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Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)
AH ! MIO COR
Airs extraits d’Alcina, Hercules, Agrippina, Giulio Cesare, Joshua, Ariodante, Theodora, Amadigi, Orlando & Rinaldo
Magdalena Kozena, mezzo-soprano
Venice Baroque Orchestra
Andrea Marcon
1 CD Archiv Producktion, 477 6547
Ah ! Son cœur
Incontestablement nous tenons là l’un des enregistrements
de l’année ; l’un aussi des programmes haendeliens
les plus aboutis. L’un des ces disques, aussi, agaçants et
plus encore ; l’une de ces productions fabuleuses dès
leur sortie, mythiques déjà, d’une perfection que
l’on juge à la fois glacée et changeante,
mouvante… et émouvante !
Il est étrange de voir comme un compositeur, comme une musique
peuvent se rencontrer avec le monde d’un(e) artiste. C’est
idiot à dire ; cela frôle la lapalissade. Mais
très objectivement cet album présente presque point par
point les mêmes qualités intrinsèques que le récital Mozart que Magdalena Kozena
a proposé il y a peu chez le même éditeur. Mais
là où les qualités, justement, étouffaient
et l’artiste et Mozart, elles respirent ici ; elles
innervent la musique de Haendel – à moins que cela soit le
contraire ! Bref, là où Mozart fut un
demi-échec, cet album-ci est une double réussite.
Pourtant comme chez Mozart, Kozena se confronte ici – combat
même – avec des rôles, des caractères, des
tessitures qui ne sont pas à elle. Et cela pourtant avec sa
voix. Là encore le propos frôle le truisme ; mais il
faut le dire, le redire et le redire encore, Kozena ne contrefait pas
sa voix – comme elle pouvait le faire en récital live en
tubant des graves d’ogresse dans Dopo notte. Elle l’utilise, seulement – fût-elle un peu légère pour Alcina
– la voile et la dévoile, la fourbit ou la neutralise, la
noie d’ombre ou l’écrase de lumière.
La ligne est superbe, tendue d’un legato
bruissant, souvent ému, jamais vain. Les suspensions des
« Pensieri » d’Agrippina, ou du
« Cara speme » de Giulio Cesare
sont à faire pleurer les pierres, comme un trait de pinceau
jeté dans un azur pâle ; cela jusqu’à
l’apesanteur, la lévitation quasi-surnaturelle à la
fois d’engagement et de maintien d’un « Lascia
ch’io pianga » terminant le récital comme on
laissait, à la Renaissance, une fenêtre ouverte sur un
paysage sublimé d’un sfumato brûlant.
Et même sa virtuosité émeut ici, malgré sa technicité meurtrière, rayonnante – Joshua – ou guerrière, furieuse – Ariodante forcément.
Et même ses outrances, ses détimbrages, ses graves
appuyés, feulés, paraîtront des coups de
génie. Voyez Orlando ;
voyez, surtout, « Scherza infida ». Là,
Kozena relève le défi de s’ébattre dans le tempo
morbide et, pour beaucoup, définitif du duo Von Otter/Minkowski.
Mais à la déploration hédoniste de la
première répond la franchise de la seconde, le slancio du
guerrier trahi, blessé dans son ardeur mâle.
L’attaque, déjà, dit tout de ce qui va suivre, de
cette plainte d’amour-propre modulée d’une
lèvre glacée, de cette lamentation d’un cœur
saignant, suant la rancœur !
Kozena aurait-elle pourtant pu aboutir à cette réussite sans Marcon
et sans ses forces vénitiennes ? Sincèrement je ne
le crois pas. Il n’y a qu’à voir, encore une fois,
comme l’accompagnement de Rattle avait pu paraître
handicapant dans son parcours mozartien. Ici rien de tout cela. Marcon
« respire » Haendel ; Marcon
« parle » Haendel. Et l’orchestre
répond supérieurement à ses intentions,
entrelaçant de volutes obligati
les traits d’Agrippina ou de Sesto ; éreintant de
syncopes haletantes les émois d’Alcina. Peut-on même
parler d’accompagnement ici ? Qui accompagne
l’autre ? Quel est l’instrument concertant dans cet
ensemble « à voix égales » ?
Tel quel, donc, cet album est une priorité.
Benoît BERGER
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