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Giacomo PUCCINI (1858-1924)
EDGAR
(Version remaniée de 1905)
Drame lyrique en 3 actes
Livret de Ferdinando Fontano d’après le poème
dramatique d’Alfred de Musset La Coupe et les lèvres
Edgar, Placido Domingo
Fidelia, Adrianna Damato
Tigrana, Marianne Cornetti
Frank, Juan Pons
Gualtiero, Rafal Siwek
Coro e Orchestra dell’Academia Nazionale di Santa Cecilia
Alfredo Veronesi
2 Compact Disc Deutsche Gramophon 00289 4776102
CD 1 : 45’41 ; CD 2 : 37’47
Le phénomène Domingo
Certains opéras n’ont pas la vie facile. Ainsi, Edgar, deuxième opus lyrique de Giacomo Puccini, après avoir connu 4 remaniements (1)
de 1889 à 1905, a depuis disparu de l’affiche
malgré le succès remporté par ses petites
sœurs Tosca, Madama Butterfly ou Turandot. A croire qu’il n’y avait pas de place pour un garçon dans la famille. Manon Lescaut, La fanciulla del West et même La Bohème, drapée dans sa robe allégorique, le confirment d’ailleurs. Seul Gianni Schicchi déroge
à la règle, doublement même dans la mesure
où il s’agit de l’unique ouvrage comique du
compositeur.
Mais revenons à Edgar. Le livret, déjà, ne lui facilite pas la tâche. Inspiré du poème dramatique de Musset, La Coupe et les lèvres,
connu surtout pour son « Qu'importe le flacon pourvu qu'on
ait l'ivresse ? », il raconte l’histoire
invraisemblable d’un pauvre bougre, écartelé entre
deux femmes dont les noms parlent d’eux-mêmes :
Fidelia et Tigrana. Après s’être enfui et avoir
mené une vie de débauche avec la seconde, il
l’abandonne et tente de se racheter une conduite en
s’enrôlant dans l’armée. C’est alors que
les affaires se compliquent car Edgar a sauvé sa patrie ;
le peuple, qui le croit mort, procède en grandes pompes à
son enterrement. Au moment de l’oraison funèbre, un moine,
le visage caché sous la bure, surgit et révèle
à l’assistance horrifiée les turpitudes
passées du héros. Fidelia défend sa
mémoire. En vain, Tigrana, soudoyée par le moine, accuse
Edgar de trahison. Furieuse, la foule veut jeter le cadavre aux
corbeaux mais découvre avec stupeur que le cercueil est
vide. Le moine dévoile alors sa véritable
identité : il n’est autre qu’Edgar
déguisé. Il se repent. Fidelia se jette dans ses bras.
Leur bonheur est de courte durée ; elle tombe morte,
poignardée par Tigrana.
La musique, heureusement, contrebalance la faiblesse du propos en
laissant deviner les chefs d’œuvre à venir : Tosca (le chœur des paysans au premier acte), La Bohème (l’introduction du troisième acte, le trio final…), La Fanciulla del West et même Turandot
dans l’utilisation grandiose de la masse chorale. Le style du
compositeur s’affirme déjà : orchestration
luxuriante, facilité mélodique, harmonie par tons, tutti
fracassants. Autant d’ingrédients auxquels il manque
encore la recette du succès. Manon Lescaut surviendra 4 ans plus tard, le temps de trouver une certaine maturité.
A défaut, le passé reprend ses droits quand on entend au
premier acte, puis en leitmotiv au deuxième, le kyrie de la
Messa di gloria., composée dix ans auparavant. On s’amuse
au passage à reconnaître d’autres influences ;
on songe à Ponchielli, à Grieg (le début du
troisième acte encore) à Bizet, à Massenet…
Et l’on finit par s’abandonner au flot de la musique,
à son débit généreux, à ses
emportements lyriques qui, malgré soi, donnent des ailes.
Cette impression favorable, on la doit aussi, dans le
présent enregistrement, à la direction musicale
d’Alfredo Veronesi. Le chef d’orchestre parvient en effet
à donner au récit un semblant de dramatisme en
choisissant de privilégier les teintes violentes tout en
respectant les nuances et la magie des timbres. Ainsi
interprété, Edgar n’ennuie jamais même si,
revers de la médaille, il a tendance à lorgner du
côté de ses contemporains véristes quand
l’oeuvre s’inscrit plutôt, de par son sujet et son
traitement musical, dans une esthétique post-romantique.
