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Paul HINDEMITH (1895 – 1963)
CARDILLAC
Opéra en trois actes (1926)
Livret de Ferdinand Lion
d’après la nouvelle « Mademoiselle de Scudéry » de E.T.A. Hoffmann
Mise en scène : André Engel
Décors : Nicky Rieti
Costumes : Chantal de la Coste Messelière
Eclairages : André Diot
Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Paris
Direction : Kent Nagano
Cardillac : Alan Held
La Fille : Angela Denoke
La Dame : Hanna Esther Minutillo
Le Marchand d’or : Roland Bracht
Le Sergent-Prévôt : Stephen Gadd
L’Officier : Christopher Ventris
Le Chevalier : Charles Workman
Editeur : Bel Air Classiques – 2005
Format : NTSC – 16/9 – Toutes zones
Durée : 90 mins + un bonus de 57 minutes
Référence : BACO23
CARDILLAC SOUS LES SUNLIGHTS…
Sans conteste, ce Cardillac
restera dans beaucoup d’esprits une des meilleures de
l’ère Mortier, tout d’abord pour le choix de
l’œuvre, plutôt rare sur les scènes, du moins
en France, et aussi pour la très spectaculaire production du
tandem Nicky Rieti / André Engel.
Et pourtant… Le rôle-titre de cet opéra fut un des
plus célèbres de Dietrich Fischer Dieskau, dont il existe
un témoignage chez Allegro (Opera d’Oro), un
« live » de la Radio de Cologne (1968)
dirigé par le grand Joseph Keilberth, avec rien moins
qu’Elisabeth Söderström dans le rôle de la
Dame…Et DG annonce sur son site la sortie en DVD de la
captation, à Munich en 1985, de la production de Jean-Pierre
Ponnelle avec Sawallisch au pupitre…
Oui, mais voilà, avec l’avènement de ce support et
son actuelle expansion – parfois au détriment du CD
– surgissent parfois des déconvenues
inédites : un spectacle réussi sur scène peut
pâtir de son report sur DVD… et inversement. Dans le cas
présent, il faut bien reconnaître que cette parution se
révèle assez décevante et ne rend pas justice au
formidable dispositif imaginé par Rieti et utilisé avec
brio par Engel, dont il ne reste plus grand chose…
Premier détail agaçant dans cette captation : la
manie – très récurrente - de montrer les coulisses,
et ce qui se passe derrière le décor, ce que le
spectateur dans la salle, normalement, ne voit pas… Outre le
fait que cela casse fâcheusement l’action en la
dédramatisant, voire en la dépouillant de son
mystère et de sa poésie, cela n’apporte rien
à son déroulement, bien au contraire. Ce style
« coulisses de l’opéra » aurait
mieux trouvé sa place dans le « bonus ».
D’autant que le grandiose décor du début,
qu’on reverra aussi à la fin – celui du grand
hôtel – est souvent montré de manière
parcellaire – avec des gros plans sur les chœurs assez mal
venus et même redondants, alors que c’était dans le
réglage magistral des mouvements de foule que résidait
principalement le génie de la mise en scène
d’Engel, faite surtout pour être vue de loin. De la salle,
les personnages paraissaient des marionnettes écrasées
par le destin, broyées par sa machine implacable. La vision
réductrice qui caractérise cette captation a par ailleurs
l’inconvénient de transformer le drame en vaudeville, ce
qui est dommage et va à l’encontre de l’œuvre,
de sa dimension essentiellement expressionniste…
Engel s’était directement inspiré du cinéma
avec les travellings dans l’hôtel, le style
« Femme fatale » de la Dame, les
références explicites au monde de Franju (Judex)
avec ces hommes masqués et la fuite sur les toits de
Paris…. Oui, mais voilà, cet univers magique ne peut
qu’être tué par cette manière prosaïque,
sinon triviale de filmer… En un mot, trop de cinéma tue
le cinéma, car celui-ci est œuvre de passe-passe, de
prestidigitation… Si on en montre trop les ficelles, la sauce ne
prend plus…
Les scènes « d’intérieur »
(la chambre de la Dame, l’appartement-atelier de
l’orfèvre) passent mieux à l’écran,
malgré certains éclairages un peu trop crus, et celle sur
les toits est fort belle, sans doute la plus poétique, la plus
pathétique aussi, donc une des plus réussies…
Par contre, à la fin de l’opéra, lors du retour au
grand hôtel, on est de nouveau un peu sur sa faim au moment de la
mort de Cardillac, pas assez émouvante, bien que, cette fois,
les mouvements de foule soient un peu mieux filmés.
La partie musicale de ce spectacle ne sort également pas indemne
du montage : Alan Held en Cardillac est le seul à tirer
vraiment son épingle du jeu, sans toutefois pouvoir rivaliser
avec Fischer-Dieskau… On préférera, on s’en
doute, la Dame d’Elisabeth Söderström , à
celle d’Hannah Esther Minutillo, photogénique, certes,
mais assez peu chantante. Charles Workman est plutôt bien en
Chevalier, quant à Angela Denoke, elle paraît là
bien fatiguée…
Sans toutefois démériter, la direction de Kent Nagano
sonne souvent bien lourde, surtout quand on la compare à la
transparence de la version Keilberth. Il est vrai que ce dernier fut un
ardent défenseur de la musique de Paul Hindemith et en
particulier, pour Cardillac, de la version originale de 1926, qui est également donnée ici.
Si on ajoute que le bonus n’est guère palpitant et se
résume à des commentaires assez pédants sur
l’œuvre, malgré la présence du metteur en
scène et du décorateur, qui sont pourtant des personnes
de qualité et ont en général des choses
intéressantes à dire, on comprendra que ce DVD,
s’il a le mérite d’exister pour une œuvre
aussi particulière, ne peut aucunement se substituer à la
vision en direct du spectacle, lequel sera repris à Bastille la
saison prochaine, dans une distribution quasiment identique, mais avec
cette fois, Franz Grundheber en Cardillac et Kazushi Ono au pupitre.
Juliette BUCH
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