Cecilia
Bartoli
The Salieri
Album
1. Son qual lacera
tartana (La secchia rapita)
2. Or ei con Ernestina
(La Scuola de' gelosi)
3. Vi sono sposa
e amante (La Fiera di Venezia)
4. Voi lusingate
invano (Palmira, regina di Persia)
5. E voi da buon
marito (La Cifra)
6. Alfin son sola
(La Cifra)
7. Dopo pranzo
addormentata (Il Ricco d'un giorno)
8. No : non vacillera
(La Secchia rapita)
9. Lungi da me
sen vada (Palmira, regina di Persia)
10. Se lo dovessi
vendere (La Finta Scema)
11. Eccomi più
che mai (Il Ricco d'un giorno)
12. La Ra La (La
grotta di Trofonio)
13. E non degg'io
seguirla (Armida)
Orchestra of the
Age of Enlightenment
Adam Fischer, direction
Enregistrements
effectués en mars et avril 2000
DECCA 28947
06312
Depuis un certain Vivaldi Album qui a pulvérisé
les ventes, Cecilia Bartoli consacre désormais une large partie
de sa carrière à faire redécouvrir aux mélomanes
des partitions injustement oubliées du dix-huitième siècle.
Les CD Vivaldi et Gluck ainsi que les concerts
qui les ont suivis, révélaient un aspect peu connu de compositeurs
par ailleurs largement appréciés. Avec ce nouvel enregistrement,
qui nous offre onze pages inédites, c'est le musicien lui-même
qu'elle ambitionne de réhabiliter : Antonio Salieri, le mal aimé,
sur qui pèse depuis le début du dix-neuvième siècle
le soupçon d'être à l'origine de la mort de Mozart.
Thèse étayée par Pouchkine dans sa tragédie
Mozart et Salieri (1832) dont Rimski-Korsakov tirera un opéra
en 1897, et par Sir Peter Shaffer dans sa pièce Amadeus (1979)
qui inspira à Milos Forman un film célèbre (1984).
La carrière de Salieri fut pourtant prestigieuse. Elève
privilégié de Gassmann, auteur de l'Opera
seria (applaudi la saison dernière au Théâtre
des Champs-Élysées) qui l'emmena à Vienne, il succéda
à son maître comme compositeur de la cour et directeur du
Théâtre italien. Il se lia d'amitié avec Gluck qui
voyait en lui son digne héritier, et fréquenta Métastase,
Haydn et Mozart, avant d'avoir pour élèves Beethoven, Schubert
et Liszt. Il collabora avec Da Ponte et composa pour les plus grands interprètes
de l'époque parmi lesquels Nancy Storace (créatrice du rôle
de Suzanne, dans Les Noces de Figaro) ou Adriana Ferrarese del Bene
(la première Fiordiligi). Il écrivit près de quarante
opéras, dont la plupart eurent un succès retentissant, abordant
les genres les plus divers, l'opera buffa essentiellement, mais
aussi l'opera seria, le singspiel et la tragédie lyrique
à la française (Les Danaïdes). En 1778, c'est
avec son Europa riconosciuta que la Scala est inaugurée.
A Paris, il travaille avec Beaumarchais pour Tarare (1787).
On ne s'étonnera pas, dès lors, que la cantatrice romaine,
avec son complice, le musicologue Claudio Osele, se soit intéressée
à ce musicien, choisissant avec un soin et une pertinence exemplaires
des airs extrêmement contrastés qui couvrent vingt-cinq ans
de carrière et offrent une galerie de personnages on ne peut plus
différenciés.
Le récital s'ouvre sur un plaisant clin d'oeil aux pages du répertoire
baroque que Cecilia Bartoli chante régulièrement et qui exige
de redoutables prouesses techniques : il y est question d'une embarcation
aux prises avec une violente tempête. L'art de la cantatrice apparaît
ici à son apogée : perfection de la ligne vocale, longueur
du souffle, trilles, vocalises, tout est d'une précision diabolique
et toujours au service de l'expression. Tour à tour autoritaire
ou frivole, tragique ou piquante, elle exprime avec la même conviction
l'abandon extatique d'une Comtesse (La scuola de' gelosi), la mélancolie
retenue d'une reine (Palmira), la rouerie d'une paysanne (La
Cifra) ou les émois amoureux d'un croisé (l'air de Rinaldo
dans Armida). Il faut remonter jusqu'à Maria Callas pour
trouver une caractérisation et un investissement dramatique équivalents.
Tous ces morceaux témoignent d'une science aiguë de l'orchestration.
A cet égard citons le très bel air d'Eurilla dans La Cifra
(plage 6), au début duquel le chant est soutenu par les seuls cors.
Mozart s'en souviendra - et de quelle façon ! - pour le rondo de
Fiodiligi "Per pieta", destiné, du reste, à la même
cantatrice. Toujours dans cet opéra, l'accompagnement de l'air de
Lisotta (plage 5) imite plaisamment le son des musettes, cornemuses et
autres fifres évoqués par l'héroïne.
Pourtant, la grande scène de La scuola de' gelosi (plage
2) qui nous montre une Comtesse délaissée par son époux,
ne saurait soutenir la comparaison avec l'air "Dove sono" des Noces
de Figaro, d'une toute autre veine musicale, où le personnage,
dans une situation dramatique analogue, est traité avec une profondeur
psychologique qui fait défaut à Salieri. On ne peut s'empêcher
de songer à cette scène du film Amadeus où
Mozart transforme en deux temps, trois mouvements, une marche assez plate
écrite par son rival en un air éblouissant. Et c'est là
où le bât blesse : à l'écoute de ces plages
on a parfois l'impression d'entendre du Mozart ou du Haydn en mal d'inspiration.
De la très belle ouvrage, certes, élégamment troussée,
mais on y cherche en vain les marques d'une grande individualité
musicale.
On peut alors se demander si ce disque parviendra à réhabiliter
Salieri au point que des maisons de disque ou des théâtres
se lancent dans l'aventure d'une intégrale d'opéra, comme
c'est le cas depuis peu pour Vivaldi. Quoi qu'il en soi,t cet enregistrement
est un véritable bijou qui confirme le talent d'une cantatrice exceptionnellement
douée, au sommet de ses possibilités et qui procure à
l'auditeur bien plus d'émotions que tant de récitals inaboutis
ou joliment superficiels d'airs célèbres, comme il en paraît
régulièrement sur le marché. L'accompagnement d'Adam
Fischer, aux commandes d'un Orchestre de l'ge des Lumières en grande
forme est exempt de tout reproche.
Pour Bartoli, donc, dont le talent est capable d'insuffler du génie
à des partitions qui n'en recèlent pas toujours !
Christian Peter
Commander ce CD sur Amazon.fr
Cecilia%20Bartoli%20-%20The%20Salieri%20Album...<" target="_blank">