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Vincenzo BELLINI (1801-1835)
NORMA
Norma, Edita Gruberova
Pollione, Zoran Todorovitch
Oroveso, Roberto Scandiuzzi
Adalgisa, Sonia Ganassi
Clotilde, Cynthia Jansen
Flavio, Markus Herzog
Chœur et Orchestre du Bayerisches Staatsoper
Friedrich Haider
Mise en scène, décors, costumes & lumières, Jürgen Rose
Réalisation, Brian Large
2 dvd Deutsche Grammophon, 00440 073 4219
Assoluta
Il faut un sacré culot pour s’attaquer à
Norma ; une sacrée endurance aussi. Rôle
sacré ; sacré rôle ! Pas de faux alibi
pédantement culturel lorsque je cite Lili Lehmann, juste un
témoignage : il vaut mieux trois Brünnhilde
qu’une Norma. Dieu sait, pourtant, que la grande Lili, format
doublement (au physique et vocalement) titanesque ne connaissait pas de
problèmes d’endurance. Non ! Le problème de la
druidesse est autre et tient à la rigueur d’une
cantilène déroulée comme un ruban de moire ;
à la variété des couleurs et des accents ;
à ce qu’elle réclame de féminité
épique aussi.
Alors le dilemme est cruel de se demander s’il faut se
résoudre à entendre Norma mal chantée ou
« simplement » à ne pas l’entendre
du tout. Mal chantée ? Pas ici, je vous
l’assure !
Je ne laisserai plus personne critiquer Gruberova. Cette fois,
c’est décidé ! Ruminant périodiquement
les outrages faits à la dame j’ai toujours pensé
qu’il fallait attendre la démonstration la plus
éclatante pour définitivement faire taire les
contradicteurs ! En cela comme en toute chose, d’ailleurs.
Eh bien ! Mais nous la tenons cette démonstration. Et quand
je dis éclatante…
Il faut un sacré culot pour s’attaquer à
Norma ; il faut, aussi, un sacré courage et une humble
intelligence pour se laisser le temps de mûrir au soleil de
Mozart et de Strauss avant d’aborder le rôle des
rôles. Gruberova a attendu ; attendu. Cela jusqu’aux
portes de la soixantaine. La maturité triomphante en quelque
sorte ! Triomphante de tous les obstacles ; de tous les
chausse-trappe du rôle ! De tous et mieux encore !
En concert, Grubi avait déjà donné Norma. Le
disque, d’ailleurs, en conserve (et même officiellement, ce
qui est rare) le souvenir glorieux.
Ici pas plus qu’auparavant Gruberova n’a, cependant
l’exact voix du rôle (mais, soit dit entre nous, je ne
pense pas que Sutherland ou Sills l’avaient non plus !).
Dans un monde philologiquement parfait elle aurait même dû
échanger son emploi avec Ganassi. Mais…
Mais Gruberova fait fi de tous les arguties des Beckmesser
réguliers. Parce qu’elle a, d’abord, une endurance,
une défonce permanente aussi, qui laisse
« juste » sans voix. Parce qu’elle a,
aussi, un velours qui habille, drape fabuleusement les passages
« lunaires » du rôle, d’une Casta diva aux liquidités profuses aux deux duos avec Adalgise (Mira o Norma,
surtout, qui tourne au combat d’amazones, émulation
oblige). Un velours somptueux (le temps a-t-il prise sur cette voix
là ?)… et quelque chose en plus. Une
variété d’accents, des inflexions
infinitésimales (Perché tu tremi ? avant Non tremare) ;
une pugnacité bouillonnante aussi habillée d’aigus
droits comme des javelots, tranchants comme des dagues (le finale du I,
encore) ; une empathie furieuse.
Gruberova qui tourne facilement au ridicule (il suffit de la regarder,
avec ses bajoues de gentille mémère fanée) dans
ses rôles de prudes effarouchées, statufiée ici,
impose une vision à la fois incontournable et gravée dans
le marbre. Un tempérament torrentiel se réveille, qui
fait tomber tous les reproches (d’ailleurs on ne peut en faire
dans ce cas précis puisqu’elle ne s’abandonne
à aucun de ses pêchés mignons, pas même
à ses aigus « croonés »).
Autour, dans une mise en scène sans vrai intérêt
(autre que celui de sculpter, fort bien, des silhouettes plutôt
finement éclairées) on regarde à peine
l’Orovèse (plutôt bon, par ailleurs) de
Scandiuzzi ; on ne prête guère l’oreille
à Todorovitch (qui ténorise sans vergogne et sans
style ; trompette ; tonitrue… le tout
régulièrement un peu bas). On s’intéresse
seulement à l’exquise Adalgise de Ganassi, à sa
musicalité émue, palpitante comme un cœur de
jouvencelle aux émois troubles. Adalgise simplement excellente
qui parvient (c’est bien la seule) à s’imposer face
à Norma, à lui tenir tête crânement et
à se hisser à son niveau.
Un dernier (tout dernier) petit mot pour Haider, dont le tort,
étant « monsieur Gruberova » à la
ville est d’avoir souvent été enveloppé dans
la même opprobre que madame. C’est très
exagéré et même d’une mauvaise foi absolue si
l’on s’attache, ici, très objectivement à sa
direction. Il mène ses troupes avec vigueur, ardeur ; avec
un dramatisme puissant ; un sens consommé de
l’action. Mieux, il sait jeter des ombres livides, des
éclairages souverains (le début du II) sur cette musique
qui appelle plus de nuances qu’on ne lui en consent souvent.
Bref… Bref, une rencontre prioritaire.
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