Antonio
VIVALDI (1678-1741)
L'Olimpiade
Sara Mingardo, contralto
(Licida)
Roberta Invernizzi,
soprano (Megacle)
Sonia Prina, contralto
(Aristea)
Marianna Kulikova,
mezzo-soprano (Argene)
Laura Giordano,
soprano (Aminta)
Riccardo Novaro,
baryton (Clistene)
Sergio Foresti,
basse (Alcandro)
Concerto Italiano
Rinaldo Alessandrini,
direction
Opus 111 OP 30316
Vivaldi Edition
Opere Teatrali
vol. 1
Tesori del Piemonte
vol.15
Il ne faut pas attendre d'un livret conventionnel et relativement insipide
qu'il inspire un drame musical soutenu, riche en rebondissements et en
émotions fortes. Cette énième histoire d'amours contrariées
sur fond d'Olympiades, adaptée une centaine de fois à l'opéra,
de Caldara à Cimarosa, aurait-elle connu un tel succès si
elle n'était pas due à la plume de Métastase ? Il
est permis d'en douter. La partition de Vivaldi, souvent plaisante et charmeuse,
est émaillée de très belles
arie,
cantabile
("Il fidarsi della speme", I, 3 ; "Mentre dormi amor fomenti", I, 8, etc.),
ou plus brillantes et enlevées ("Siam navi all'onde algenti", II,
5 ; "Lo seguitai felice", III, 7, etc.), mais elle est privée de
tension et de toute véritable progression dramatique, seules quelques
pages, isolées, échappant à la règle : une
ouverture nerveuse et inquiète, le duo angoissé qui clôt
le premier acte ("Ne' giorni tuoi felici"), le désarroi de Megacle
("Se cerca, si dice", II, 17) ou la panique de Licida ("Gemo in un punto
e fremo", II, 15) et des récits accompagnés, superbement
habités par Roberta Invernizzi (I et II).
Deux des protagonistes, Megacle et Licida, jouissent d'une distribution
idéale, c'est d'ailleurs l'atout majeur de cette production. Plénitude
et rondeur sur toute la tessiture, timbre ensoleillé, chant frémissant
et verbe incarné, Roberta Invernizzi se montre, de bout en bout,
passionnée et passionnante. Pour ceux qui l'ont suivie et connaissent,
notamment, ses prises de rôle irrésistibles dans l'opera
buffa napolitain sous la férule d'Antonio Florio, ce ne sera
évidemment pas une surprise. Moins gâtée par Vivaldi,
Sara Mingardo (Licida) déploie son magnifique contralto avec un
art consommé, éloquente dans les nombreux récitatifs,
un peu plus convaincante dans les étirements voluptueux du très
onirique larghetto "Mentre dormi, amor fomenti" que dans les éclats
du désespoir et de la frayeur ("Gemo in punto"), mais toujours captivante.
Malheureusement, ces artistes hyper douées règnent sans partage
sur un plateau équilibré - à une notable exception
près -, mais terne et scolaire...
Rinaldo Alessandrini semblait pourtant avoir vu juste : "La couleur
orchestrale se montre plutôt homogène et laisse penser que
Vivaldi concevait son opéra comme une collection d'airs à
bien chanter" (Le Monde de la musique, n° 269, p. 66, je souligne).
Or, paradoxalement, c'est sa direction qui nous enchante : vivacité,
finesse, poésie ("Mentre dormi, amor fomenti"), en parfaite intelligence
avec un Concerto Italiano dans une forme superlative, c'est le triomphe
du Vivaldi orchestrateur alors que l'équipe vocale, hormis Sara
Mingardo et Roberta Invernizzi, multiplie déceptions et frustrations
chez l'auditeur. Écoutez seulement avec quelle platitude Sonia Prina
(Aristea) exécute le da capo de "Sta piangendo la tortorella"
! Avec un soupçon d'imagination, un zeste de raffinement, il aurait
pu devenir son plus bel air. Et que dire de ces traits à la fois
saccadés et glissants qui tiennent lieu de vocalises ? Le grain
est personnel, séduisant, mais cette figure centrale de l'opéra,
à laquelle Vivaldi destine pas moins de quatre airs (alors que Megacle
et Licida doivent se contenter de trois) et un duo sublime, exige de tout
autres ressources expressives et stylistiques, sans parler des moyens strictement
vocaux. Pier Francesco Tosi, lui-même chanteur et théoricien
du belcanto, évoque une règle d'or observée
par les contemporains de Vivaldi lorsqu'il note que les da capo doivent
être ornés avec "goût et imagination" et ajoute
que "le chanteur qui ne varie pas tout ce qu'il chante, en y apportant
des améliorations, n'est pas un grand artiste" (Opinioni de' cantori
antichi e moderni, o sieno osservazioni sopra il canto figurato, Bologna,
1723, je souligne).
