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Almicare PONCHIELLI (1834-1886)
LA GIOCONDA
Dramma en 4 actes
Création La Scala de Milan 1876
Livret : Arrigo Boito d’après Victor Hugo
Direction musicale : Daniele Callegari
Orchestre symphonique et Chœur Gran Teatre del Liceu
Mise en scène : Pier Luigi Pizzi
Lumière : Sergio Rossi
Corégraphie : Gheorghe Iancu
Coproduction : Gran Teatre del Liceu,
Teatro Real de Madrid, Arènes de Vérone
La Gioconda : Deborah Voigt
Laura Adorno : Elisabetta Fiorillo
Alvise Badoero : Carlo Colombara
La Cieca : Ewa Podles
Enzo Grimaldo : Richard Margison
Barnaba : Carlo Guelfi
Zuàne : Josep Miquel Ribot
Isèpo : Jon Plazaola
Barnabotto : Pavel Kudinov
Danseurs : Angel Corella, Letizia Giuliani
Enregistrement live Gran Teatre del Liceu, octobre 2005
DVD Video - 2 discsTDK, 2006 – LPCM Stereo – 174 minutes
Mélo magistral dans une Venise stylisée
Sous l’apparence d’un chanteur
ambulant, Barnaba est un mouchard au service du pouvoir. Il
désire ardemment la belle Gioconda, chanteuse elle aussi.
Celle-ci, qui aime Enzo, le repousse avec dégoût.
Vexé de la rebuffade, Barnaba décide de se venger. Il
commence par exciter la foule contre la Cieca, la mère aveugle
de Gioconda, qu’il accuse de sorcellerie... Condamnée
à mort par le chef de l’Inquisition, la pauvre femme est
sauvée in extremis,
grâce à l’intervention de Laura émue par la
piété de la Cieca qui la remercie en lui offrant son
rosaire. Mais voici que Barnaba découvre que cette Laura,
aujourd’hui épouse d’Alvise, est aussi
l’ancienne bien-aimée du Prince de Gênes, alias
Enzo, venu incognito à Venise dans l’espoir de la
retrouver. Barnaba échafaude alors un plan machiavélique
pour atteindre encore plus cruellement la belle Gioconda qui se
dérobe. Il va favoriser les retrouvailles et la fuite
d’Enzo et de Laura tout en les dénonçant par avance
à Alvise afin de déclencher le châtiment
qu’ils méritent tous deux : la mort.
La machination semble atteindre son but. C’est sans compter sur
la noblesse de cœur de Gioconda… Par amour filial, elle
voue à Laura une reconnaissance infinie, bien qu’elle soit
sa rivale. Et elle éprouve pour Enzo une passion
dénuée d’égoïsme. Voulant assurer aux
amants le bonheur qui fait du même coup son malheur, elle ira
jusqu’au sacrifice de sa propre vie ! Cette intrigue
enchevêtrée, inspirée du drame hugolien Angelo,
tyran de Padoue, donne évidemment lieu à une succession
de coups de théâtre. Faite de rapports humains
extrêmement tendus, l’action se déroule dans la
cité des Doges dans l’ambiance exaltée du carnaval
et des régates de gondoles sur la lagune.
Du début à la fin, on ne peut qu’être
porté et même emporté par une musique
généreuse dont la qualité mélodique
séduit d’emblée. Thèmes narratifs
récurrents, riches couleurs instrumentales, tempos
enjoués, airs de danse et dissonances créent
alternativement des univers sonores joyeux, lourds ou
inquiétants … Constamment soutenu et relancé par
l’exécution bien ciselée du chef milanais Daniele
Callegari, l’intérêt du spectateur est ici toujours
tenu en haleine.
Alors que le livret situait le drame au XVIIe siècle, Pizzi
à choisi de le représenter dans la Venise du XVIIIe,
particulièrement troublée et menacée. Ceci afin de
créer une atmosphère propice à la délation,
où le carnaval, la liesse populaire et la danse apparaissent
plutôt un exorcisme devant la mort qu’une joyeuse
récréation.
