Flavio TESTI (né
en 1923)
SAÜL
Opéra en trois actes et
douze scènes
d'après le texte original
d'André Gide (1903)
Création mondiale
Saül : Vincent Le Texier,
baryton
La Reine : Annie Vavrille, mezzo-soprano
La Sorcière : Hanna Schaer,
mezzo soprano
David : David Galvez-Vallejo,
ténor
Jonathan : Fabrice Mantegna,
ténor
L'ombre de Samuel : Thierry Félix,
baryton-basse
Trois démons : Douglas
Duteil, Sybille Lievois,
Sarah Aristidou (solistes de
la Maîtrise de Radio-France)
Orchestre Philharmonique de Radio
France
Direction Massimo Zanetti
2 CD Naïve V 4988
La force de cette oeuvre fut
saluée
en ce lieu même par Sophie Roughol lors des concerts de sa création
mondiale (le 25 octobre, date de cet enregistrement). Constatons que la
captation présentée dans ces deux disques ne saurait nous
conduire à retrancher un mot à cette admiration. Ce n'est
pas peu dire, tant il est vrai que Testi a choisi une expression économe,
sinon aride : le support visuel, fût-il dépourvu de mise en
scène comme ce fut le cas en 2003, pouvait aider à surmonter
cette austérité générale. Or, la concentration
sur la musique permise par le disque permet d'en mesurer de manière
aiguë la puissance dramatique propre : l'aridité n'est pas
une pauvreté, mais une recherche de l'essentiel. Le figuralisme
relevé par Sophie Roughol impose ici son éloquence sobre
et compacte, souligné qu'il est par une tentation - jamais réellement
assouvie, et c'est heureux - du leitmotiv.
Le travail minutieux et les coloris extrêmement nuancés
de l'orchestre philharmonique de Radio-France savent faire émerger
les angles de cette musique, mais également ses irisations très
particulières, revendiquant sans honte un rôle de commentaire
et de suggestion psychologiques. Le lien entre l'orchestration et cette
volonté de description sonore des affects est attesté par
le refus des violons, dont Testi pensait qu'ils eussent introduit une dimension
lyrique hors de propos. Timbres sombres, donc, et recherche volontariste
de ce qui frotte et grince caractérisent cette partition.
Le disque accuse autre chose que la présence scénique
et charnelle porte à percevoir différemment : le texte lui-même.
Testi a violemment taillé dans les cinq actes de Gide, pour retenir
douze scènes. Mais pourquoi n'avoir pas réécrit ce
livret. Il est clair, en effet, que le livret de Gide ne regarde pas dans
la même direction que Testi : malgré l'âpreté
de son questionnement métaphysique, sexuel, moral, Gide n'est pas
Dostoievski. Il n'en a pas la verve, ni la violence. Le verbe gidien ici
ne se compare même pas au Gide des romans : il est tout empreint
de manières post-symbolistes, notamment de cette tendance à
dire sur le mode familier ou badin des choses qui se veulent profondes,
à étager les registres de langue, à démystifier
la grandeur tragique par l'emploi de raccourcis frappants mais artificiels
- Gide regarde certes vers Maeterlinck et vers le jeune Claudel, mais aussi
vers un certain théâtre à la fois métaphysique
et boulevardier oublié aujourd'hui. Le problème est que cette
phraséologie gidienne tire l'oeuvre vers le bas : elle fait irrésistiblement
résonner le souvenir de Debussy ou de Richard Strauss (Salomé,
notamment, presque exactement contemporaine de la pièce de Gide)
alors que Testi explore d'autres possibilités orchestrales et expressives.
Mais, tributaires de son livret, il concède beaucoup à une
esthétique fin de siècle qui le bride. Le Hérode de
Massenet resurgit parfois derrière le Saül de Testi...
Ce sera là notre seul vrai regret, que doit effacer la valeur
du plateau. Vincent Le Texier semble avoir chanté Saül toute
sa vie : il en possède l'autorité et les failles. Le reste
de la distribution convainc, malgré le caractère épisodique
et schématique des rôles féminins. Une mention toute
particulière pour le barbier de Richard Rittelmann, presque inquiétant.
Daniel Galvez-Vallejo, en revanche, semble trop mûr pour incarner
un David juvénile. Vétille au regard de cette courageuse
et passionnante création.
Sylvain FORT
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