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Albert ROUSSEL (1869-1937)

Les Mélodies

(intégrale)

détails

Ténor : Yann Beuron
 Soprano : Marie Devellerau
 Piano : Billy Eidi
 Flûte : Etienne Plasman
 Chef d'orchestre : Jean-Yves Ossonce
 Formation : Orchestre Philharmonique du Luxembourg

 Editeur : Timpani
 Qualité : DDD
 Enregistrement : 7/2001
 Parution : Janvier 2002


Des compositeurs français du début du XXe, Albert Roussel, reste encore de nos jours, le mal aimé et la liste bien mince de ses oeuvres disponibles au disque en est la preuve. Quelques pièces symphoniques (Ariane et Bacchus et Le festin de l'araignée en particulier) restent tant bien que mal au catalogue au coté de l'intégrale studio de Padmâvatî (Horne-Plasson, EMI). Pour les mélodies, le choix est encore plus réduit : un disque d'oeuvres avec orchestre (chez RCA, dirigé par Mercier et chanté par Gens et Le Roux) intéressant, mais loin d'être indispensable (les orchestrations n'étant pas, pour la plus part, de Roussel) et la truculente interprétation de quelques opus par Hugues Cuénod dans un récital (chez Nimbus Records, accompagné par Geoffrey Parsons) résistent seuls dans les bacs. L'ancienne intégrale EMI de 87 n'est plus disponible depuis bientôt 10 ans et on a du mal à la regretter : c'est l'une des plus ratées de la série EMI-Baldwin. Le grand pianiste accumule tempi routiniers, dynamiques uniformes et, c'est plus grave, fautes de texte ; Van Dam est peu investi, Mesplé plus chichiteuse que jamais, Ollmann très en voix, mais un peu en difficulté avec le français. Seul Alliot-Lugaz nous offrait quelques moment de pur bonheur ("Flamme, Adieux !"), grâce à l'infinie fragilité de son interprétation, la douce angoisse distillée par ce timbre trop tôt disparu des scènes et du disque. Pour qui connaît ce coffret bien pâle, la nouvelle intégrale parue chez Timpani sera une révélation. Cette musique qui paraissait si atone chez EMI, prend ici toute sa dimension.

Loin des jeux d'eau debussystes, de l'ironie ravélienne ou de la gouaille d'un Poulenc, ces oeuvres sont d'un lyrisme que seul Duparc, au siècle précédent, avait osé dans la mélodie. Le piano de Roussel est d'ailleurs, comme chez Duparc, le vrai égal du chanteur : élément, sentiment ou même personnage, il prend ici réellement part à l'action. Mais la comparaison avec Duparc s'arrête là ; au lyrisme brut et monolithique de son aîné, Roussel oppose une palette infinie de nuances et d'atmosphères. L'ordre chronologique du volume Timpani nous permet (avec le texte toujours aussi passionnant de Guy Sacre (*) dans le livret) de suivre l'évolution de l'auteur durant plus de trente ans de création. Les longs, et quelquefois un peu emphatiques, opus du début sur des poèmes de Régnier font vite place à l'économie de moyen des Odes anacréontiques ou des différents Poèmes chinois. Des 19 opus (plus d'un tiers de la production du compositeur), on connaît bien sûr quelques oeuvres majeures qui restent au répertoire des récitals : "Le jardin mouillé", "Les amoureux séparés", "Le bachelier de Salamanque" et bien sur la célèbre "Réponse d'une épouse sage". Mais ce disque nous permet de découvrir les autres merveilles d'un corpus d'une rare diversité.

Ce qui frappe dès la première écoute, c'est la pertinence de la distribution des mélodies : tout en gardant l'ordre de composition, chaque pièce est interprétée par l'un des trois chanteurs, bien sûr suivant les tessitures mais aussi, et c'est plus rare au disque comme à la scène, suivant le sens du texte ! Ce choix nous permet d'entendre, entre autres, les deux poèmes de Ronsard, pour flûte et voix, par un ténor et non plus un soprano léger, qui dénature ces textes éminemment masculins.

Les trois chanteurs nous éblouissent par leur maîtrise technique et leur diction parfaite, mais ce qui fait la richesse de cette intégrale, c'est leur approche respective, très différente, des mélodies. Laurent Naouri nous avait laissé un peu sur notre faim après un disque Poulenc chez Sony : une technique insolente, mais une interprétation un peu trop extérieure, pour ne pas dire monochrome. Ici, dès les deux premiers opus sur des textes de Régnier, on découvre un autre artiste, profond et sensible, à la fois maître de ses forte et de sensibles demi-teintes : enfin ce grand baryton français nous montre dans un même disque qu'il est un truculent Agamemnon chez Offenbach ET le plus génial Golaud de sa génération.

Yann Beuron est la grande découverte de ce disque. On connaissait ses incarnations magistrales à l'opéra, mais la facilité, le naturel avec lesquels il aborde ce répertoire, pourtant souvent boudé par les ténors, sont réjouissant. La voix est facile et claire, l'aigu solaire, l'articulation d'une évidence déconcertante. Sommet du disque, les deux mélodies avec flûte vous laisseront sous le charme.

La voix de Marie Devellereau est peut-être la moins immédiatement séduisante : des voyelles un peu trop ouvertes, des R légèrement trop roulés, une émission un rien pointue font paraître son interprétation un peu datée à la première écoute. Mais toutes ces réserves tombent devant l'innocence et la pureté avec lesquelles le jeune soprano égrène ces textes. Diaphane dans le "Jardin mouillé", délicieusement ingénue dans "A un gentil homme", elle sait aussi être grave dans "Odelette" et "Réponse d'une épouse sage" : on est rapidement conquis par tant de musicalité.

Mais tant de beauté ne serait rien sans l'interprétation superlative de Billy Eidi. On connaissait les affinités de ce pianiste avec la musique française (son dernier disque consacré à Déodat de Séverac, magistral, n'en est qu'une preuve supplémentaire), mais ici on ne peut que s'incliner devant un travail aussi fouillé des phrasés, des couleurs et des dynamiques. Toujours à l'écoute de ses chanteurs, il les accompagne quasi amoureusement et leur prépare des atmosphères, des paysages, des impressions musicales d'une subtilité extrême. La pluie sur le "Jardin mouillé", les vagues angoissantes de la seconde strophe d'"Adieux", le galop des vents des "Amoureux séparés", la touchante pudeur des dernières mesures d'"Odelette", les multiples reflets de l'âtre dans "Flamme" : on sent que chaque mesure de piano a été pensée en fonction du texte, de l'ambiance, de la tessiture du chanteur. Une telle perfection devient rare dans l'industrie du disque et on ne peut que la saluer, pourtant ce n'est pas ça qui rend l'accompagnement de Billy Eidi remarquable : ce qui étonne c'est son amour pour cette musique, l'étonnement permanent qui semble le saisir face à tant de beautés et que l'auditeur ressent à tout moment, comme un sous texte fascinant.

Après une année 2001 riche des beautés de Caplet et Poulenc, Timpani ouvre 2002 avec le plus bel opus d'une collection "mélodie française" décidément indispensable.
  


Jean Christophe Henry

(*) En savoir plus
voir le dossier de Guy Sacre sur le site Abeille Musique
 


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