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LIÈGE
27/06/03

James Morris - Wotan
Susan Owen - Brünnhilde
© Opéra Royal de Wallonie

James Morris - Wotan
Artur Korn - Hunding
Hedwig Fassbender - Sieglinde
Susan Owen - Brünnhilde
Patrick Raftery - Siegmund
© Opéra Royal de Wallonie
Die Walküre...

(La Walkyrie)

Opéra de Richard Wagner

Direction musicale : Friedrich Pleyer

Mise en scène : Jean Louis Grinda
en Collaboration avec Claire Servais

Décors : Eric Chevalier

Costumes : Christian Gasc

Lumières : Roberto Venturi
 

Siegmund : Patrick Raftery
Wotan : James Morris
Hunding : Artur Korn

Sieglinde : Hedwig Fassbender
Brünnhilde : Susan Owen
Fricka : Martine Surais

Die Walküren :
Gerhilde : Margaret Sitniak
Ortlinde : Marie-Thérèse Fontaine
Waltraute : Ezlbieta Ardam
Schwertleite : Johanna Duras
Helmwige : Evelyne Bohen
Siegrune : Magali Gaspar
Rossweisse : Christine Solhosse

Liège 27/06/03



Après un Rheingold fort satisfaisant dans son ensemble, on attendait de pied ferme la "première journée" du Ring liégeois. Il est vrai que l'événement avait déjà eu lieu avant que les représentations ne débutent avec l'annonce du remplacement de Laffont par James Morris, un des plus grands titulaires du rôle de Wotan depuis près de vingt ans. On ne peut évidemment jamais se réjouir du forfait d'un artiste (qui en plus avait préparé et répété le rôle, ainsi que la mise en scène, pratiquement jusqu'au début du cycle), mais ce remplaçant de luxe ne laissait évidemment personne indifférent. Les plus belles années de Morris sont peut-être derrière lui, mais le chanteur est loin d'être sur le déclin. Il l'a par ailleurs prouvé de la plus belle des façons. Mais il en sera question plus tard.

Je commencerai par quelques considérations sur la mise en scène, qui - à mon avis - n'a pas tenu toutes ses promesses par rapport au Rheingold. Le premier acte est tout particulièrement conventionnel (dans le mauvais sens du terme). Le décor, dans la veine naturaliste, n'est pas "vilain" en soi, mais il est tellement littéral qu'il ne ménage pas la moindre surprise. C'est la direction d'acteurs qui est particulièrement faible. Grinda fait de Hunding une brute très épaisse et de Sieglinde une jeune femme très fragile. C'est ce qu'ils sont, en effet, mais la musique le dit avec assez de clarté pour ne pas le souligner aussi lourdement. Hunding - pardonnez-moi l'expression - tire par la peau du cou la pauvre Sieglinde et n'a de cesse de la brutaliser. C'est non seulement répétitif sur le plan visuel, mais tout à fait redondant par rapport à la musique. Le personnage de Siegmund est un peu mieux traité, mis à part son entrée sur scène. Alors qu'il est censé être à bout de forces, il entre tranquillement et s'avance jusque sur le devant de la scène, sans paraître ne fût-ce que légèrement fatigué. Les symboles seront nombreux au cours de cet acte, et le seul qui fonctionne de manière heureuse est le manteau en peau de loup dont est vêtu Siegmund, rappel évident de sa lignée. Cela paraît simpliste, mais c'est utilisé avec intelligence : Siegmund le porte fièrement, Sieglinde le caresse tendrement et Hunding aimerait le détruire. Autre bonne idée : celle de faire accompagner Hunding de membres de son clan, soulignant par là à quel point Sieglinde est étrangère à ce monde masculin et brutal. Pour ma part, je n'ai pas compris (mais peut-être ai-je manqué de finesse) la présence du tissu maculé de sang que Sieglinde tient dans ses mains dès qu'elle pénètre sur la scène. Soit. Mais d'autres éléments ne peuvent prétendre au bénéfice du doute. Il en va ainsi du traitement de l'épée de Siegmund. En faire un objet phallique est compréhensible et peut paraître de bon ton, mais le souligner à ce point confine au ridicule. Il la brandit à tout va ; elle l'embrasse et la caresse... Je vous en passe ! Il faut ajouter à tout cela des attitudes très stéréotypées de la part des protagonistes durant cet acte. Seul Raftery (Siegmund) a su se ménager des moments de liberté (et de vérité) scénique, çà et là.

