il forge Siegmund, la vaillance et l’éclat à
défaut des pigments sombres du héros. Le timbre de son épouse séduit moins
mais le personnage est plus habité encore. L’expression culmine dans un aigu
chaleureusement déployé qui incendie les adieux à la Walkyrie.
L’autre couple de l’ouvrage,
Wotan et Brünnhilde, ne se hisse pas à ce même niveau. Loin s’en faut. Linda
Watson se heurte à l’immensité du rôle. Wagner la voulait claire et juvénile ;
la cantatrice conjugue à l’inverse maturité, médium épais et acier émoussé.
Les « Hoïotoho ! » de l’entrée en font les frais d’un demi-ton, l’instrument
reste contrôlé mais l’émotion absente. Face à cette matrone, Jukka Rasilainen
confirme qu’il ne possède pas l’envergure du maître des dieux. Baryton doté
d’une faible basse, il se débat tout au long de l’opéra avec ses problèmes de
tessiture. Et, si, contrairement aux craintes exprimées dans L’Or du Rhin,
il parvient à varier l’intonation pour trouver des accents véritablement
humains, la couleur reste trop uniforme. La fin de l’œuvre le laisse à bout de
forces, recouvert impitoyablement par l’orchestre, exsangue, en accord
finalement avec la mise en scène qui, à ce moment, ne brille qu’au travers de
trois petits feux allumés sur le plateau, mais à rebours de la musique dont le
scintillement laisse entrevoir un autre brasier.
Irréprochables en revanche,
la Fricka magnétique de Mihoko Fujimura et l’impressionnant Hunding de Stephen
Milling en imposent chacun à leur manière.
Ce qu’on perd (beaucoup)
d’un côté, on le gagne (un peu) de l’autre. La direction de Christoph
Eschenbach, retrouve, par rapport à Das Rheingold, un semblant de
cohésion. On recherche en vain l’intention chambriste annoncée mais les
cuivres écrasent moins, sonnent plus justes aussi, les cordes demeurent
excellentes. Pour autant, l’ensemble, plombé par une lenteur excessive, ne
s’élève pas à l’intensité décrite par le livret et la partition.
Malgré ces réserves, on ne
quitte pas la salle indemne. Le poison, distillé pendant plus de quatre
heures, agit encore longtemps après. Pourtant, une fois ses effets dissipés,
force est de reconnaître que les fruits, La Walkyrie, n’ont pas tenu la
promesse des fleurs, L’or du Rhin. Déçu, on attend la suite, avec plus
d’inquiétude et moins d’impatience.
Christophe Rizoud