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TOULOUSE
05/10/2007
Inva Mula et Sophie Koch
© Patrice Nin
Edouard LALO (1823-1892)
LE ROI D'YS
Légende bretonne
Opéra en trois actes
Poème d’Edouard Blau
Nouvelle production
Mise en scène, Nicolas Joel
Décors, Ezio Frigerio
Costumes, Franca Squarciapino
Lumière, Vinicio Cheli
Le Roi d’Ys, Paul Gay
Margared, Sophie Koch
Rozenn, Inva Mula
Mylio, Charles Castronovo
Karnac, Franck Ferrari
Saint Corentin, Eric Martin-Bonnet
Jahel, André Heyboer
Orchestre National du Capitole
Chœur du Capitole
Chef du chœur, André Marie Aubert
Direction musicale, Yves Abel
Toulouse, le 5 octobre 2007
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Le raz de marée Sophie Koch
Une fois encore le spectacle d’ouverture de la nouvelle saison au
Capitole crée l’événement. Après la
mémorable Femme sans ombre l’an dernier Le Roi d’Ys,
opéra d’Edouard Lalo sorti depuis longtemps du
répertoire affronte le jugement du public contemporain dans une
nouvelle production maison. Et c’est une réussite majeure
de plus à l’actif de Nicolas Joel.
Dans la France encore largement christianisée de la fin du
XIX° siècle, peu après Lourdes et juste avant
Thérèse de Lisieux, le manichéisme de cette
légende bretonne - où la méchanceté et
l’impiété sont directement punies par le saint
protecteur du terroir tandis que les bons reçoivent sa
protection et ses faveurs - avait probablement un retentissement dont
nous ne pouvons nous faire qu’une pâle idée,
à moins de retrouver nos âmes d’enfant
éprises d’absolu. Il pouvait sembler risqué de
tirer cette œuvre de la pénombre où elle
s’estompait depuis la reprise de Carpentras en 1984.
Mais Le Roi d’Ys a un
atout maître : sa partition. Mûrie par Lalo pendant
des années, elle est dans sa version définitive
d’une richesse, d’une force et d’une séduction
qui la rendent l’égale de maints chefs
d’œuvre. Son ouverture est à elle seule un
poème symphonique qui tout en exploitant les ressources des
timbres et des pupitres développe le climat des
différents épisodes. Quant à
l’écriture de l’oeuvre, Lalo s’en est
expliqué, elle est un négatif de Wagner, qu’il
estime inégalable dans le drame musical. D’où son
choix de scènes brèves, d’airs,
d’enchaînements rapides, et le recours à des
thèmes du folklore breton ou tenu pour tel. Il a pesé les
conséquences musicales de cette sobriété, et les a
acceptées en regard de leurs avantages dramatiques.
Reste qu’il faut intéresser le public contemporain
à cette vendetta avortée. Le Capitole s’en est
donné les moyens, visuels, vocaux et musicaux. Le décor
conçu par Ezio Frigerio
est une immense forteresse de granit poli, qui donne sur une place par
un grand escalier central lui-même divisé à partir
d’un palier en deux escaliers latéraux conduisant aux
salles du palais royal. La structure se transforme par
l’adjonction de parois qui masquent le ciel à
l’arrière-plan et accueille alors l’oratoire
dédié à Saint Corentin sur le palier
précité ; il disparaîtra plus tard pour
laisser subsister au plus haut des marches une porte ouverte aussi bien
sur l’abîme que sur le ciel. Couleurs bleutées,
éclairages zénithaux créent une atmosphère
de mystère suggestive et séduisante, ou
inquiétante, délimitant des oasis de clarté ou
composant de vastes tableaux en ombres chinoises comme autant de
gravures à l’encre.
