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Franz Schubert (1797 – 1828)

WINTERREISE

Thomas QUASTHOFF, baryton
Daniel BARENBOIM, piano

Enregistré le 22 mars 2005 à la Philharmonie de Berlin
1 DVD DG 00440 073 4049
83 minutes + 28 minutes de bonus



En voyage avec Thomas Quasthoff


Après plusieurs années passées à se courir après, Thomas Quasthoff et Daniel Barenboim, qui le souhaitaient depuis longtemps, ont enfin réussi à faire de la musique ensemble et ce DVD édité par Deutsche Grammophon, avec laquelle le baryton est lié depuis 1999 (en 1998, il avait déjà enregistré le cycle pour RCA avec Charles Spencer), est l’écho d’une soirée de mars 2005, à la Philharmonie de Berlin. L’écho, à plusieurs titres d’ailleurs, tant la qualité de la gravure laisse à désirer. L’image est moyenne et, surtout, un infime décalage entre le son et l’image ne parvient pas à se faire oublier au fil des 80 minutes du Voyage d’hiver.

Pourtant, quel document exceptionnel ! Thomas Quasthoff est un artiste d’exception. A 47 ans, ce personnage qui sort totalement de l’ordinaire, y compris car il ne mâche pas ses mots dans ses interviews (1), a atteint une forme de maturité qui donne un sentiment de travail accompli, de plénitude, en particulier évidemment dans les Lieder qu’il affectionne.

Avec Winterreise, Quasthoff nous raconte une histoire, d’un bout à l’autre. Si Gute Nacht est, en ouverture, un peu en deçà (les personnes qui ont assisté au concert racontent que la salle était, pendant les premières minutes, secouée de quintes de toux, une épidémie ayant sévi à Berlin à ce moment là… ce que le DVD ne permet heureusement pas de vérifier), le baryton est déjà complètement habité par la solitude et la tristesse du voyageur dans Die Wetterfahne. La voix est belle, dans tous les registres et en particulier dans le bas médium, chaud et riche, et les graves, particulièrement sonores (Irrlicht) ; les aigus, Quasthoff sait les alléger et les varier admirablement dans de belles demi-teintes. Le texte de Wilhelm Müller est impeccablement dit et l’histoire gagne l’auditeur, avec l’émotion. Le baryton allemand s’inscrit dans la lignée de Fischer Dieskau, par la finesse du jeu sur les mots, sur les couleurs, sur la ligne. On a dit ici tout le bien que l’on pouvait penser de l’impressionnant Winterreise de DFD, récemment édité par TDK. Mais, au fond, malgré le caractère complètement hors norme du personnage, Thomas Quasthoff réussit à donner le sentiment d’une plus grande spontanéité, et à tracer un portrait plus humain que son aîné, si inhumainement parfait. L’émotion est au rendez-vous et de longues secondes s’écoulent à la fin du cycle avant que Quasthoff, les yeux fermés, ne recueille une ovation méritée.

Son mérite est d’autant plus grand que, à mes yeux, il n’est pas aidé par Daniel Barenboim. A les entendre tous les deux, dans l’intéressant bonus, ils ne seraient certainement pas contents de lire ces lignes. Mais, défaut pour moi récurrent chez le pianiste chef d’orchestre, je l’ai trouvé extérieur au discours schubertien, un peu comme un accompagnateur de circonstance. Thomas Quasthoff fait ce qu’il peut pour introduire du lyrisme, du rubato… et Barenboim, lui, avance comme un métronome et souvent sur un tempo trop enlevé (Im Dorfe, Erstarrung), ce que Quasthoff lui fait quelques fois remarquer en répétition, dans les bonus. Passe encore dans Rückblick, dans die Post ou encore dans Mut ! où Schubert lui-même donne la pulsation et où l’entente entre les deux artistes fonctionne. Mais, dans die Krähe ou surtout dans le sublime Lindenbaum, Quasthoff tente désespérément d’instiller un peu de mystère tandis que son compère, lui, fonce mécaniquement.

Au total, malgré cela et malgré le gros défaut technique pointé au début de cette chronique – dont il faut espérer qu’elle soit limitée à l’exemplaire visionné -, ce DVD est un document exceptionnel pour tous les amoureux du chant et du Lied schubertien.


Jean-Philippe THIELLAY


(1) Dans une interview au quotidien Die Welt du 8 octobre dernier, au cours duquel il se grille une cigarette, il assume son goût de la musique pop et du jazz, son choix aussi de la famille – il vient de se marier - qui le conduit à se retirer des scènes lyriques (pas de Falstaff, pas de participation aux Tristan und Isolde et aux Parsifal prévus), et regrette le nombre d’apprentis chanteurs « qui ont de la moutarde dans les oreilles ».



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