Alessandro SCARLATTI
SEDECIA, Rè di Gerusalemme
Oratorio in due parti (1706)
; libretto di Filippo Ortensio Fabbri
Sedecia : Gérard LESNE
Anna : Virginie POCHON
Ismaele : Philippe JAROUSSKY
Nabucco : Peter HARVEY
Nadabbe : Mark PADMORE
IL SEMINARIO MUSICALE
Direction : Gérard
LESNE
Coffret de 2CDs Virgin Veritas
7246 5 45452 2 1 ; TT : 94'16
Enregistré du 2 au 6 novembre
1999
à l'Ecole Sainte-Geneviève
de Versailles.
Serions-nous en train de vivre une
Scarlatti Renaissance ? Certes,
l'expression peut sembler exagérée et prêter à
sourire - mais force est de constater qu'Alessandro Scarlatti, depuis quelques
années, gagne progressivement mais sûrement du terrain tant
dans les bacs des disquaires que sur les scènes, et ce dans des
réalisations de haute qualité. Après un enregistrement
proprement évènementiel de l'hallucinant
Il Primo Omicidio,
"thriller baroque" (comme le sous-titrait Harmonia Mundi) , placé
sous la direction de René Jacobs (et avec quel cast : Röschmann,
Croft, Fink, Oddone, Jacobs, Abete accompagnés par l'Akademie für
alte Musik Berlin !), et en attendant une
Griselda par le même
chef chez le même label (et avec la même soprano, Röschmann,
dans le rôle-titre) dont l'enregistrement est fixé à
novembre prochain (et dont berlinois et parisiens ont eu un fort alléchant
avant-goût scénique les deux saisons passées), voilà
que Gérard Lesne, éminent pionnier de ce répertoire,
nous propose le premier enregistrement mondial de
Sedecia, Rè
di Gerusalemme, oratorio nous contant la chute de Sédécias,
vaincu par Nabuchodonosor, qui tue devant lui son jeune fils Ismaele avant
d'ordonner l'aveuglement de Sédécias lui-même (catastrophes
auxquelles il faut, pour être tout à fait complet, ajouter
la mort de chagrin d'Anna, épouse de Sédécias, à
la perte de leur fils). Le traitement de ce sujet tiré de l'Ancien
Testament n'est pas sans préfigurer les oratorios bibliques de Haendel
de par le souffle quasi épique qui souffle sur une musique d'une
envoûtante beauté.
Pour servir ce bijou, Lesne s'est entouré d'une belle équipe
de chanteurs - point de stars comme chez Jacobs, mais des artistes inspirés,
qui s'écoutent avec un plaisir sans mélange et rendent justice
au génie scarlattien.
L'alto se taille par ailleurs la part du lion dans cet enregistrement,
puisqu'il endosse, avec élégance et une certaine prestance,
les armes du rôle-titre dont la musique lui va comme un gant. À
ses côtés, Viriginie Pochon déploie dans le rôle
de l'épouse de Sedecia, Anna, un timbre agréable et un chant
sensible et sobre, tandis que Peter Harvey et Mark Padmore campent respectivement
un solide Nabucco et un vaillant Nadabbe non dénué de charme
vocal.
L'intérêt principal - en dehors de la musique de Scarlatti
en elle-même- réside cependant à mon avis surtout
dans le choix de l'interprète d'Ismaele : l'alors très (très
très) jeune (il est toujours, d'ailleurs, mais à l'époque
- 1999 ! - il l'était sacrément) sopraniste Philippe
Jaroussky, qui a depuis conquis plus d'un mélomane sur diverses
scènes françaises, s'illustrant notamment ces deux dernières
années dans Catone in Utica et La
Verità in Cimento d'Antonio Vivaldi. Dès son premier
air, c'est un festival - timbre époustouflant de beauté et
de pureté, extraordinairement troublant (quasi féminin dans
l'aigu) et pulpeux aussi, ligne vocale superbement fluide, sensibilité,
raffinement : impossible de résister à cet extraterrestre,
qui par ailleurs s'offre le luxe d'une vocalisation aisée et d'une
diction claire. Si la tessiture extrèmement tendue et périlleuse
du rôle fait peur à l'écoute pour la sécurité
de ses cordes vocales qui semblent par moments soumises à rude épreuve
(espérons que le chanteur sera à présent suffisamment
sage pour ne plus s'aventurer vers de telles cimes), sachons cependant
gré à Lesne de l'avoir offert à un artiste si prometteur
- et qui, non content d'en avoir (plus ou moins) l'âge et les notes,
en aussi la candeur et le tempérament de martyr -, nous offrant
par la même occasion sa première prestation discographique.
Jaroussky, assurément, est doté d'une voix hors du commun,
mais, loin de se reposer sur les lauriers de ce qui pourrait n'être
qu'un phénomène vocal, n'en néglige pas pour autant
de faire marcher sa tête et parler son coeur. Tout simplement captivant.
Le Seminario Musicale accompagne tout ce beau monde avec attention et
élégance, visiblement motivé par le raffinement et
l'énergie d'une musique assez électrisante.
Une très belle découverte, donc, que ce Sedecia,
qui vient prouver une fois de plus, si besoin était, que l'on ne
peut décidément plus compter sans Alessandro Scarlatti !
Mathilde Bouhon
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