Pietro
il Grande
Kzar delle
Russie o sia Il Falegname di Livonia
"Melodramma burlesco" en deux
actes et six tableaux
du marquis Gherardo Bevilacqua
Aldobrandini, d'après la comédie en trois actes
Le Menuisier de Livonie ou
Les Illustres Voyageurs d'Alexandre Duval (1805)
et le livret de Felice Romani
Il Falegname di Livonia, tiré de la même pièce pour
le compositeur Giovanni Pacini (Milan, Teatro alla Scala, 12 avril 1819)
Musique de Gaetano DONIZETTI (1797-1848)
Création : le 26 décembre
1819 au Teatro San Samuele de Venise
Carlo Scavronski, menuisier de
Livonie (tén.) : Alessandro Codeluppi
Annetta Mazepa, aubergiste (sop.)
: Rosa Sorice
Madama Fritz, propriétaire
d'auberge (m.-sop./sop.) : Rosa Anna Peraino
Ser Cuccupis, magistrat (bar.)
: Giulio Mastrototaro
Pietro il Grande, tzar de Russie
(bar.-bs.) : Vito Priante
Caterina, son épouse (sop.)
: Eufemia Tufano
Hondediski, capitaine moscovite
(tén.) : Vittorio Bari
Firman-Trombest, usurier (bar.)
: Claudio Sgura
Notaio (un notaire) (bs.) : Michele
Bruno
Coro da Camera di Bratislava,
M° del Coro : Pavol Procházka
Orchestra Internazionale d'Italia,
Maestro Concertatore e Direttore :
Marco Berdondini
Dynamic CDS 473/1-2 (2 Cd durées
: 74'38"& 73'01")
Enregistré au "Festival
della Valle d'Itria", dans la Cour d'Honneur du
"Palazzo Ducale" de Martina Franca,
durant le mois de juillet 2004.
(Textes de présentation
en français, livret en italien et anglais)
Les anciennes listes regroupant les opéras
de Gaetano Donizetti mentionnent toujours
Il Falegname di Livonia (le
menuisier de Livonie) et pour cause, puisque le compositeur répète
ce titre au début de chaque morceau et de chaque récitatif
de la partition autographe
(1).
On suppose que décision fut prise, tardivement, de changer le titre
en
Pietro il Grande Kzar delle Russie tel que le montre le premier
livret imprimé. Il s'agissait probablement d'éviter une confusion
avec
Il Falegname di Livonia de Felice Romani, que Giovanni Pacini
venait de donner quelques mois plus tôt et avec succès, au
Teatro alla Scala, le 12 avril 1819. On note pourtant que bien des productions
successives de l'opéra de Donizetti seront ainsi intitulées.
Le vieux Teatro di San Samuele de Venise (construit en 1655) se débattait
au milieu des difficultés croissantes et ses propriétaires
décidèrent de le relancer en inaugurant la saison en commandant
un opéra à un jeune compositeur ayant fait un début
remarqué, précisément dans la même Venise...
Gaetano Donizetti venait en effet de débuter un an plus tôt
au Teatro San Luca, avec le "semiserio" Enrico di Borgogna, quatrième
ouvrage mais son premier créé.
Les opéras présentant le tsar Pierre Ier voyageant incognito
sont nombreux mais ils le montrent plutôt déguisé en
charpentier, au cours de ses deux séjours hollandais. C'est le cas
de Il Borgomastro di Saardam (1827), où l'on retrouve notre
Donizetti, et du reste, lorsque ce sympathique opéra-bouffe sera
donné à Berlin dix ans plus tard, il suggérera au
compositeur Albert Lortzing l'idée d'écrire son Zar und
Zimmermann, aujourd'hui toujours populaire dans les pays germaniques.
Le tzar Pierre Ier, dit "Le Grand" mais devenu magnanime
en montant sur la scène d'opéra
Pietro il Grande renaissait au mois de mai 2003 à l'Opéra
de Saint-Pétersbourg, avant que le "Festival della Valle d'Itria"
ne le remonte à son tour un an plus tard, offrant ainsi un troisième
opéra de jeunesse de Donizetti à l'attente des passionnés,
car il allait être enregistré comme les deux autres (Il
Fortunato Inganno et La Zingara) par la firme Dynamic.
Pietro il Grande est le septième opéra de Donizetti
et son premier ouvrage d'esprit comique aux importantes proportions, Una
Follia et Le Nozze in villa, étant en effet en un acte.
On retrouve sans surprise, comme style musical, l'air du temps
obligatoirement rossinien, adopté par tout opéra italien
de l'époque. L'auditeur attentif percevra pourtant, au détour
d'un accord orchestral plus alangui ou dans certains abandons de la ligne
vocale, cette typique veine mélancolique ou au moins sentimentale
que Donizetti fera sienne et insufflera de plus en plus à ses opéras-bouffes.
Ce mélancolique sourire musical s'imposera du reste comme nouvel
air
du temps, "respiré" par des contemporains que nous commençons
à mieux connaître, comme Luigi et Federico Ricci, Lauro Rossi,
notamment avec son délicieux Il Domino nero... A ce propos,
on goûtera particulièrement, outre les soupirs d'amour, ce
duo du second acte dans lequel la brave aubergiste tente, par des arguments
bien féminins, de plaider la cause du jeune menuisier auprès
de l'aigre magistrat. Comme l'évocation de leurs souvenirs communs
est talentueusement traduite en musique par Donizetti qui demande des discrets
mais suggestifs soupirs à ses instruments, colorant ainsi le morceau
d'une tendre ironie, délice de l'auditeur !
