Catherine Scholler

4- Petite soeur


Chacun des opéras de Mozart explore une partie de la gamme des sentiments amoureux. Dans les nozze, il est question de marivaudage, de tromperie, de jalousie (et de vanité : jaloux par orgueil, dit la comtesse), dans Don Giovanni, on nous parle d’amour charnel. Dans Cosi, il est question de tactiques de séduction, d’attirance réciproque, de coup de foudre (et encore de vanité !).
Il est symptomatique que chacune de ces facettes de l’amour se termine plus ou moins mal : à la fin des nozze, personne n’est guéri, il ne s’agit que d’une petite accalmie, et le comte retournera vite à ses habitudes, l’amour purement physique (celui de Don Giovanni, mais également celui d’Elvira) est sévèrement puni, et dans Cosi, au moins Fiordiligi, probablement Ferrando, et peut être Guglielmo et Dorabella voient leurs amours définitivement brisées.
A ce propos, il n’a toujours pas été répondu à la question : « finalement, qui aime qui ? »
Considérons les duos de tentation du 2ème acte. Le duo Dorabella/Guglielmo (il cor vi dono) est toute sensualité, et même s’il a quelquefois des résonances équivoques quant aux sentiments des personnages, on sent qu’il ne peut s’agir que d’un petit coup de folie, vite passé, vite oublié, une belle aventure à se raconter pendant ses vieux jours.
L’esprit du duo Ferrando/Fiordiligi (ed intanto…volgi a me) est tout autre. Pourtant, le texte n’est guère différent de celui de n’importe quel autre duo d’opéra. Et c’est là que le génie de Mozart éclate, car il va aller au-delà de ce que Da Ponte nous dit avec les mots. Mozart à cet endroit, enrichit le livret uniquement par la suggestion de la musique, et ce qui était mensonge devient sincérité. Comment ne pas être transporté par la ferveur de cette musique, qui elle seule, à cet instant, ne ment pas.
Elle seule ? Ferrando, au moins, ne peut pas être entièrement sincère. N’oublions pas que ses amis sont cachés et l’observent, et ça, il ne peut pas l’avoir oublié ! Alors ? Alors il est submergé par la passion, emporté, pris à son propre jeu. Et tout ça finit très mal.
On peut supposer que dans l’esprit de Mozart, la passion, ou plutôt la transe passionnelle dans laquelle se rejoignent Fiordiligi et Ferrando ne peut pas être l’amour vrai, car il est brisé. Et ce ne peut pas être l’amour vrai non plus, car il repose sur le mensonge. Un amour ne vaut rien sans loyauté réciproque.
Mais alors, si ni le marivaudage et la tendresse des nozze, ni le sexe dans Don Giovanni, ni la passion de Cosi ne sont l’amour vrai, cela veut-il dire que l’amour n’existe pas ?
Si ! dans son dernier ouvrage, Mozart nous dévoile enfin la clé de l’amour idéal, qui est l’élévation commune, et dont le chemin nous est montré par la dernière petite sœur de Fiordiligi, Pamina.