Gustav MAHLER (1860 -
1911)
Symphonie
n°3
Pierre Boulez
- Wiener Philharmoniker
Anne-Sofie von
Otter, mezzo-soprano
Choeur de femmes
du Singverein de Vienne
Direction Johannes
Prinz
Petits Chanteurs
de Vienne
Chef de Choeur
: Gérald Wirth
2002 - DG (2 CD)
N° 474 038-2
Durées :
CD 1 : 58'39 - CD2 : 35'44
CD 1
Première
partie :
1 - Kräftig
Entschieden
Deuxième
partie :
2 - Tempo di menuetto.
Sehr mäBig
3 - Comodo. Scherzando.
Ohne Hast
CD 2
4 - Sehr langsam.
Misterioso. Durchaus. ppp
"O Mensch ! Gib
Acht" (alto solo)
Texte de Friedrich
Nietzsche, "Also sprach Zarathustra"
5 - Lustig im Tempo
und keck im Ausdruck
"Bim bamm ! Es
sungen drei Engel" (choeur, alto solo)
Text : "Des knaben
Wunderhorn"
6 - Langsam. Ruhevoll.
Empfunden
UNE CATHÉDRALE DE GLACE...
"Quand on écrit une oeuvre de cette dimension,
une oeuvre qui reflète la création toute entière,
on est pour ainsi dire un instrument dont joue tout l'univers.( ...)
(...) Ma symphonie sera quelque chose que le monde
n'a encore jamais entendu ! Toute la nature y trouve une voix pour narrer
quelque chose de profondément mystérieux, quelque chose que
l'on ne pressent peut-être qu'en rêve."
Gustav Mahler.
C'est pourtant un accueil bien mitigé que reçut ce chef-d'oeuvre
lors de sa première exécution - partielle, sans le 1er mouvement
- sous la direction de Mahler lui-même à Berlin en mars 1897.
En revanche, la première audition complète le 9 juin 1902
à Crefeld, en Rhénanie, obtint un triomphe, en particulier
en raison de l'Adagio final qui déclencha l'enthousiasme
des critiques.
Tellurique, cosmique, certes, cette oeuvre l'est, à l'image de
la quasi totalité de celles de Mahler. Comme souvent chez lui, le
trivial côtoie le sublime, la musique populaire et le folklore occupent
une place non négligeable. Le troisième mouvement est une
reprise de "Ablösung im sommer" (Relève en été),
une de ses mélodies de jeunesse où le coucou du printemps
meurt pour laisser la place au rossignol de l'été. Par ailleurs,
dans le quatrième mouvement, "O Mensch", la voix de l'alto a pour
tâche de transmettre la parole prophétique de Nietsche alors
que dans le cinquième, on retrouve la veine populaire avec un extrait
du "Knaben Wunderhorn" chanté par les choeurs de femmes et d'enfants
et, à nouveau, le contralto, la simple et touchante poésie
faisant suite au texte philosophique de Nietzsche.
De nombreuses versions de cette oeuvre majeure ont été
gravées et non des moindres, comme, chez DG, celle d'Abbado avec
le Berliner Philharmoniker (471 502 - 2), celle de Bernstein (427 328 -
2) avec le New York Philharmonic, sans compter une autre version plus ancienne
chez Sony, avec le même orchestre (SM2K 47 576).
Une nouvelle gravure de cette symphonie pouvait laisser augurer, compte
tenu de la qualité des artistes en présence, un grand choc
artistique. Le résultat, il faut l'avouer, s'avère assez
décevant, en raison en particulier de la conception générale
de Pierre Boulez, pour le moins déroutante.
Il semble en effet qu'il ait souhaité gommer tout pathos et aplanir
les ruptures et les contrastes qui pourtant font partie intrinsèque
de la pensée musicale de Mahler et sont aussi le ciment de son originalité,
voire de son identité.
Cette lecture très structurée, plus cérébrale
que métaphysique, semble ne laisser aucune place à l'inattendu,
si courant chez Mahler. Le résultat est brillant, incisif, d'autant
que le Wiener Philharmoniker scintille de mille feux , mais nous laisse
de glace.
La même transparence et la même clarté se retrouvent
chez Anne-Sofie von Otter, au timbre trop clair désormais pour la
partie "alto solo", dévolue en général à une
voix plus sombre. Malgré son habituelle musicalité, on constate
chez elle aussi un manque de pathos et, là où nombre de ses
consoeurs donnent à entendre un timbre chaud et bouleversant de
pythie, enveloppante et maternelle, la mezzo suédoise marque ses
pages de son habituelle voix lunaire et moirée, certes, mais cette
fois trop désincarnée, trop peu charnelle, glacée,
presque indifférente et extérieure...
On peut se demander si, dans son entreprise "chirurgicale", Boulez n'a
pas souhaité l'entendre "exprimer le moins possible", considérant
sans doute que la musique de Mahler est assez expressive par elle-même
pour qu'il ne soit pas nécessaire encore d'en ajouter.
La même rigueur musicale alliée à un certain détachement,
s'observe parmi les choeurs.
Il semble décidément que, comme Simon Rattle pour ses
Gurrelieder
avec le Berliner l'an passé, Boulez ait succombé à
la tentation ressentie par tout chef face à une phalange de légende
: mettre en valeur l'orchestre, somptueux il est vrai, plutôt que
de restituer le chant plaintif et déchirant qui imprègne
toute l'oeuvre de Mahler, celle-ci, en particulier.
Visiblement, Boulez, malgré ses qualités, ne parvient
pas à rendre ce fameux "balancement yiddish" si cher à Leonard
Bernstein et qu'il est peut-être un des seuls à avoir aussi
bien compris.
Il suffit de réécouter la version avec le Philharmonic
Orchestra (chez DG et surtout chez Sony), moelleux , bouleversant et inspiré,
pour entendre la différence : Bernstein est contrasté, vivant,
chaleureux, alors que Boulez surprend par sa froideur analytique et son
manque d'émotion.
En conclusion, on peut donc être séduit par ce brillant
exercice de style, mais rester de marbre face à cette volonté
délibérée d'évacuer tout sentiment, tant l'oeuvre
de Mahler est faite de chair et de larmes, reflet du combat qu'il mena
toute sa vie contre les forces obscures qui le poussaient à se révolter
contre Dieu et à lui demander des comptes, tel Job dans l'Ancien
Testament. On ne peut donc que recommander les versions de Bernstein et
déplorer que, malgré la splendeur indiscutable de l'orchestre,
ce dernier enregistrement n'aboutisse somme toute qu'à une superbe
cathédrale, monumentale et glacée.
Juliette BUCH
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