......
|
Antonio Vivaldi
HEROES
Récital d’airs d’opéras
Philippe Jaroussky, contre-ténor.
Ensemble Matheus
Dir. Jean-Christophe Spinosi
Virgin Classics n° 363414 2
enregistré en 2006.
"Il n'y a pas de héros sans auditoire",
André Malraux, L’Espoir
A la vue de cette jaquette digne d’une publicité pour les
soldes d’une marque vestimentaire, les admiratrices de Philippe
Jaroussky se pâmeront instantanément. Le jeune
héros y apparaît en effet la moue insatisfaite et
boudeuse, le regard énergique, la chemise défaite, la
cravate volant au vent, la veste jetée sur
l’épaule. Cette promesse de rage voluptueuse n’est
toutefois pas entièrement tenue.
La faute n’incombe pourtant pas au Prêtre Roux, dont
Jean-Christophe Spinosi a sélectionné avec goût
quinze airs aussi inventifs que variés, issus d’une
dizaine d’opéras comme Orlando finto pazzo, Tito Manlio,
Andromeda liberata ou encore Farnace. Qui donc est le coupable ?
Par élimination, le compositeur innocenté, la
responsabilité de ce semi-succès, ou demi-échec,
peut être imputée à deux suspects usuels :
Philippe Jaroussky tout d’abord. Si le contre-ténor
apparaît véloce et dynamique dans les airs de bravoure
tels « Se in ogni guardo » (Orlando finto pazzo)
ou « Fara la mia spada » (Il Tigrane), l’on
regrettera un abattage assez mécanique, un coup de glotte
parfois déplaisant dans les coloratures, et plus
généralement un manque d’implication qui transforme
les scènes de fureur en simple empilement spectaculaire de
virtuosité. En outre, les aigus solaires du chanteur se sont peu
à peu durcis, sans vraiment que le la voix gagne en profondeur
dans les graves. Aussi Philippe Jaroussky conserve t-il un timbre clair
et léger, mais dont la juvénile naïveté
s’étiole peu à peu. Heureusement, les airs lents
permettent à l’artiste de faire preuve de son
phrasé élégiaque, et d’une belle attention
au texte. Toucherait-on alors au sublime ? Hélas,
c’est sans compter l’intervention de
l’orchestre…
Passons donc à la responsabilité du capitaine
Jean-Christophe Spinosi. Fidèle à lui-même, le chef
dirige un orchestre sans cesse sur le fil du rasoir. Entre crescendos
incendiaires et nuances cyclothymiques l’Ensemble Matheus
surprend sans cesse l’auditeur, et ravit à première
écoute par ses attaques précises et la fougue de ses
cordes. Toutefois, l’on a connu nos musiciens en bien meilleure
forme. Comment décrire affablement ce support instrumental
d’une transparente indigence, d’une anorexique maigreur,
qui, sujet à une crise d’adolescence tardive,
préfère s’affirmer anarchiquement au lieu
d’accompagner la ligne de chant ? A l’inverse du
contre-ténor, c’est justement dans les airs lents que la
phalange accuse le plus de faiblesses, lorsque sa fragilité est
mise à nu par l’étirement du temps.
L’énergie ne peut alors plus camoufler le manque de
texture et d’épaisseur, l’envelopper dans
l’ivresse factice du mouvement. La douce introduction de
l’air de sommeil du l’Olympiade « mentre dormi
amor fomenti » donne l’impression de regarder un
acteur de cinéma évoluant devant un décor
aseptisé de studio en carton-pâte. Le tout en noir et
blanc naturellement, car l’orchestre ne met guère
l’accent sur les coloris instrumentaux : les flûtes du
« Bel riposo de’mortali » de Giustino
semblent englués dans la solitude anonyme d’une foule
aussi grise que le fond de la jaquette du disque.
Pour finir, une comparaison du « Sovente il
sole » d’Andromeda Liberata avec
l’enregistrement intégral d’Andrea Marcon
(Deutsche Gramophon) résume toute l’affaire :
d’un côté, un orchestre attentif au bon son,
caressant, aux petits soins pour Max Emanuel Cencic dont le chant
très dramatique se laisse toutefois aller à quelques
vibratos incontrôlés. De l’autre, l’ensemble
Matheus, d’une netteté chirurgicale presque criarde,
brûlant la poésie vivaldienne par sa rudesse et
gâchant l’extraordinaire prestation de Philippe Jaroussky.
Une expérience frustrante en somme…
Commander ce CD sur Amazon.fr
|
|