Le deuxième acte se révèle d'une autre qualité, avec une bonne utilisation de l'espace. Le décor et ses éléments sont simples, mais efficaces. Le duel entre Hunding et Siegmund s'avère particulièrement réussi, Wotan surplombant la scène du haut de... l'orchestre. Le troisième acte est quant à lui assez inégal. On accepte volontiers avec un sourire le traitement "gag" de la chevauchée (quatre chevaux sortis tout droits de manèges de foire "volant" au-dessus de la scène), mais on est vite exaspéré par les jeunes gens très peu vêtus, représentant les héros tombés au combat et transportés par les vierges guerrières qui se livrent à une sorte de pugilat un peu laborieux au milieu de la meute "hojotohante". Le décor représente sans surprise le fameux rocher de Brünnhilde. La toile de fond est efficace, grâce au jeu des divers éclairages, mais il est dommage qu'il faille supporter des bruits de papier froissé dès que les chanteurs se déplacent. Le grand affrontement entre Brünnhilde et son père est bien dirigé, tout comme avait été très bien négociée l'arrivée de Wotan, fou de rage (on aura noté que la dernière Walkyrie qui a jeté un regard compatissant à sa soeur avant de quitter la scène n'est autre que Waltraute, celle-là même qui bravera l'interdit de Wotan en retrouvant la bannie lors du Götterdämmerung). Malheureusement, le brasier provoqué par Wotan autour de sa fille à la fin de l'opéra, nous fait retomber dans le ridicule. En effet, ses flammes sont tellement basses que personne ne peut croire qu'il pourrait préserver Brünnhilde du premier venu. On termine tout de même sur une image intéressante, quand Wotan traverse une dernière fois la scène après avoir revêtu les vêtements qui seront sans nul doute ceux du Wanderer dans Siegfried. On restera donc assez mitigé sur cette mise en scène qui, au contraire de celle du Rheingold, a privilégié des moments au lieu de tisser une trame solide pour le récit musical.

Rien de particulier à signaler en ce qui concerne les costumes. On remarque toujours une franche inspiration de l'esthétique de Wieland Wagner. Il n'y a donc là rien de bien neuf, mais rien de blâmable non plus. On notera tout de même l'opposition réussie entre le couple Wotan-Fricka (elle en jaune et rouge avec des motifs japonisants, et lui tout de rouge vêtu) et le reste de la distribution, dont les costumes sont beaucoup plus discrets (gris-noir pour les Walkyries...).


James Morris - Wotan
Artur Korn - Hunding
Hedwig Fassbender - Sieglinde
Susan Owen - Brünnhilde
Patrick Raftery - Siegmund
© Opéra Royal de Wallonie

Du côté vocal, on peut dire d'emblée que ce fut une grande soirée d'opéra. Tout ne fut pas irréprochable, mais personne n'a raté sa soirée. Même pas Martine Surais, qui après sa Fricka calamiteuse dans le Rheingold, a sorti le grand jeu pour celle de la Walküre. Tous les aigus étaient là, bien assis, avec un vibrato contrôlé cette fois... Si le grave reste laid et un peu instable, on ne croit pas entendre la même chanteuse. Son affrontement avec son Wotan de mari reste un des moments forts de la soirée. James Morris est grandiose. Il sait le rôle à fond et cela s'entend avec une évidence rare. Tous les mots sont pesés (et Dieu sait si c'est capital pour le grand monologue du 2e acte) et toutes les nuances de cette immense voix sont sollicitées pour le rendre au mieux, du chuchotement au plus tonitruant des fortissimi. Certes, on aura noté que le médium est devenu quelque peu nasillard, mais le registre aigu est suprêmement sûr (le sol aigu à la fin de sa première phrase !) et le grave velouté. Sa présence scénique est tellement naturelle que son Wotan paraît extrêmement intériorisé. L'économie de gestes est telle que chaque mouvement possède un impact indéniable (si ce n'est pas une leçon du Neues Bayreuth, je n'y connais rien). C'est particulièrement flagrant au premier acte où Artur Korn (Hunding) et Hedwig Fassbender usent de gestes théâtraux, vides de tout sens. Ceci dit, vocalement, Fassbender livre une fort bonne Sieglinde : la voix est fraîche, jeune et la chanteuse maîtrise parfaitement la tessiture du rôle (sans tricher dans les passages "mezzosopranisants" du rôle). Les aigus sont parfois donnés de façon un peu trop appliquée, mais la technique n'est jamais prise en défaut. Raftery est un Siegmund crédible vocalement et il a eu de beaux élans (malgré quelques notes un peu serrées au niveau du passage). Son passé de baryton l'aide à passer sans encombre les passages les plus graves du rôle, l'aigu est ferme et crânement projeté (saisissant la bémol à la fin du 1er acte). Artur Korn, doté d'une voix noire et massive - qui n'est pas sans rappeler celle de Greindl -, signe une lecture solide et très convaincante, évitant certains excès que la direction d'acteurs aurait pu lui inspirer.

