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Antonio SALIERI (1750-1825)
LA GROTTA DI TROFONIO
Dramma giocoso en deux actes
Livret de Giambattista Casti
Olivier Lallouette : (Aristone)
Raffaella Milanesi : (Ofelia)
Marie Arnet : (Dori)
Nikolaï Schukoff : (Artemidoro)
Mario Cassi : (Plistene)
Carlo Lepore : (Trofonio).
Les Talens lyriques
Direction : Christophe Rousset
Enregistrement Opéra de Lausanne, 14 mars 2005
Ambroisie AMB9986. 2 CD 137minutes + DVD
La re-création de l’ouvrage par Christophe
Rousset sur la scène de Lausanne reçut un bel accueil
critique, y compris ici même.
On avait alors évoqué les cousinages évidents de
cet ouvrage, par l’argument, mais aussi certaines tournures
musicales, avec le Mozart de Don Juan (l’irruption des puissances infernales dans la comédie) et de Così fan tutte
(une fille sérieuse et l’autre légère, le
travestissement et l’échange de rôles), et plus
rarement mais de façon fondée avec le premier Beethoven
(dans les inquiétudes qui traversent la partition dans le
sillage du mage), et avec Rossini (dans la
légèreté pétillante et la vocalité
des airs de Doris). Dans le DVD de l’excellente équipe de
Camera Lucida qui accompagne le présent coffret, Christophe
Rousset replace tous ces étonnements dans le contexte viennois,
celui de la concurrence soigneusement suscitée par Joseph II
entre rien moins que Sarti, Paisiello, Martin y Soler, Mozart, Cimarosa
et Salieri. S’il est désormais évident qu’un
Salieri à qui échoient tous les honneurs n’a nul
besoin d’assassiner Mozart, il devient aussi évident,
à l’écoute de La Grotta di Trofonio,
que Mozart doit beaucoup à Salieri, et Da Ponte à Casti.
A l’époque des représentations initiales de La Grotta, Mozart s’attaque à l’écriture des Noces de Figaro,
Da Ponte se brouille avec Salieri, Casti travaille aussi avec
Paisiello… Que l’un fasse songer à l’autre et
réciproquement, quoi de plus naturel.
ll faut dire que Casti n’est certes pas Da Ponte et
n’atteint pas sa profondeur, mais ficelle assez bien
l’ouvrage : six personnages bien caractérisés,
le père assez compréhensif et conciliant, le mage,
ironiquement dépeint dans le but manifeste de se moquer des
« alchimistes » à la Messmer, les deux
filles et les deux fiancés, qui à la faveur de la grotte
magique échangeront d’un coup leurs caractères
avant que tout ne revienne à la normale. On est loin des
subtilités et des non-dits de Così,
mais enfin, cela permet de charpenter une matière musicale
efficace et volubile, avec des rôles bien typés aussi sur
le plan vocal (deux sopranos, deux ténors, deux barytons).
L’archétype de l’opera buffa
est habilement bousculé par les scènes où
apparaît le mage Trofonio, mais l’intérêt de
l’ouvrage tient surtout à l’habileté de
Salieri et à sa verve toute personnelle. Le recitativo secco
ancre encore la musique dans le baroque tardif, mais bien des moments
révèlent une écriture originale et tout sauf
passéiste : dans l’acte I, l’aria
d’Ofelia « Sallo in ciel » et ses accents
dramatiques, la préfiguration de la scène du Commandeur
(scène X) quand apparaît Trofonio, aussitôt suivie
de l’orchestration bucolique de l’air d’Artemidore
à la scène XI, la mobilité harmonique de l’arioso
d’Artemidoro à la scène XIV, le chœur quasi
maçonnique sur de longues pédales de basse de la
scène XV, et un finale en forme de course poursuite
irrésistible ; dans l’acte II la rupture agogique des
airs entre les deux jeunes filles que tout oppose et les mêmes
inversées par le passage initiatique dans la grotte,
l’extrême originalité de l’écriture de
la scène XXIV entre Aristone et le chœur des esprits, et
encore un finale unissant avec malice les métriques et allures
différentes de tous les personnages. Dans sa quête de
pépites, Cecilia Bartoli ne s’y est pas trompée,
qui a fait un sort apprécié à
l’irrésistible air d’Ofelia dans la scène
XIII de l’acte II (La ra la la ra la ra, Quel Filosofo
buffon !).
Christophe Rousset a construit l’édifice avec la
précision et la verve qu’on lui connaît. Manque
évidemment au disque le contexte scénique qui fut,
semble-t-il, pour beaucoup dans le triomphe lausannois. Mais on en
goûte sans réserves un plateau vocal idéal, aux
voix suffisamment amples et ductiles à la fois pour suivre les
méandres agiles de la partition et la ferme conduite de Rousset.
Tous sont excellents. La direction est dynamique, précise,
légère, incisive, et rend pleinement justice à la
richesse de timbres de l’œuvre.
Une pleine réussite.
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