Benjamin
BRITTEN
THE TURN OF
THE SCREW
Opéra en
un prologue et deux actes
Livret de Myfanwy
Piper
Prologue : Olivier
Dumait
The Governess :
Mireille Delunsch
Miles : Gregory
Monk
Flora : Nazan Fikre
Mrs Grose : Hanna
Schaer
Peter Quint : Marlin
Miller
Miss Jessel : Marie
McLaughlin
Mahler Chamber
Orchestra
Daniel Harding
Mise en scène
: Luc Bondy
Décors :
Richard Peduzzi
Costumes : Moidele
Bickel
Enregistré
en juillet 2001 au Théâtre du Jeu de Paume
Festival d'Aix-en-Provence
Durée totale
: 108 min
1 DVD Bel Air Classiques
3 760115 300088
Un tour d'écrou parfaitement huilé
On s'est déjà longuement extasié sur cette production
du Turn of the screw,
triomphalement créée au Théâtre du Jeu de Paume
en juillet 2001 et reprise à Vienne, Paris et Aix en 2005 ; il n'est
plus tant besoin de revenir sur la réussite d'un des spectacles
les plus aboutis du Festival d'Aix-en-Provence, mais plutôt de s'intéresser
au reflet qu'en propose aujourd'hui la publication en DVD.
A Aix, la subtile atmosphère d'intimité malsaine et d'inquiétude
pesante était en partie due au lieu même. Théâtre
à l'italienne de dimension modeste, le Jeu de Paume conférait
une proximité au drame tout en le baignant d'un faste décadent,
accentué par les ors et velours pourpres de la salle. Le DVD, voulu
comme un film, sans plans de la salle ni applaudissements finals, nous
fait pénétrer au coeur même des événements
dans une confrontation frontale avec les personnages, à la limite
du voyeurisme. La caméra glisse avec la fluidité du regard
mais aussi ses automatismes (plan large de la scène pendant les
changements à vue puis focalisation sur les personnages de l'action
- et pas forcément ceux qui chantent). La caméra rapproche,
cloisonne, oppresse. Elle privilégie certains détails (les
rapports dès le départ ambigus entre la Gouvernante et Miles)
mais ne renonce pas non plus à la beauté de certains tableaux
d'une incroyable poésie (variation III, première apparition
de Quint, etc.)
Les dimensions réduites de la salle ont été admirablement
exploitées : les nombreux plans en contre-plongée donnent,
à la manière du Procès de Welles, davantage
de poids à l'imposant dispositif scénographique de Peduzzi
dans lesquels les personnages semblent plus que jamais perdus et prisonniers.
Les décors, à la fois multiples et tous semblables (de vastes
parois blanches noyées dans la pénombre) se meuvent, se transforment,
s'entremêlent à l'image des sentiments de la Gouvernante au
début du second acte : "Perdue dans mon labyrinthe, je ne vois plus
la vérité. Je ne vois que les murs brumeux qui m'oppressent".
Cette diversité quasi cinématographique permet de rendre
totalement justice au travail de Bondy, dont l'atout premier était
justement d'explorer toutes les pistes de l'opéra de Britten. Histoire
de fantômes certes, le Turn of the screw est aussi un drame
psychologique, un récit d'apprentissage et la satire d'une bourgeoisie
victorienne qui substitue les valeurs familiales à celles de l'éducation.
Bondy sait comme peu de metteurs en scène passer d'une atmosphère
à l'autre : une porte qui s'entrebâille, une main qui apparaît,
une bougie qui s'éteint nous renvoient à nos terreurs enfantines.
Un chignon qui se défait de manière insignifiante finit par
suggérer l'attirance charnelle de la Gouvernante pour Miles en en
faisant un double de Miss Jessel. Les glissements se font insensiblement
et sournoisement, sans qu'on puisse déterminer à quel moment
le basculement s'est opéré.
Abandonnant sa frénésie habituelle, Daniel Harding se
prend lui aussi au jeu de cet écrou qu'il visse implacablement mais
avec une lenteur masochiste. Sensible à la poésie et au lyrisme
de la partition, il lui insuffle un mystère et un charme non dénué
d'une certaine perversité. Il glisse lui aussi insensiblement de
la candeur à la manipulation calculatrice et donne un sens, une
force à chaque scène, à chaque variation orchestrale.
Seul contre-emploi d'une distribution vocalement et scéniquement
impeccable, la Mrs Grose de Hanna Schaer, généreuse en décibels,
parvient à sauver la mise grâce à la sincérité
de son instinct maternel. Le couple d'enfants échappe au cliché
: Nazan Fikre dessine une Flora pleine d'aplomb et de caractère
alors que sous ses airs faussement angéliques le Miles de Gregory
Monk laisse planer le doute sur ses rapports réels avec Quint. Les
rôles de caractère vont parfaitement à la personnalité
de Marie McLaughlin. Son chant tout en nuance lui permet de dessiner une
Miss Jessel "ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente"
alors que Marlin Miller parvient, au contraire, à conférer
à la perversion de Peter Quint quelque chose de fascinant.
Figure de proue du Festival d'Aix depuis sa Poppée
en 1999, Mireille Delunsch est presque idéale en Gouvernante. On
a déjà loué la musicalité et la splendeur vocale
de son interprétation, critiqué un anglais plus d'une fois
approximatif pour ne plus s'y attarder. Ce que dévoile le DVD, c'est
une sorte d'intériorisation qui, à la scène, pouvait
passer pour des moments de baisse de tension, et qui se révèle
à l'écran d'une puissance dramatique saisissante. Les combats,
conflits et interrogations dont est en proie la Gouvernante apparaissent
alors avant tout d'ordre psychologique. La nouvelle de James, on le sait,
maintient, par sa focalisation même, le doute sur la réalité
de ses "fantômes" : véritables revenants ou fantasme issus
de l'imaginaire de la Gouvernante ? La narration à la première
personne ne permet pas d'y répondre. Interprète aux ressources
multiples, Mireille Delunsch parvient à suggérer cet aspect
essentiel du texte romanesque absent de l'oeuvre de Britten.
Loin d'être le simple témoignage d'un spectacle magistral,
cette parution est une réussite à part entière qui
ouvre de nouvelles perspectives sur le fascinant travail de Bondy et s'impose
dès à présent comme un des plus passionnants opéras
parus en DVD.
Sévag
TACHDJIAN
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