Quant au rôle techniquement le plus difficile (Aminta), il échoit
à la voix la plus verte, à la moins experte des chanteuses
: Laura Giordano, vingt-deux printemps, à peine bourgeonnant, solfiant
et minaudant de la plus insupportable manière, mais fugacement touchée
par la grâce dans "Il fidarsi della speme", un joyau sans lequel
son contre-emploi nous ferait presque regretter le phénoménal
Aris Christofellis, sopraniste acide et strident, mais virtuose, qui triomphait
au Théâtre des Champs-Élysées en 1990 (Nuova
Era). Au risque de me répéter, le langage de Vivaldi ne supporte
pas la tiédeur d'une interprétation littérale et mesurée
: il est édulcoré par le joli, mais superficiel, Argene de
Marianna Kulikova, dévitalisé par la retenue, sinon la mollesse,
de Sergio Foresti (Alcandro). Où sont le mordant, la couleur, les
inflexions, les accents ? Et l'invention dans tout cela ? Après
de longs récitatifs, ne sommes-nous pas en droit d'attendre que
le chant s'épanouisse, que l'interprète nous charme, nous
surprenne au gré des da capo ? Il est temps que ce répertoire
soit pris au sérieux : il s'agit ni plus ni moins de l'âge
d'or du belcanto, porté aux nues durant plus d'un siècle
et dont Rossini, Bellini et Donizetti ne furent jamais que les héritiers.
Un peu moins de philologie, un peu plus d'audace, de génie : Vivaldi
vous le rendra, et au centuple ! Sa musique a besoin de musiciens et non
seulement de gosiers, elle requiert de grandes, de fortes personnalités.
Ceux qui ont entendu l'Orlando de Marilyn Horne (Orlando furioso,
Erato, 1977) ou l'incandescente Juditha de Magdalena Kozena (Juditha
Triumphans), ceux-là comprendront...
Animer le recitativo secco, surabondant et peu phonogénique,
n'est pas un moindre défi ; le pari est (presque toujours) gagné,
avec un engagement dont l'opera seria bénéficie rarement.
L'enjeu est évidemment de taille. Il faut savoir, par exemple, que
les quatre dernières scènes de l'opéra (acte III,
scènes 7 à 10) n'enchaînent que des récitatifs
pendant près de dix minutes, à peine ponctuées par
des choeurs dont la brièveté (19 et 45 secondes) les apparente
à des mirages dans un désert mélodique ! Néanmoins,
les acteurs-chanteurs réussissent à entretenir notre intérêt,
et c'est un tour de force exemplaire. En revanche, il faut être stoïque
pour ne pas décrocher dans l'interminable récit de la scène
4 (acte I), plus de six longues minutes où les interprètes
sont livrés à eux-mêmes, abandonnés par un continuo
indigent, statique, somnifère... Autre sujet d'agacement, extra-musical
cette fois : au lieu de nous conter par le menu la genèse des airs,
relation assez fastidieuse pour le simple mélomane, Rinaldo Alessandrini
aurait pu centrer son propos sur l'originalité et les qualités
musicales de l'ouvrage, à peine effleurées dans la présentation
anecdotique de Frédéric Delaméa. Cette médiocre
notice est-elle bien digne du vaste et ambitieux projet éditorial
dans lequel Opus 111 s'est lancé ?
En dépit de réserves substantielles, cette troisième
version de L'Olimpiade s'impose, il est vrai sans coup férir,
en tête de la discographie, renvoyant aux oubliettes le live de René
Clemencic (Nuova Era, 1990) et le tripatouillage pionnier de Ferenc Szekeres
(Hungaroton, 1977). Ce n'est déjà pas si mal, mais pour renaître
dans toute sa splendeur, l'opéra du Prêtre Roux devra encore
attendre une gravure digne du Giulio Cesare de Jacobs ou de l'Ariodante
de Minkowski, qui ont révolutionné l'interprétation
des opéras de Haendel.
Bernard SCHREUDERS
Commander ce CD sur Amazon.fr
Vivaldi%20-%20L'Olimpiade<" target="_blank">
Voir aussi Juditha Triumphans et la Verita
in Cimento
autres volets de cette intégrale Vivaldi qui paraît chez
Opus 111/Naive