Hector BERLIOZ
LES TROYENS
Yannis Kokkos, mise en scène,
décors, costumes
Patrice Trottier, lumières
Richild Springer, chorégraphies
Susan Graham, Didon
Anna Caterina Antonacci, Cassandre/Clio
Renata Pokupic, Anna
Gregory Kunde, Enée
Ludovic Tézier, Chorèbe
Nicolas Testé, Panthée
Laurent Naouri, Narbal/Le Grand
Prêtre
Mark Padmore, Iopas
René Schirrer, Priam/Mercure
Stéphanie d'Oustrac, Ascagne
Topi Lehtipuu, Hylas/Hélénius
Monteverdi Choir
Choeur du Théâtre
du Châtelet
Orchestre Révolutionnaire
et Romantique
John Eliot Gardiner
Enregistré
au Châtelet
en octobre 2003
Durée totale : 245 minutes
(+ documentaire : 56 minutes)
3 DVD Opus Arte
8 09478 00900 9
Un grand spectacle fait-il un grand DVD ? Si l'on aurait pu craindre
que le passage au petit écran (si grand soit-il) limite l'impact
d'une oeuvre avant tout grandiose, d'emblée il faut mettre de côté
nos appréhensions. D'un spectacle scéniquement inégal
et pas toujours inspiré, la caméra ne garde que les qualités.
Un nom suffit d'ailleurs à rendre ce coffret indispensable :
Anna Caterina Antonacci. Il est rare qu'une artiste, riche déjà
d'une carrière internationale, se révèle aussi complètement
et de manière aussi imprévisible dans un rôle qu'elle
transcende et qu'elle magnifie au point de se confondre avec lui. Comment
croire en effet que cette Cassandre aux allures d'Anna Magnani qui s'avance
lentement sur la scène plongée dans la pénombre, que
cette vierge visionnaire qui erre sans espoir durant la Marche troyenne,
que cette prophétesse maudite dont la mélancolie confine
à la neurasthénie dans le finale, ne soit pas Antonacci elle-même
? Tragédienne farouche et tendre, au chant implacable et halluciné,
elle hypnotise d'emblée le spectateur qui ne peut en détacher
les yeux.
Cassandre (Anna Caterina Antonacci)
© Marie Noëlle Robert
Oserons-nous l'avouer ? Tout le reste pâlit comparé à
cette tornade. Même Susan Graham, gênée par un costume
masculin qui étouffe sa féminité et sa sensualité,
met du temps à trouver ses marques en Didon. Mais magnifique et
souveraine déjà au quatrième, où le duo d'amour
hors du temps atteint une dimension cosmique digne de Tristan, le dernier
acte chauffé à blanc est à faire frémir et
pleurer. Autour de ces deux torches vives gravite une galerie de chanteurs
impressionnante, dont on retiendra l'Enée effacé et dépossédé
de son destin de Gregory Kunde, le Chorèbe plein de classe de Ludovic
Tézier, le Iopas aux nuances infinies de Mark Padmore ou encore
le Narbal autoritaire de Laurent Naouri.
En s'appliquant à scruter au plus près le jeu des interprètes,
la caméra parvient à nous faire pénétrer au
coeur du déchirement que vivent les personnages. Travellings, alternance
de plans et de prises de vue tentent - sans toujours y parvenir - de faire
le lien entre tragédie collective et drame individuel. Grande trouvaille
de la mise en scène, le vaste miroir incliné au fond de la
scène permet les effets les plus saisissants, notamment lors de
l'évocation du cheval de Troie par Cassandre.
Faute d'être véritablement inspirée, la mise en
scène de Yannis Kokkos parvient néanmoins à retrouver
ce souffle épique qui a tant fasciné et marqué le
jeune Berlioz. Toutefois, la grande disparité entre les deux parties
de líouvrage prive le spectacle díune réelle force et díune vraie
cohérence.
D'ailleurs, ce n'est pas dans la mise en scène mais plutôt
dans la direction survoltée de John Eliot Gardiner que l'on trouvera
drame, passion et théâtralité, aidé d'un orchestre
totalement acquis à sa vision de l'oeuvre, d'un choeur impeccable
de diction, d'homogénéité et d'investissement.
La seule question est de savoir s'il est encore aujourd'hui utile de
présenter Les Troyens dans leur exhaustivité ? Est-ce rendre
service à Berlioz que de donner l'intégralité des
ballets - issus de la tradition du Grand opéra - au détriment
du finale original, tronqué, et qui semble particulièrement
passionnant ? Fuit Troja. Stat Roma.
Sévag TACHDJIAN