A l'occasion
de notre recension de L'Or du Rhin
en décembre dernier, nous avions fait état de sérieuses
réserves quant à la production de Keith Warner. Cette première
journée n'est pas faite pour lever nos appréhensions : la
scénographie reste toujours aussi compliquée, la direction
théâtrale anecdotique et on ne sait toujours pas où
le metteur en scène veut en venir.
Nous retrouvons au premier acte le
décor du palais des dieux avant leur déménagement
au Walhalla, agrémenté du spaghetti métallique sur
lequel Alberich surfait vers les profondeurs dans Rheingold, complété
d'une espèce de cabane cubique et rougeâtre légèrement
au dessus du sol et au centre de la spirale d'acier.
Comme si la scène n'était
pas assez encombrée, un ventilateur à pales brasse bruyamment
l'air avant de disparaître dans les cintres ; depuis sa cabane, Sieglinde
assiste à l'arrivée de Siegmund à grand renfort de
mimiques exaltées.
La suite n'offre pas de scènes
particulièrement marquantes : l'épée de papa est accrochée
à la spirale métallique et Siegmund l'enlève sans
plus de difficultés que l'invité d'un cocktail arracherait
des dents une saucisse de sa pique ; clou du spectacle, la baraque s'envole
vers les cintres, laissant place à un tas de vieux bouquins dont
quelques feuilles volent sous l'effet d'une soufflerie.
Le deuxième acte est plus amusant.
Brünnhilde descend des cintres par une échelle côté
jardin (dispositif utilisé dans Rheingold). Ficelée
par un câble, la pulpeuse Lisa Gasteen lève la jambe en hurlant
joyeusement : on pense à une pom-pom girl géante égarée
dans un concours de saut à l'élastique. Après s'être
détachée, la walkyrie gambade sur scène, hilare, sautillant
comme une starlette de Broadway, à la grande joie du public d'où
fusent des rires bruyants.
Après "La Mélodie du
Bonheur ", nous passons à "Scènes de ménage dans un
supermarché" en retrouvant Wotan et Fricka toujours aussi prosaïques,
dans un affrontement qui manque de force et même d'humour.
Le duo avec Brünnhilde lui succède
; on comprend que les vieux bouquins entrevus à l'acte précédent
figurent les innombrables traités auquel le dieu est soumis.
La scène finale est un peu confuse
dans la pénombre et se conclut par Wotan qui brise son épée
en coupant la fameuse échelle.
Le dernier acte nous confronte au "Retour
des Morts-Vivants" : tachées de sang, les traits torturés,
les walkyries semblent de fait tout droit sorties d'un film d'horreur ;
une idée assez juste puisqu'on les voit rassembler débris
humains ou équins pour redonner naissance à de nouveaux héros
(1). Pour tout décor, un gigantesque mur blanc
pivotant autour duquel Wotan et Brünnhilde jouent à cache-cache.
L'acte s'achève avec un effet particulièrement spectaculaire
: une coulée de (vrai) feu descend progressivement le spaghetti
métallique, embrasant progressivement la scène.
Vocalement, le bilan est assez mitigé.
Jorma Silvasti a le format d'un Siegmund
au timbre clair, au volume vocal largement satisfaisant et c'est un bon
acteur ; malheureusement, la voix a tendance à chevroter et à
s'amenuiser dans le haut de la tessiture.
A condition de ne pas trop penser aux
références de l'âge d'or du chant wagnérien,
Katarina Dalayman est une Sieglinde particulièrement convaincante,
engagée dramatiquement, à l'aise sur la tessiture même
si l'on aimerait des aigus un peu plus sonores et un timbre plus riche.
Rosalind Plowright ne démérite
pas non plus vocalement en Fricka, du moins dans la partie centrale de
la tessiture ; son jeu dramatique est fin et étudié, mais
sans doute un peu trop humain : on a du mal à voir en elle la gardienne
des valeurs sacrées (mais la faute en incombe à la direction
d'acteurs).
Le public parisien découvrira
Lisa Gasteen en Isolde la saison prochaine. Malgré le ridicule de
la mise en scène en ce qui la concerne, sa Brünnhilde est attachante,
la voix est bien conduite, pas très puissante, le style un peu trop
anglais, mais le timbre intéressant. Les aigus ne sont pas son fort
et à cet égard, le début de l'acte II se révèle
éprouvant pour l'oreille. Un mélange donc d'indéniables
qualités et de quelques défauts qui pourront être corrigés
avec le temps.
Après un deuxième acte
plutôt laborieux, Bryn Terfel est annoncé souffrant au lever
de rideau de l'acte III : impossible dans ces conditions de juger de son
Wotan qu'il termine tantôt parlé, tantôt murmuré
et toujours transposé (quand il ne se tait pas tout simplement)
; une expérience assez pénible pour le spectateur, surtout
quand il songe au prix de son billet. Il y a quand même des moments
où une doublure s'impose...
La direction d'Antonio Pappano est
toujours aussi élégante, refusant clairement le spectaculaire,
mais manque passablement de tension. Compte tenu des conditions d'exécution
de la représentation, il ne semble pas raisonnable non plus d'émettre
un jugement définitif sur ce travail.
A charge de revanche.
Placido CARREROTTI
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Notes
1. Sous forme de projection
vidéo, un beau guerrier blond monte vers les cintres une fois reconstitué
par les guerrières ; on retrouvait une idée similaire dans
la production précédente : les divers bras, jambes, torses
étaient jetés dans un fourneau ; celui-ci explosait en laissant
apparaître un solide gaillard !