Bernarda FINK
Robert Schumann
Frauenliebe und -leben
Frauenliebe und -leben op.42,
Lieder : Mignon, Der Nußbaum,
Aufträge, Die Lotosblume,
Ständchen, Nachtlied, Der
Sandmann,
Das verlaßne Mägdelein,
Die Kartenlegerin)
Lenau-Lieder op.90
Bernard FINK, mezzo-soprano
Roger VIGNOLES, piano
1CD Harmonia Mundi HMC 901753
; DDD ; TT : 60'25
Enregistré en juin 2001
au Neumarkt de Reitstadel.
Bernardas Liebe
und Leben
Seit ich ihn gesehn / Glaub'ich blind zu sein / Wo ich hin nur blikke
/ Seh' ich ihn allein... Depuis qu'elle l'a vu, elle croit être
aveugle. Et l'on pourrait aisément lui retourner le compliment :
seit ich sie gehört, glaub'ich taub zu sein... Depuis qu'on
l'a entendue, on croit être sourd ! Bernarda Fink fait partie de
ces interprètes qui captivent immédiatement, dès les
premières notes. Au concert ou à la scène, elle irradie
d'une chaleur, d'une douceur et d'une sincérité sans pareilles,
confortées par un timbre d'une rare beauté, rond, charnu,
riche (mais jamais opulent) et qui, immédiatement, appelle l'émotion
et l'empathie. Ce n'est pas un hasard si René Jacobs - qui lui aurait
dit un jour : "Personne ne pleure en musique comme toi"-, après
l'avoir notamment distribuée en apaisante Cornelia dans son Giulio
Cesare ou en poignante Pénélope dans son Ritorno d'Ulisse,
en a fait son Orfeo gluckien (lire à ce sujet la
très belle critique de Bernard Schreuders), lui qui pendant
si longtemps a lui-même incarné ce rôle bouleversant
comme nul autre. Car Bernarda Fink, incontestablement, inévitablement,
bouleverse. Si la voix, ces dernières années, s'est allégée
et a grimpé dans l'aigu (surtout au contact de Dorabella, qu'elle
incarne avec une fantaisie et une sensualité irrésistibles),
elle n'en a pas moins toujours conservé ce poids et cette texture
qui m'évoquent toujours le velours - le velours rouge des théâtres,
celui des rideaux de scène, des balcons des théâtres
à l'italienne - qui font le bonheur de ses auditeurs.
Aussi est-ce avec une immense impatience que l'on attendait ce Frauenliebe
und -leben. Intrigué par des Nuits d'été enivrantes,
alléché par les échos d'un Frauenliebe und -leben,
justement, donné la saison dernière en récital au
TCE avec Roger Vignoles, on n'en était que plus curieux de découvrir,
enfin, ce que donnerait à entendre dans cette musique cette artiste
sensible et sereine - avec le très fort pressentiment que cela serait
forcément passionnant, voire même exceptionnel. Car pour se
faire le porte-parole de la femme dont Schumann (sur des vers de Chamisso
d'un contenu accusant son âge - la description de la femme soumise
et vivant pour son époux pourrait prêter à critique
si elle n'avait l'excuse de dater du début du XIX° et d'être
parfaitement banale et même normale pour son époque- ) nous
conte avec tendresse et inspiration la vie et l'amour en un cycle intimiste
bouclant, le temps de huit lieder, la boucle de sa vie sentimentale, de
la première rencontre à la mort de l'être aimé,
il fallait, justement, une artiste sensible et sereine. Et rien qu'à
imaginer son timbre sur cette musique, on en frissonnait d'avance.
Comme on avait raison ! L'intuition première était la
bonne : on peut difficile imaginer interprète plus adéquate
pour ce cycle. Bernarda Fink fait siens les mots de la Femme du titre,
et nous confie, avec tendresse et pudeur, avec émotion et parfois
fierté, aussi, rien moins que sa vie et son amour. Aucune des si
subtiles et délicates atmosphères de ces quatre moments cruciaux
de la vie de la narratrice (le coup de foudre, les fiançailles,
la maternité, et la perte, que l'on suppose prématurée,
de l'époux) ne lui échappe, tout au long de huit tableaux
d'une discrète et élégante beauté et où
tout n'est que pudique émotion. Amoureuse transie (Seit ich ihn
gesehn) ou exaltée (Er, der Herrlichste von allen), fiancée
tour à tour incrédule, inquiète ou rassérénée
face à ce bonheur presque trop beau pour être vrai (Ich
kann's nicht fassen, nicht glauben ; Du, Ring an meinem Finger ; Hilft
mir, ihr Schwestern), puis épouse sereine et rayonnante de tendresse
face à son mari déboussolé par la naissance proche
de l'enfant (Süßer Freund, du blickest), mère
exultant (An meinem Herzen, an meiner Brust) et finalement veuve
blessée à la poignante résignation (Nun hast du
mir den ersten Shmerz getan), Bernarda se livre avec une justesse et
une retenue, mais surtout une simplicité et une sincérité
désarmantes, nous faisant vivre, à son écoute, les
mille et un sentiments pointant dans le cúur de celle qui, finalement,
pourrait être vous ou moi, ou n'importe quelle autre femme au monde.
Que dire après avoir écouté une telle merveille
d'humanité et de sensibilité, attentivement soutenue par
le piano-confident de Roger Vignoles ? Que le reste du programme, cohérent
et subtilement ordonné, offre un contraste bienvenu - tout en restant,
la plupart du temps, dans une même atmosphère intimiste. De
la nostalgie de Mignon à l'humour de Die Kartenlegerin, de l'impatience
d'Aufträge à la tendre éloquence de Ständchen,
la chanteuse module ses inflexions avec finesse, faisant valoir un art
consommé du conte en grande mélodiste qu'elle est et dont
on se demande comment on a pu s'en passer jusqu'à présent
dans ce répertoire. Le cycle des Lenau-Lieder, moins célèbre
que Frauenliebe und -leben, mais non moins passionnant, permet à
la chanteuse de varier encore plus les plaisirs et les ambiances, et referme
fort agréablement ce très beau disque, qui ne donne envie
que d'une chose : que Bernarda Fink revienne à ce répertoire
très vite !
Mathilde Bouhon
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