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Antonio VIVALDI
MOTEZUMA
Opéra en 3 actes
sur un livret de Girolamo Giusti
Motezuma : Vito Priante
Mitrena : Marijana Mijanovic
Fernando Cortes : Maité Beaumont
Ramiro : Romina Basso
Asprano : Inga Kalna
Teutile : Roberta Invernizzi
Il Complesso Barocco
Clavecin et direction : Alan Curtis
Deutsche Grammophon, Archiv
enr. Novembre 2005, CD 00289 477 5996 (3 CDs)
Les tribulations d'un empereur mexicain
Avant de parler de l'enregistrement lui-même, comment ne pas
rappeler la rocambolesque aventure qui a finalement abouti à
cette galette bleutée ?
1943. L'Allemagne nazie subit de plus en plus le survol des bombardiers
alliés, semant chaque fois leurs tapis de bombes et de ruines
fumantes au sein des grandes villes du Reich. Inquiet, Goebbels, Gauleiter
de Berlin, ordonne le transfert secret de 560 collections vers des
cloîtres, tunnels et châteaux de province, espérant
sauver ainsi des chefs-d'œuvre du patrimoine artistique allemand.
Les archives de la Berlin Sing-Akademie sont soigneusement
emballées et plus de 5000 manuscrits, sources imprimées,
matériels, lettres, documents, programmes, livrets, livres et
revues rejoignent quatorze grosses caisses et le calme de la
Silésie. Etrangement, les fonctionnaires ou militaires
chargés de l'opération en oublient la légendaire
méticulosité prussienne et n'établissent pas de
catalogue précis des œuvres
déménagées. Moins de trois mois plus tard, le joli
bâtiment à fronton et pilastre de 1827 part en
fumée, alors que les batteries de Flak 8.8 de la DCA ripostent
en créant de petits nuages de poudre dans le ciel de la
capitale… Pour la majorité des Allemands et des
musicologues occidentaux, c'en est fini du fonds de la prestigieuse
Akademie.
Pourtant, en 1969, un enregistrement d'un concerto pour flûte de
Wilhelm Friedemann Bach est édité à Kiev, alors
que la seule copie répertoriée provenait desdites
archives berlinoises… En effet, en 1945, l'armée rouge
fait connaissance avec le pittoresque château d'Ullersdorf et
rapatrie les précieux documents à Kiev. A partir de 1973,
ils sont conservés aux Archives Centrales de Littérature
et Art d'Ukraine sous la cote volontairement vague de "Fonds 441 :
Manuscrits des Lumières. Art et littérature occidentale
européenne du 17ème au 19ème siècle". En
1999, des chercheurs occidentaux découvrent enfin l'existence
des archives de la Berliner Sing-Akademie, et en 2001, après
moult tractations, elles regagnent Berlin. On passera un voile pudique
- et un regard désabusé - sur les escarmouches juridiques
à propos des droits de la partition microfilmée en
Ukraine qui conduisirent à l'annulation ou à la
transformation en pastiche de plusieurs représentations de Motezuma prévues depuis lors.
Ajoutons que cet opéra d'un Vivaldi cinquantenaire ne nous est
parvenu dans son intégralité que pour le second acte. Il
manque notamment le début des actes I et III et le finale
de l'acte III. Tout comme son prédécesseur Jean-Claude
Malgoire qui avait livré un pastiche fort remarqué de
l'œuvre en 1992 (Astrée), Alan Curtis et Alessandro
Ciccolini ont donc été forcés de puiser des
airs dans d'autres œuvres telles que Farnace, Tito Manlio et autres Fida Ninfa afin de compléter la partition de cet invraisemblable soap opera baroque où
Cortez s'éprend de la fille du Roi Moctezuma, avant que tous les
protagonistes finissent en chœur par chanter les vertus du
mariage, lieto fine oblige.
Cette incursion d'Alan Curtis en terre vivaldienne est une
réussite, en dépit de l'ouverture qui laissait
craindre le pire : articulations outrées et hachées, cors
boisés totalement à côté de la note,
clavecin ferraillant. Heureusement, à une exception près,
l'équipe de solistes dont s'est entouré le chef est
d'ordre dorique, c'est-à-dire de premier ordre et soutient
l'opéra de bout en bout.
