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The Deepest Desire
Leonard BERNSTEIN (1918-1990)
Two love songs
Music I heard with you
What lips my lips have kissed
A Julia de Burgos
Aaron COPLAND (1900-1990)
Twelve poems of Emily Dickinson
Jake HEGGIE (1961)
The deepest desire
Four dramatic songs of praise
Joyce DI DONATO, mezzo-soprano
Frances SHELLY, flûte
David ZOBEL, piano
1 CD Eloquentia, EL 0504
Enregistré à Paris en janvier 2005
Ecoutez, ça n’a rien à voir...
Si, comme nous, vous en avez assez de ces récitals
réfrigérants au programme convenu, de jeunes artistes
lancés par les majors comme le sont les starlettes jetables de
la télé réalité, à grand renfort
d’une publicité si vulgairement racoleuse que l’on
se demande parfois si l’on achète le dernier album
d’Anna N. ou le calendrier 2006 de Clara M., cet enregistrement
sera pour vous une bénédiction.
Après avoir participé, en tant qu’ingénieur
du son et directrice artistique, à quelques uns des joyaux du
catalogue Opus 111, Laurence Heym a fondé en 2004 le label ELOQUENTIA
avec un maître mot : l’indépendance, et une
volonté affichée : la promotion de jeunes talents
(lire ses réponses à nos 5 questions). Contrat rempli avec cet enregistrement précieux à plus d’un titre.
En premier lieu, il s’agit du premier récital d’une
artiste qui a fait la conquête immédiate du public
français en 2002 avec une Rosina séduisante au diable,
mutine et volontaire : Joyce di Donato. Alors qu’il existe
des cantatrices insupportables jusqu’à leurs fanatiques
les plus acharnés à force de manières et de
caprices, des oisillons abusivement imposés en haut de la
volière par la grâce du sacro-saint marketing, des
écorchées vives (la si généreuse Alexia
Cousin nous reviendra-t-elle un jour ?), des artistes à
tout faire condamnées de fait à un anonymat relatif, il y
a aussi bien heureusement des artistes qui donnent un sentiment
très rassurant de plénitude vocale et personnelle, et
savent affirmer une personnalité sur scène sans vouloir
absolument nous jouer la comédie backstage. C’est à
cette dernière catégorie qu’appartient
incontestablement la mezzo américaine.
Que de chemin parcouru depuis le concours Operalia, et quelle communion
avec le public français : après cette
irrésistible Rosina, il y eut un Chérubin
d’une évidence absolue et aussi une Angelina dont le
rondeau final touchait à l’ineffable. La mezzo
américaine a conquis les coeurs des lyricomanes et s’est
imposée en peu d’années comme une chanteuse, et
bien mieux une interprète, incontournable tant chez le divin
Wolfgang que chez l’ami Rossini, moins spectaculaire
peut-être que certaines de ces consoeurs mais d’un
probité musicale exemplaire et d’une technique accomplie,
forgée à cette école américaine à
laquelle elle apporte bien heureusement un supplément
d’âme qui ne s’apprend pas.
Etrangement (ou faut-il simplement s’en réjouir),
c’est à Paris que Joyce di Donato est venu enregistrer un
programme 100% américain. Elle nous promet textuellement
« le plus profond désir » ; il passe
davantage par son interprétation vocale que par le
matériau choisi, représentatif d’une certaine
production lyrique transatlantique, cultivant une modernité
tempérée, empruntant l’essentiel de sa
vocalité à Britten, et de son harmonie à
l’impressionnisme français ou à Satie, le
génial enfant de Honfleur, avec une habileté qui prend
parfois le pas sur le caractère. Ce répertoire ne peut
exister que par un investissement interprétatif intense :
c’est bien heureusement le cas ici de la part de la mezzo comme
de celui de son pianiste, expert à créer les
atmosphères.
Il faut saluer ici le courage du label, qui a donné à la
cantatrice la possibilité de bâtir ce programme original,
comme la flamme avec laquelle celle-ci le défend ou
l’intelligence du texte de présentation
qu’elle a elle-même signé. Jusqu’au soin
apporté à la confection de la pochette, on perçoit
ici l’objet pensé et conçu dans la passion ainsi
que dans les nobles règles de l’artisanat (dans son
acception la plus positive) : de la belle ouvrage ! Voici un
disque dont on s’imprègne, et qui bientôt nous
envahit...
Joyce di Donato soutient avec aisance l’écriture assez
tendue de Bernstein, avec des écarts parfois périlleux.
Sa voix pulpeuse et homogène s’y déploie d’un
grave profond à de célestes aigus. « A Julia
de Burgos » nous laisse même deviner quelle formidable
et brûlante chanteuse de zarzuela
elle pourrait être. Aux flamboyances de Bernstein succède
l’univers tantôt recueilli et tantôt enragé
des 12 poèmes d’Emily Dickinson mis en musique par
Copland, qui permettent à notre artiste de déployer une
vaste palette d’inflexions et d’humeurs. Les pièces
de Jake Heggie introduisent une flûte mélancolique et
quelques audaces harmoniques, avant qu’un bonus spirituel ne
clôture un album qui constitue une remarquable carte de visite
pour cette admirable cantatrice, qui unit si étroitement la
maîtrise et la flamme, en même temps qu’un
passeport très accueillant pour un répertoire encore peu
fréquenté dans notre vieille Europe.
Une étoile est née en 2002, elle n’a pas fini de
briller et cet enregistrement, qui l’établit de
façon assez magistrale, est on ne peut plus bienvenu. Il
constitue incontestablement notre premier coup de foudre de
l’année 2006.
Vincent Deloge
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Lire également l'interview 5 Questions à Laurence Heym
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