ROLAND
Tragédie mise en Musique
de Jean-Baptiste LULLY
sur un livret de Philippe Quinault
Les Talens Lyriques
Choeur de l'Opéra de
Lausanne
Dir. Christophe Rousset
Roland, Nicolas Testé,
basse
Angélique, Anna
Maria Panzarella, dessus
Médor, Olivier
Dumait, ténor haute-contre
Témire, Bélise,
Monique Zanetti, dessus
Astolphe, Robert Getchell,
ténor haute-contre
La Fée principale,
Logistille, Salomé Haller, dessus
Ziliante, Démogorgon,
un Suivant d'Angélique,
Evgueniy Alexiev, basse
Tersandre, un Insulaire,
Emiliano Gonzalez-Toro, taille
Coridon, un Insulaire,
Anders J. Dahlin, ténor haute-contre
Une Pastourelle, Une Amante
contente,
une Suivante d'Angélique,
Marie-Hélène Essade, dessus
La Gloire, une Suivante d'Angélique,
une Amante contente, Delphine
Gillot, dessus
Ambroisie, enr. jan. 2004,
3 CDs, AMB 9949
"Quelqu'un vient : c'est Roland" (Angélique,
Acte II, scène première)
Roland fut l'une des tragédies de Lully les plus prisées
de l'époque, et il paraît que c'était l'oeuvre préférée
du compositeur : représentée à Versailles en présence
du Roi le 18 janvier 1685, elle est reprise huit fois à la cour,
puis au Palais Royal. Elle sera de nouveau choisie pour célébrer
le mariage du duc de Bourgogne en 1697 et pendant tout le dix-huitième
siècle jusqu'en 1755, à la cour comme à la ville.
Roland
est d'abord le fruit de la longue, fructueuse, et amicale collaboration
entre le tout-puissant
"Monsieur de Lully, escuyer, conseiller, Secrétaire
du Roy, Maison, Couronne de France & de ses Finances, & Sur-Intendant
de la Musique de sa Majesté" anobli depuis 1681 et du poète
Quinault dont les tragédies étaient aussi admirées
que celles de Racine et Corneille.
1685, année de paix. Louis le Grand est à l'apogée
de sa puissance. Le doge de Gênes lui-même vient présenter
ses excuses à Versailles pour la construction de galères
aux ennemis de la France. Les places royales fleurissent partout dans le
royaume, la Cour - installée définitivement à Versailles
depuis plus de deux ans - ne sombre pas encore dans une austérité
dévote encouragée par l'épouse morganatique du Roi.
La révocation de l'Edit de Nantes paraît chose si aisée...Quinault
abandonne les dieux de l'Olympe et replonge dans les temps moins païens
des preux croisés. Le livret s'inspire de l'Orlando Furioso
de l'Arioste, source intarissable pour les opéras italiens du siècle
suivant, et se concentre sur l'histoire bien connue de l'amour passionné
du héros éponyme pour Angélique. Cette dernière
lui préférant Médor, Roland sombre dans la folie et
retrouve la chemin de la Gloire grâce à la fée Logistille.
Le message est clair, comme dans l'Orlando de Haendel : "Lascia
Amore e siegui Marte !" (Délaisse l'Amour et suit Mars - Acte
I, scène 2). Sur ce livret particulièrement inspiré
et au fil dramatique remarquable, Lully va composer une partition à
la fois innovante et riche qui sera son avant-dernière tragédie
lyrique...
Pour ce Roland, Christophe Rousset a réussi le pari d'une
belle musicalité sans sacrifier le côté dramatique
et théâtral de l'oeuvre. Par rapport à son précédent
Persée
(Astrée), son Roland est mieux construit, plus posé,
plus mûr. Certes, l'excellent livret de Quinault y est pour beaucoup,
mais l'on ne peut s'empêcher de penser que cet enregistrement-ci
bénéficie d'une vision d'ensemble et d'une cohérence
narrative qui manquaient aux jolis tableaux de Persée.