Les espaces créés, inférieur au niveau de la
scène, intermédiaire avec le palier, supérieur
avec l’accès aux salles, et les liens entre ces espaces
par les escaliers permettent de disposer les personnages en fonction de
leurs relations de proximité ou d’opposition, les
déplacements épousant les variations des sentiments. Les
costumes d’inspiration médiévale correspondent au
statut des personnages et à leur nature. Le Roi est vêtu
de rouge et d’or, Rozenn, la bonne fille, a des allures de
sainte, vierge cela va de soi, en crème et rose, avant de
revêtir la robe nuptiale. Karnak et Mylio, qui sont des
guerriers, ont des casques, des cottes de mailles et des cuirasses
hérissées de protections aux épaules tout droit
sorties de bandes dessinées ou de Dürer ; mais le
premier est une sorte de sanglier farouche quand le second est un
chevalier courtois. Margared, la mauvaise fille, se sangle dans les
tuniques violacées ou noires de l’alliée des
puissances nocturnes. Le peuple d’Ys, en particulier les femmes,
semble descendu d’un vitrail, d’une tapisserie, ou
d’un de ces chromos si à la mode à la fin du
XIX° siècle. C’est un immense livre d’images qui
s’anime à nos yeux ; le clou est évidemment
l’envahissement du palais par les eaux, grande réussite
visuelle et technique.
© Patrice Nin
Mais tout le temps que l’on regarde avec plaisir ces tableaux
magistraux l’oreille est comblée par les bonheurs musicaux
et vocaux. Dès l’ouverture, on est captivé par la
force de la musique et par l’intensité expressive qui
émane de la fosse ; ce bonheur sera constant, y compris
dans les scènes où des instruments en coulisse
recréeront l’agrandissement spatial voulu par Lalo. Les chœurs,
nombreux dans l’œuvre, donnent aux artistes du Capitole
l’occasion de briller d’un éclat particulier. Les
solistes, enfin, donnent le meilleur d’eux-mêmes dans cette
entreprise qui est pour eux tous une aventure.
Dans ses deux interventions André Heyboer n’exalte ni ne démérite. Mais Eric Martin-Bonnet impressionne en Saint Corentin et Paul Gay est un Roi d’Ys à la fois majestueux par la prestance et paternel dans ses interventions. Franck Ferrari assume avec brio le rôle du méchant, convaincant dans les invectives et l’expression du désespoir. Charles Castronovo
est un Mylio justement viril et amoureux, avec les ressources vocales
nécessaires et un souci des nuances de grand musicien
(ravissante aubade à Rozenn). Rozenn, l’ange
incarné, trouve en Inva Mula
la grâce, la douceur et la conviction qui animent le personnage.
La jalouse, la féroce, la blessée Margared, avec ses
véhémences, ses transports, ses affres, c’est
l’inattendue Sophie Koch,
qui méduse par son investissement : elle accomplit
magistralement le tour de force vocal exigé par une tessiture
tendue et la performance dramatique d’incarner jusqu’au
vertige ce personnage tourmenté. Cette cantatrice si souvent
qualifiée d’élégante explore ici
victorieusement des sommets.
Grand artisan de cette réussite, le chef d’orchestre Yves Abel.
Familier du répertoire français qu’il dirige
à New York chaque année et dont on se souvient
d’une splendide Thaïs à l’opéra de Nice
– du reste enregistrée plus tard avec les musiciens de
Bordeaux et Renée Fleming – ce musicien exigeant a tenu
fermement ensemble tous les participants, obtenant de l’orchestre
un engagement total, l’opulence, la souplesse,
l’énergie, la précision, la subtilité
propres à exalter toutes les facettes d’une partition qui
reprend ainsi une vie éclatante. On ne peut que se
réjouir de le retrouver en fin de saison pour Les Contes d’Hoffmann.
La rapidité des scènes et des enchaînements
n’ayant pas permis au public d’exprimer ses sentiments au
cours du spectacle, il s’est rattrapé au rideau final en
faisant un triomphe prolongé aux artistes, au premier rang
desquels Sophie Koch et le maître des lieux.
Maurice SALLES
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