Mais la distribution pâlirait sans une grande Brünnhilde, surtout face à Morris au 3e acte. Susan Owen ne l'est peut-être pas encore, mais elle a le potentiel pour le devenir. De toute l'équipe, c'est elle qui apparaît la plus fatiguée vocalement (j'ai assisté à la dernière représentation), mais elle a, malgré tout, assuré une prestation tout à fait à la hauteur. Si le timbre n'est pas vraiment inoubliable, l'artiste maîtrise son instrument. Le grave n'est pas encore assez mûr pour certains passages (comme l'Annonce de la mort au 2), mais elle sait varier les couleurs. Les "Hojotohos" du début de l'acte 2 ne lui posent aucun souci et la maîtrise de la tessiture (éprouvante) ne se démentira pas au fil de la représentation. Il lui faudra encore du temps pour rendre toute l'expressivité du texte, mais son interprétation est déjà, à divers égards, très appréciable. Sa Brünnhilde lorgne plus du côté d'une Crespin que d'une Varnay, car sa conception du rôle - tout à fait défendable et en phase avec ses moyens vocaux, suffisants, mais pas écrasants - lui fait vite abandonner ses accents guerriers pour ceux de la compassion et de l'humilité face au père. La manière dont elle s'adresse à lui est déjà un modèle d'intelligence dans l'utilisation des respirations et des demi-teintes. Sa fatigue se fait principalement sentir lors de la magnifique supplique, où on la trouve un peu à la recherche de son souffle ; ce qui ne l'empêche pas de terminer la représentation avec un chant engagé. Pour achever ce tour d'horizon vocal, je m'en voudrais de ne pas mentionner les Walkyries, dont la réalisation d'ensemble est sans reproche (et ce même dans les périlleux passages fugués). Il est simplement dommage que les voix graves soient beaucoup plus puissantes, ce qui perturbe quelque peu l'homogénéité du chant.

Terminons par l'orchestre. Les réserves que l'on peut émettre sont assez semblables à celles mises en avant pour le Rheingold : prudence excessive, solos de cuivres parfois approximatifs... Un défaut est par contre plus marquant : le relatif statisme des cordes. Pleyer privilégie les tempi lents, et c'est son droit. Mais l'orchestre n'est alors pas assez réactif quand le rythme s ëaccélère (c'est frappant au 3e acte, riche en variations de tempo). De même, le final arpégé du 1er acte pour les cordes, paraît bien scolaire, sinon laborieux. Par contre, on soulignera encore la très bonne tenue des vents (très beaux solos lors de la supplique de Brünnhilde). Pleyer doit donc apprendre à concilier la poésie des mouvements lents (où il est naturellement à l'aise, comme le montre la réussite de l'accompagnement orchestral du grand monologue de Wotan) avec la vigueur des passages plus tourmentés. La direction a manqué d'électricité et de détermination pour aller tout droit au Walhalla musical, mais c'était déjà une soirée digne de faire de cette Walkyrie un moment tout à fait exceptionnel dans la vie musicale belge (n'en déplaise aux critiques du nord du pays.
 
 
 

Cédric Torfs
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