Malgré quelques traces de bel canto, Nicolas Testé
campe un Roland héroïque de sa voix puissante et profonde.
Pourtant, sous ces dehors glorieux, c'est bien l'incarnation de l'homme
malheureux, blessé, et perdant finalement la raison qui emportent
l'adhésion. Le voilà donc, ce héros magnifique qui
soupire éternellement aux pieds de la belle Angélique. Désespéré
dans le célèbre monologue de l'acte IV, "Ah, j'attendrai
longtemps", dément dans "Je suis trahi ! Ciel !" alors
que la basse continue déstructure le récit par sa course
effrénée de doubles croches, ce Roland-là est fait
de chair et de sang. On s'étonnera d'ailleurs que Lully ait confié
ce rôle à une basse, là où l'on aurait plutôt
attendu le traditionnel haute-contre.
Le reste du plateau frise également le sans faute : on remarquera
entre autres Olivier Dumait et Robert Getchell, irréprochables en
nobles gentilshommes, même si leurs personnages restent finalement
aussi élégants que superficiels. Leur jeu sans affectation
et leur fidélité au texte font cependant plaisir à
entendre et nos deux gaillards (excusez cette familiarité) semblent
nés avec une perruque et une épée de cour au côté.
Anna Maria Panzarella est impériale en Angélique. Au-delà
de certains ports de voix et autres ornements parfois un peu agaçants,
surtout lors du premier acte, la chanteuse allie présence et beauté
du timbre : les fadaises galantes du duo "Se peut-il qu'à ses
voeux" de l'acte III sur une parodie de chaconne se transforment en
grand moment d'émotion. Le reste des seconds rôles est à
l'avenant.
Pourtant, le grand vainqueur de ce Roland, c'est l'orchestre.
La griffe précise et colorée des Talens Lyriques est vraiment
remarquable et l'on se félicitera de la précision des attaques
des cordes, perceptible dès l'ouverture. Les ritournelles et symphonies
sont interprétées avec beaucoup de grâce et l'on ne
peut que regretter deux choses : l'absence de percussions pour les danses
et le maigre effectif des instrumentistes. En effet, les Talens sont à
peine une vingtaine quand Lully disposait de la Grande Ecurie et de la
Chambre. Le continuo en particulier souffre d'un unique théorbe
là où Malgoire alignait cinq instruments à cordes
pincées pour son Alceste (Astrée) et Christie quatre
pour son mythique Atys (Harmonia Mundi). C'est d'autant plus dommage
que l'orchestre est omniprésent dans cette tragédie, dont
il constitue la véritable ossature. La grande chaconne de l'acte
III "C'est Médor qu'une Reine si belle" perd quelque peu
son pouvoir d'évocation et la densité sombre de l'écriture
à cinq parties du Florentin s'en trouve affaiblie au profit d'une
lecture plus fine, plus ciselée mais qui présente bien moins
de force. De même, l'air de folie de Roland à l'acte IV manque
de corps dans l'équilibre entre vents et cordes. Les choeurs sont
homogènes, mais souvent trop précipités comme le final
"La Gloire vous appelle". Enfin, l'on se félicitera de l'intelligibilité
du texte et des efforts de Christophe Rousset afin que Roland reste
avant tout une tragédie mise en musique et non un opéra.
Malgré ces quelques réserves, cette nouvelle réalisation
représente une réussite indéniable, avec ses moments
forts comme la longue chaconne préfigurant la passacaille d'Armide
et l'étonnante scène de folie de Roland, et l'on ne peut
que s'écrier à son écoute : "Ca sent le Rousset
!". Une dernière chose : le label Ambroisie propose un coffret
au design novateur, sans boîtier ni fourreau, tout à fait
inapproprié. Les disques ne cessent de tomber et le livret aussi.
Revenons donc à la bonne vieille formule classique, bien meilleure
pour la conservation de cet admirable enregistrement.
Viêt-Linh NGUYEN
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