Vito Priante campe un Moctozuma très noble, au timbre chaud et
velouté. Son "Gl'oltraggi della sorte" séduit
d'emblée par des graves puissants et stables, malgré un
accompagnement trop poussif. En face, son ennemi espagnol "Fernando"
(Hernan Cortes), est à la hauteur. Maité Beaumont
conjugue une agilité technique confondante à une belle
musicalité et son portrait viril de conquérant rappelle
par certains aspects le Jules César hændélien de
Jennifer Larmore (Harmonia Mundi). Passons à présent aux
choses qui fâchent : Marijana Mijanovic possède sans nul
doute une voix corsée, particulièrement reconnaissable,
et ne manque pas de tempérament. Malheureusement, la
mezzo-soprano souffre toujours d'une émission brouillonne,
souvent décalée par rapport à l'orchestre et d'une
maîtrise chaotique des ornements, que son vibrato forcé ne
fait qu'aggraver. Ainsi, le magnifique "S'impugni la spada" avec deux
cors de chasse, savonné à qui mieux mieux, ressort
totalement méconnaissable. Le reste du plateau est excellent,
avec une mention toute particulière à Inga Kalna. La
charmante soprano lettone - d'après la photo de livret -
jette dans "Brilleran per noi più belle" des aigus
hystériques à faire fuir illico de sa loge n'importe quel
admirateur trop entreprenant, puis se révèle absolument
ahurissante dans l'air de bravoure "D'ira e furor armato" où
elle rivalise d'agilité avec une trompette naturelle plus que
rutilante (dont on saluera d'ailleurs, en dépit de son
intonation précaire, le tube intact non percé de trous
pour faciliter le jeu – halte aux pseudo "trompettes baroques",
comme dirait Hervé Niquet).
Qu'est-il donc arrivé au Complesso Barocco ? Comme si Alan
Curtis parvenait au prix d'un effort surhumain à se contraindre,
l'orchestre est métamorphosé ! Ample, large,
opulent, Il Complesso Barocco joue moins sur les couleurs et la
cohérence de l'ensemble que sur le dynamisme de la masse
instrumentale. Placide, Curtis ? Certes non. Les tempi sont bien contrastés, vifs et emportés, sans excès. N'attendez cependant pas les successions de piano et forte névrotiques alla
Spinozi, ou des attaques furieuses et grinçantes que seuls les
Italiens savent nous livrer. Etrangement, au fur et à mesure que
l'action progresse, discipline semble se relâcher chez des
instrumentistes happés par un drame qu'ils ne peuvent plus
contrôler. Le trio guerrier "A battaglia, a battaglia !",
survitaminé, est envoûtant. En revanche, le chef n'a pas
su préserver la dimension onirique qu'il insufflait chez
Haendel, cette pulsation lancinante où l'orchestre se faisait
écrin d'une voix sublime, estompant toute notion du temps. De
façon plus prosaïque, cela signifie que l'empreinte typique
d'Alan Curtis, qui consiste dans les mouvements lents à faire
jouer les cordes en sourdine et à ralentir le tempo subtilement, petit à petit, est ici presque imperceptible.
Que dire de plus sinon que cet enregistrement ne partage avec celui de Jean-Claude Malgoire que l'ouverture (de Bajazet) et le chœur final (de Griselda)
et que l'argent dépensé par Archiv en autocollants
aguicheurs sur le boîtier ("Première mondiale" pour une Rodelinda
déjà enregistrée 11 fois auparavant, et à
présent quelque chose comme "découvrez la formidable
histoire d'un très beau et très joli et très
magnifique opéra unique qu'on croyait à jamais pour
toujours englouti dans les abîmes profonds du temps qui passe")
devrait être investi dans un fourreau cartonné qui
accompagnerait bien mieux cet enregistrement plein de fraîcheur
et d'allant, avant-goût de Flore et du Printemps.
Viet-Linh NGUYEN
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