La Flûte
enchantée de l'Opéra du Rhin joue la carte de l'irrévérence
dans la fidélité.
L'irrévérence réside
dans la vision d'Achim Freyer, signataire de la mise en scène (reprise
ici avec beaucoup de précision par Hendrik Müller), des décors
et des costumes. Cette production ne constitue pas une nouveauté,
puisqu'elle a été créée en avril 2002 au festival
de Schwetzingen, et donnée dans la foulée à
l'Opéra du Rhin, coproducteur du spectacle. Elle a également
fait l'objet alors d'une retransmission sur ARTE, qui ne rendait cependant
pas pleine justice à sa créativité. Achim Freyer annonçait
la couleur, en présentant sa lecture : "je veux qu'elle passe comme
un éclair, qu'on ne s'y ennuie pas un seul instant". Pour y parvenir,
l'artiste berlinois créé un univers naïf et bariolé,
joue du rythme et du grotesque pour souligner une conception approfondie
de l'oeuvre et des personnages. Alors que Benno Besson, à Garnier,
recréait l'univers des contes de fées de notre enfance, Akim
Freyer nous entraîne ici dans un véritable cartoon
: les portes tournent, les personnages roulent, les bruitages abondent
et les gags se succèdent sans relâche. Certes, tout n'est
pas du meilleur goût dans cette avalanche, mais ce que le spectateur
perd en subtilité, il le gagne incontestablement en pure jubilation.
La fidélité se manifeste
dans la volonté affichée par le chef de respecter les indications
originelles de tempo et d'articulation, mais aussi par le respect
des dialogues parlés. C'est la moindre des choses, me direz-vous
? Pas forcément, au moment où les signataires d'une production
actuellement reprise à Paris leur substituent des poèmes
lus par deux comédiens "pour les transposer en un langage contemporain,
plus proche de notre interprétation onirique et subjective que le
traitement naturaliste réservé traditionnellement par l'opéra".
A Strasbourg, le public réagit pourtant de la meilleure façon
aux dialogues, tandis qu'Achim Freyer nous prouve qu'il est possible de
monter une production à la fois divertissante et exigeante de la
Flûte
enchantée sans devoir nécessairement modifier les ingrédients
de la recette... Son travail est le fruit d'une véritable réflexion,
mais il refuse de céder à un intellectualisme excessif et
renoue en cela avec l'esprit original de l'oeuvre composée par Mozart
pour le public populaire des faubourgs de Vienne. Son talent graphique,
sa fantaisie et son inventivité lui permettent en tout cas d'imprimer
une forte marque à cette production.
Papageno, Pamina, Monostatos &
Choeur.
© Alain KAISER
Pour cette reprise, l'Opéra
du Rhin a fait appel exclusivement à de jeunes chanteurs, ce qui
constitue incontestablement une prise de risque, mais se révèle
ici une option gagnante, car chacun s'investit dans la production avec
générosité et naturel. Survivant de la distribution
d'origine, le ténor Matthias Klink (Belmonte à Aix cet été)
ne possède pas le plus séduisant des timbres mais s'impose
par l'énergie et la musicalité de son chant ; en outre, il
forme un couple bien assorti avec la charmante Pamina d'Henrike Jacob (Papagena
dans cette même production en 2002), au timbre plus corsé
qu'il n'est d'habitude dans ce rôle et qui m'a particulièrement
impressionné par la violence de son désespoir au second acte.
La plus forte impression musicale de la soirée revient toutefois
au Sarastro de Friedemann Röhlig, qui s'était révélé
ici même la saison passée dans Gurnemanz. Il possède
une voix de basse ample, techniquement très sûre et superbement
timbrée sur toute l'étendue de la tessiture, avec les graves
abyssaux (mais en rien caverneux) attendus dans cette partition. Un grand
espoir, assurément !
La distribution est complétée
par quelques valeurs montantes du chant français. Thomas Dolié,
très en verve, campe le plus drôle et le plus sympathique
des Papageno mais doit encore gagner en étoffe vocale pour rendre
pleine justice à ses deux airs. Chantal Perraud trouve de jolis
accents maternels dans la première partie de "O zittre nicht" et
se joue crânement des vocalises finales de "Der Hölle Rache",
mais le reste est plus problématique... Rien à redire, en
revanche, de l'Orateur parfait d'autorité et de timbre de Paul Gay,
dont on regrette la brièveté des interventions, ni du Monostatos
désopilant campé par le ténor suisse François
Piolino, véritable ténor de caractère qui respecte
toutefois les impératifs du chant et traduit toute la finesse de
"Alles fühlt der Liebe Freuden". Lorsqu'on aura ajouté que
les dames de la nuit ont parfois des difficultés à s'accorder
et que les trois génies chantent faux comme souvent, on obtiendra
une distribution peut-être pas définitive mais d'un réel
intérêt.
L'anglais Neil Beardmore, directeur
musical de l'atelier lyrique de l'Opéra du Rhin, se montre très
attentif à ces jeunes chanteurs mais n'évite pas certains
décalages, tandis que les musiciens de l'orchestre symphonique de
Mulhouse se montrent un peu avares de couleurs. Il est vrai qu'avec une
mise en scène aussi originale, inventive et rythmée, on a
parfois tendance à oublier ce qui se passe dans la fosse pour profiter
d'un spectacle réjouissant qui s'adresse à tous les âges
et à tous les publics.
Vincent DELOGE
Prochaines représentations :
23, 26, 28 & 30 janvier, 1er février
(Strasbourg) 6 & 8 février (Colmar)