Avec son dispositif architecturé, jouant sur les plans
inclinés et les escaliers des ponts et des palais
vénitiens, sa palette de noirs et de gris, rehaussés de
blancs, réveillés par de larges touches de rouge
flamboyant, la mise en espace et en images de Pizzi a l’avantage
de rendre l’action dramatique très lisible malgré
sa complexité. Ceci est d’autant plus sensible que la
captation vidéo permet des cadrages resserrés, sans
abuser — comme souvent — des mouvements de caméra
qui détournent l’attention du chant. Et, les subtils jeux
de lumière sur les personnages et les éléments
très stylisés du décor ainsi que
l’atmosphère brumeuse persistante semblent mieux
adaptés à l’écran, qu’à la
scène. (Voir notre compte rendu d’octobre 2005).
Outre l’excellent chœur du Liceu, renforcé par trois
autres ensembles, dont un chœur d’enfants, et le
célèbre ballet des heures — en droite ligne de
l’opéra français — qui soulève
l’enthousiasme du public par sa chorégraphie
athlétique et sensuelle, la distribution, très exigeante
en grandes voix, laisse peu à désirer.
Prêtant à Barnaba sa haute stature, le baryton Carlo
Guelfi tient avec aisance sa partie vocale sans aller aussi loin
qu’il le pourrait dans le machiavélisme du personnage
— cousin de Iago.
Plus justicier que mari jaloux, Carlo Colombara, déjà
Alvise dans cette même production aux Arènes de
Vérone, est une basse au timbre chaleureux et agréable
avec une autorité sereine et une ligne de chant très
stable.
Sans le « sex-appeal » universel d’un
Domingo, d’ailleurs superflu dans ce personnage finalement peu
séducteur et peu caractérisé, le puissant
ténor canadien Richard Margison chante Enzo avec fougue et ne
triche sur aucune des difficultés de sa partie demandant
à la fois force, legato, et longues notes tenues. Le fameux air
« Cielo e mar » lui vaut une salve
d’applaudissements.
Côté voix féminines, les exigences ne sont pas
moindres. Deborah Voigt met au service du rôle-titre toute sa
force de grand soprano dramatique rompue aux héroïnes
wagnériennes. Elle est une Gioconda pulpeuse, à la fois
fervente et violente. Admirable dans les coups d’éclat,
les vocalisations, elle l’est aussi dans les passages plus doux,
par exemple quand elle reprend à la fin le thème du
rosaire chanté au premier acte par sa mère. Le poignant
« Amatevi » qu’elle lance aux deux amants
sauvés grâce à elle transperce le cœur.
À part dans le duo de tigresses qui l’oppose à sa
rivale, la mezzo Elisabetta Fiorillo dont la voix accuse un
léger vibrato incarne un peu passivement mais avec des accents
fort émouvants un personnage plutôt ingrat.
Enfin, dans le rôle court mais central de La Cieca, le contralto
magnétique d’Ewa Podles parvient à émettre
une incroyable charge émotionnelle que le public reçoit
intégralement si l’on en juge par le murmure admiratif qui
monte de la salle à la fin de « Voce di donna e
d’angelo », et se renouvelle au moment du salut final
de la cantatrice polonaise.
S’il manque l’émotion et la magie émanant de
la présence des musiciens, des chanteurs et des danseurs au
moment même de l’interprétation de
l’œuvre, la vidéo permet en contrepartie de saisir
de nombreux détails et jeux de physionomies difficilement
visibles au théâtre. Par exemple : la moue de
dégoût et de mépris de la Gioconda devant les
avances concupiscentes de Barnaba, les regards échangés
entre Enzo et Laura quand ils se reconnaissent et trahissent leur
relation devant le traître à l’affût. On
remarque l’hypersensibilité d’aveugle de la Cieca
dont le visage, tendu vers l’écoute, reflète sa
joie presque enfantine, sa piété fervente et enfin sa
frayeur, selon la succession des événements. On voit les
petits gestes de tendresse et de complicité unissant la
mère et la fille (Incidemment, les deux chanteuses se
retrouveront dans la production du Met dans les mêmes rôles
en 2008).
En conclusion, ce DVD procure un plaisir indéniable quand on
apprécie ce grand opéra italien de la fin du XIXe
siècle ou que l’on souhaite le découvrir.
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