Clou
d'une saison particulièrement brillante, la reprise de la nouvelle
production de La Walkyrie bénéficie d'une distribution
largement renouvelée. Nous ne reviendrons pas sur le détail
de la mise en scène, déjà largement évoquée
lors de notre précédente
chronique : à sa deuxième et troisième vision,
les incongruités scénographiques sont moins choquantes, et
l'on peut davantage se concentrer sur l'aspect théâtral et
musical de la soirée. Sur ces deux points, le changement est d'ailleurs
total.
Succédant aux "jeunes" Katarina
Dalayman et Jorma Silvasti (estimables chanteurs par ailleurs), Waltraud
Meier et Placido Domingo pourraient faire figure de vétérans.
C'est loin d'être le cas : habitués à chanter ensemble
le couple maudit, les deux artistes sont tellement investis dans leurs
rôles qu'ils en retrouvent une seconde jeunesse.
Le premier acte est un grand moment
de théâtre qui met le feu à la salle (alors qu'on sait
le public de Covent Garden souvent réservé dans ses manifestations
extérieures...). Plus rare, les deux chanteurs savent aussi nous
surprendre au deuxième acte, et nous donnent l'impression de découvrir
cette scène habituellement un peu sacrifiée.
Vocalement, il convient bien entendu
de "faire son deuil" des Leonie Rysanek et des James King de l'âge
d'or du chant wagnérien. Ceci posé, la performance musicale
du présent duo reste tout à fait remarquable.
Certes, les limites vocales de Waltraud
Meier sont bien réelles : la voix est celle d'un mezzo qui a gagné
en aigu au détriment des notes graves ; le bas médium est
assez sec, presque parlando (ainsi dans ses récits) ; les
aigus sont bien là, mais manquent de l'ampleur nécessaire
dramatiquement (par exemple, dans les appels apeurés à Siegmund
à la fin de l'acte II). Néanmoins, l'engagement de l'artiste
transcende ses faiblesses et lui permet d'assurer une splendide incarnation.
De la même manière, la
performance de Placido Domingo est confondante : on a du mal à imaginer
que le chanteur dépasse les 64 ans. Bien sûr, tout n'est pas
parfait : le 8 juillet, le bas médium est un peu graillonnant ;
ce n'est plus le cas le 12, mais en revanche les aigus sont plus courts...
Qu'importe ces chicaneries face au véritable "don de soi" que constitue
l'engagement de cet artiste (toutes les vingt minutes, Domingo avale discrètement
une pilule entre deux répliques pour tenir le choc), sans parler
de son exceptionnelle musicalité.
Bryn Terfel nous devait une revanche
après sa prestation de mars qui l'avait vu terrassé par une
laryngite. C'est peu de dire que le défi est largement relevé,
tant le chanteur s'impose d'emblée comme un des grands Wotan actuels.
Pourtant, la tessiture du rôle n'est pas vraiment à son avantage
: Terfel est plus baryton que basse et certains passages "rament" un peu,
tel le long récit à Brünnhilde à l'acte II, écrit
dans le bas médium. A l'opposé, ses aigus sont moins brillants
que ceux d'une basse, contrainte à pousser sa voix au maximum :
les imprécations de Wotan sont alors peu spectaculaires. Si Terfel
convainc néanmoins, c'est par l'extraordinaire intensité
conférée au texte, qu'il nous délivre comme un chanteur
de lied (on pense évidemment à Thomas Hampson) : chaque mot
est coloré, joué, ciselé, sans pour autant que l'artiste
ne tombe dans le piège ni de la surarticulation, ni de la surinterprétation.
Ajoutons enfin une endurance hors du commun qui permet au chanteur d'arriver
aux "Adieux" frais comme un gardon. On pourra en revanche discuter une
vision du personnage qui fait de Wotan un parvenu roturier, dépourvu
d'aristocratisme : un comble pour le dieu des dieux.
Déjà protagoniste de
l'édition de mars, Lisa Gasteen affirme son interprétation.
Les aigus sont cette fois bien assurés, la caractérisation
un peu moins histrionique. La chanteuse serait sûrement davantage
à sa place en Sieglinde, mais compte tenu de la pénurie actuelle
de formats wagnériens, sa Brünnhilde est d'un excellent niveau
; d'autant que l'acoustique des lieux, favorable aux voix, permet d'apprécier
pleinement un timbre riche et lumineux.
Rosalind Plowright renouvelle sans
changement sa performance de mars : c'est vocalement impeccable, mais assez
terne du point de vue théâtral en comparaison avec la démonstration
de ses partenaires.
Erik Halfvarson est en revanche totalement
époustouflant en Hunding : la voix est énorme, terrifiante,
à l'image d'un personnage brutal et sinistre. Un autre grand moment
!
La direction d'Antonio Pappano, sans
doute contaminé par ce plateau effervescent, gagne en tension sans
perdre en élégance : dommage toutefois qu'il accélère
excessivement le tempo final, effaçant l'impression de grandeur
sublime qu'on est en droit d'attendre.
Il faut reconnaître qu'avec un
orchestre de ce calibre, on peut avoir envie d'en finir : si les cordes
tirent à peu près leur archet du jeu, il n'en va pas de même
des instruments à vent qui couaquent régulièrement,
sans que cela ne semble altérer d'une quelconque manière
la bonne humeur des instrumentistes. Une telle faiblesse a quelque chose
d'incompréhensible face à la qualité générale
de cette soirée, mais ne suffit pas à ternir une série
de représentations assez exceptionnelles.
Placido CARREROTTI