Dans un souci de cohérence, involontaire ou non mais bienvenu,
les chanteurs adoptent le même parti pris. Juan Pons a-t-il
vraiment le choix ? Ses moyens actuels ne lui permettent pas de
traduire la noblesse du jeune Franck. Le timbre usé, le souffle
court, l’accent incertain l’obligent à favoriser en
premier lieu le théâtre plutôt que le chant. La
partition le gratifie pourtant d’un air de belle facture
« Questo amor, vergogna mia », dans lequel ici on
entend hélas plus le sermon d’un père à sa
fille qu’une déclaration d’amour
désespérée.
Marianne Cornetti, elle aussi, par son énergie et sa puissance,
dessine une Tigrana au couteau, par large aplat de couleurs vives. Le
rôle, conçu à l’origine pour une soprano
colorature, devint celui d’un mezzo-soprano au cours des
modifications de la partition (2).
L’écriture vocale s’en ressent à la
manière dont le registre aigu est sollicité, par exemple
au premier acte lors de l’altercation avec les paysans. La
cantatrice italienne en assume les écarts avec vaillance mais au
détriment d’une certaine volupté.
Face à elle, Adriana Damato attend la fin de
l’opéra pour atteindre l’angélisme
demandé par Fidelia. Auparavant, « O fior del
giorno » semble compassé : le duo avec Edgar la
montre gauche et crispée. Au troisième acte en revanche,
« Addio, mio dolce amor » puis
« D’ogni dolor questo è il piu gran
dolor » révèlent la lauréate de
l’édition 2003 d’Opéralia : voix
moelleuse et égale, aigus lumineux lancés piano puis
enflés délicatement sans jamais que la ligne ne se brise.
Placido Domingo, en ajoutant Edgardo à sa palette,
n’ajoute rien à sa gloire. Certaines notes paraissent un
peu forcées, l’intonation est souvent hachée, la
tension extrême au point de rendre le chant moins naturel, mais
l’éclat et la fièvre avec lesquels il habite le
personnage balayent toutes les réserves. Il confirme la position
exceptionnelle qu’il occupe dans l’histoire de
l’opéra, par sa longévité mais aussi par le
nombre incroyable de rôles qu’il compte à son actif
dans tous les répertoires et toutes les époques :
122 au total, de Hyppolite (3) à Lucero (4), d’après son site officiel.
En conclusion, un enregistrement à acquérir pour ceux qui
veulent découvrir Edgar sous un jour résolument
vériste, les autres continueront d’emprunter la voie
royale, celle tracée en 1977 chez CBS par Carlo Bergonzi et Renata Scotto (5).
Christope RIZOUD
Notes
(1) Edgar
fut créé le 21 avril 1889 à La Scala de Milan. L’œuvre comprenait alors
quatre actes. La fraîcheur de l’accueil qui lui fut réservé incita
Puccini à pratiquer l’année suivante d’importantes coupures. La version
remaniée, toujours en 4 actes, fut donnée pour la première fois à
Lucca, la ville natale du compositeur. Mais à nouveau elle fut jugée
trop longue. Ni d’une, ni deux, Puccini, avec l’accord de son
librettiste, supprima alors carrément le quatrième acte et aménagea le
troisième afin d‘assurer un minimum de cohérence dramatique. Cette
nouvelle version en trois actes connut un certain succès, à Ferrare
d’abord puis à Madrid surtout, en 1892. Mais elle ne convenait toujours
pas au maître qui, après avoir songé à éliminer le second acte pour
rétablir le quatrième, retailla encore largement la partition. La
version définitive fut représentée en 1905 à Buenos Aires.
(2)
Carmen de Georges Bizet n’est sans doute pas étrangère à cette
évolution. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de femmes
indépendantes, provocantes, soumises à leur seule sensualité. Il est
probable que Puccini ait ainsi voulu marquer leur ressemblance.
(3) Hyppolite et Aricie de J.P. Rameau (1733)
(4) Divinas Palabras de G. Abril (1997)
(5) Il existe une troisième intégrale
avec Julia Varady, Carl Tenner, Dalibor Jenis et Carlo Cigni, dirigés
par Yoel Levi en 2002 avec la Maîtrise, le Choeur et l’Orchestre de
Radio.
A signaler enfin une quatrième intégrale
enregistrée en 1971 par Carlo Felice Cillariola avec Veriano
Luchetti, Mietta Sighele, Bianca Maria Casoni et Renzo Scorsoni.
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