4- Petite soeur
Chacun des opéras de Mozart explore une partie de la gamme des sentiments
amoureux. Dans les nozze, il est question de marivaudage, de tromperie,
de jalousie (et de vanité : jaloux par orgueil, dit la comtesse), dans
Don Giovanni, on nous parle d’amour charnel. Dans Cosi, il est question
de tactiques de séduction, d’attirance réciproque, de coup de foudre
(et encore de vanité !).
Il est symptomatique que chacune de ces facettes de l’amour se termine
plus ou moins mal : à la fin des nozze, personne n’est guéri, il
ne s’agit que d’une petite accalmie, et le comte retournera
vite à ses habitudes, l’amour purement physique (celui de Don Giovanni,
mais également celui d’Elvira) est sévèrement puni, et dans Cosi,
au moins Fiordiligi, probablement Ferrando, et peut être Guglielmo et
Dorabella voient leurs amours définitivement brisées.
A ce propos, il n’a toujours pas été répondu à la question : « finalement,
qui aime qui ? »
Considérons les duos de tentation du 2ème acte. Le duo Dorabella/Guglielmo
(il cor vi dono) est toute sensualité, et même s’il a quelquefois
des résonances équivoques quant aux sentiments des personnages, on sent
qu’il ne peut s’agir que d’un petit coup de folie, vite
passé, vite oublié, une belle aventure à se raconter pendant ses vieux
jours.
L’esprit du duo Ferrando/Fiordiligi (ed intanto…volgi a me)
est tout autre. Pourtant, le texte n’est guère différent de celui
de n’importe quel autre duo d’opéra. Et c’est là que
le génie de Mozart éclate, car il va aller au-delà de ce que Da Ponte
nous dit avec les mots. Mozart à cet endroit, enrichit le livret uniquement
par la suggestion de la musique, et ce qui était mensonge devient sincérité.
Comment ne pas être transporté par la ferveur de cette musique, qui elle
seule, à cet instant, ne ment pas.
Elle seule ? Ferrando, au moins, ne peut pas être entièrement sincère.
N’oublions pas que ses amis sont cachés et l’observent, et
ça, il ne peut pas l’avoir oublié ! Alors ? Alors il est submergé
par la passion, emporté, pris à son propre jeu. Et tout ça finit très
mal.
On peut supposer que dans l’esprit de Mozart, la passion, ou plutôt
la transe passionnelle dans laquelle se rejoignent Fiordiligi et Ferrando
ne peut pas être l’amour vrai, car il est brisé. Et ce ne peut pas
être l’amour vrai non plus, car il repose sur le mensonge. Un amour
ne vaut rien sans loyauté réciproque.
Mais alors, si ni le marivaudage et la tendresse des nozze, ni le sexe
dans Don Giovanni, ni la passion de Cosi ne sont l’amour vrai, cela
veut-il dire que l’amour n’existe pas ?
Si ! dans son dernier ouvrage, Mozart nous dévoile enfin la clé de l’amour
idéal, qui est l’élévation commune, et dont le chemin nous est montré
par la dernière petite sœur de Fiordiligi, Pamina.
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