Donizetti se montre habile concepteur, comme le remarqua la critique
de l'époque car son Pietro il Grande "fonctionne" (le mot
manque de poésie mais est vraiment évocateur...) de bout
en bout, riche en personnages et en rebondissements.
On découvre d'abord avec stupeur que l'agréable et élégante
ouverture dure trois minutes de moins que son exécution en studio
réalisé par la Bongiovanni ! Supputant la coupure -eh oui
! cela existe même dans les ouvertures !- on compare, intrigué...
pour constater en fait qu'il s'agit d'une question de nervosité
de direction.
On est du reste saisi d'emblée par cette vivacité aimable
- mais sans précipitation - véritable ligne de conduite (c'est
le cas de le dire) du Maestro Marco Berdondini, dont on avait déjà
apprécié la précision et le scrupule théâtral
dans l'enregistrement de la première reprise moderne de Il
Paria. Après la sympathique Sinfonia initiale, il
attaque, sans plus nous laisser reprendre souffle, la vraiment séduisante
Introduzione,
à la saveur piquante mais chaleureuse, évoquant curieusement
le parfum du futur Fra Diavolo.
L'équipe de chanteurs réunie à Martina Franca se
laisse complètement convaincre par Donizetti et le Maestro Concertatore,
même si l'on sent que ces voix certes valeureuses, méritantes
et bien préparées techniquement, sont un peu "vertes ". Le
magistrat hautain, pédant, vain et quelque peu ridicule (comme son
nom : Ser Cuccupis), est par exemple incarné avec vérité
et justesse de ton par Giulio Mastrototaro. On ne peut lui reprocher d'être
un peu "jeune" (à tous les sens du mot) pour ce rôle demandant
le métier d'un vétéran de scène comme Renato
Capecchi, inoubliable dans un rôle similaire, mais plus humain et
sympathique, comme celui du titre de Il Borgomastro di Saardam,
précisément.
La voix du ténor Alessandro Codeluppi est mélodieuse mais
comme voilée, opaque et l'aigu "plafonne" vite ou se montre parfois
problématique mais se libère finalement et nous étonne
dans son air du second acte. Il est au centre de l'histoire et s'en révèle
le personnage principal, plus que le tsar donnant (parfois !) son nom à
l'opéra, car ce "menuisier de Livonie (2)"
s'avère être le frère disparu de la tsarine. Dans le
rôle évidemment austère du souverain russe, la voix
de basse de Vito Priante, ayant déjà une certaine résonance
naturelle, convient évidemment au personnage.
On découvre avec surprise que l'aubergiste Madama Fritz possède
une partie vocale importante et d'autant plus délicate qu'elle oscille
entre deux tessitures permettant précisément de faire un
jeu de mots avec la dénomination consacrée de "mezzo-soprano"
!, difficulté assumée avec brio par Rosa Anna Peraino.
Rosa Sorice prête sa voix fraîche et agile à l'héroïne
proprement dite, Annetta Mazepa (fille du protagoniste de plusieurs opéras
dont celui de Tchaïkovsky), aimée par le jeune menuisier. Le
mezzo-soprano Eufemia Tufano complète plutôt efficacement
la distribution féminine dans le rôle un peu en retrait de
la tsarine Caterina.
Les rôles secondaires sont correctement tenus par le ténor
Vittorio Bari (même s'il possède curieusement lui-aussi un
timbre comme voilé), par le baryton sombre Claudio Sgura et la basse
Michele Bruno.
Le Choeur de Chambre de Bratislava, efficacement préparé
par Pavol Procházka, joue heureusement le jeu de la bonne humeur
et de la vivacité qui parcourent toute la représentation.
L'orchestre, à part une ou deux petites approximations -mais
nous avons affaire à du direct -, "pétille" bien et anime
efficacement telle phrase élastique plus largo ou tel soupir
du hautbois, laissant percer les prémices du style si tendre de
Donizetti, Il Grande ! Honneur au "Festival della Valle dëItria"
et à la firme Dynamic... à laquelle on peut pardonner son
choix -commode pour l'éditeur mais non pour l'amateur- d'indiquer
les "plages" par les premières paroles chantées qui ne "disent"
rien, surtout dans ces opéras méconnus, au lieu d'utiliser
les termes de la partition : aria, duetto etc. La présentation
de la plaquette est comme toujours simple mais sympathique et agréable.
Messieurs les Théâtres ou Festivals, Mesdames les Firmes
discographiques, il reste encore dans l'ombre Enrico di Borgogna, Chiara
e Serafina, Alfredo il Grande, Gabriella di Vergy (1ère version),
Gianni
da Calais (repris, mais par des amateurs et en anglais),
Buondelmonte
(travestissement de Maria Stuarda), et L'Ange de Nisida... et donc,
comme dit le proverbe, aussi bien en français qu'en italien : A
buono intenditor...
Yonel Buldrini
Notes
(1) Précision
de Maria Chiara Bertieri dans son article Pietro il Grande o il falegname
di Livonia ?, inclus dans la plaquette de l'enregistrement.
(2) Ancienne province
de la Russie, aujourd'hui partagée entre l'Estonie et la Lettonie
à laquelle elle a donné sa capitale, Riga, située
sur la Mer Baltique.
Commander ce CD sur Amazon.fr
Francesca%20di%20Foix" target="_blank">