Gustavo terzo, un autre Ballo...
Un dossier proposé par Yonel Buldrini
 
...
[ Sommaire du dossier ]
 
 


  Un ballo in Maschera ou Gustavo terzo ?

Giuseppe Verdi


Disons-le d’emblée, les musicologues verdiens s’opposent à cette restauration qu’ils considèrent comme une usurpation, Verdi ayant finalement accepté la version se déroulant à Boston et intitulée Un Ballo in maschera. Les verdiens avancent le fait que Verdi tenait par dessus-tout aux situations, et qu’il a pu maintenir celles-ci dans le livret définitif de Un Ballo in maschera comme il l’a d’ailleurs reconnu lui-même, nous le verrons plus loin.

…Maintenir les situations, au prix, il est vrai, du sacrifice d’un certain faste ou brillant, que la cour d’un roi européen du XVIIIe était évidemment bien plus susceptible d’offrir que celle d’un comte gouverneur de Boston. Il faut croire que ce brillant n’était pas si essentiel puisqu’en 1870, l’unification de l’Italie provoquant la suppression des diverses censures, Verdi aurait pu revenir aux caractéristiques originales.

Pour ces musicologues profondément ralliés à la cause verdienne la « récupération » de ce Gustavo Terzo n’est donc qu’une simple « opération de commerce », s’inscrivant assez, il est vrai, dans la mode actuelle des retours à l’original…(ici, ce serait plutôt : retour à l’originel !). 

Il est vrai que ce type de recherches peut révéler des choses intéressantes : ainsi Parme a restauré et donné La Traviata dans la partition originale de Verdi et les différences sont parfois sensibles. La même ville a tenté une Norma avec des instruments dits « d’époque », le résultat est bouleversant… dans le sens de catastrophique !  Le velours bellinien des sonorités de l’orchestre disparaît, au profit de sons rêches, secs, agressifs : même la flûte sonne insupportable, remplaçant l’élégie romantique par des appels péremptoires à la manière d’un Lully, dans les ballets maniérés du style Louis XIV.

Dans ma discussion avec les musicologues verdiens, j’objectai l’intérêt pourtant évident de redonner les premières versions de Macbeth, Simon Boccanegra, La Forza del destino, Don Carlos. Mais, me répondirent-ils, ces versions existent et furent créées ainsi, par Verdi, tandis que Gustavo Terzo n’existe pas, ou seulement en ébauches abandonnées !  A ce compte-là, il faudrait également bouleverser Rigoletto et retrouver le projet originel intitulé La Maledizione et qui conservait les personnages de la pièce-source de Victor Hugo, à commencer par le roi de France François Ier…

Il ne s’agit pas de détrôner le « vecchio Ballo in maschera », comme disent les verdiens, ce « vieux Ballo in maschera, le seul et légitime approuvé par Verdi », mais de tenter une expérience, d’offrir une première mouture de la mise en musique d’un sujet ayant en son temps retenu l’attention du grand Compositeur.

Il faut en effet insister sur le fait que la partition originelle Gustavo III présente des modifications jamais exécutées car écartées par Verdi et l’intérêt de cette opération menée par le Théâtre de Metz réside par conséquent dans la première présentation en France de cette partition.

La transposition dramatique, c’est-à-dire des lieux, de l’époque, des noms et des costumes a souvent eu lieu car certaines mises en scène (en Suède, notamment !) avaient déjà tenu à « récupérer » l’ambiance suédoise, replaçant l’action à Stockholm, à l’époque de Gustave III et retouchant le livret aux endroits nécessaires…mais la musique originelle, primitivement prévue par Verdi, puis écartée, demeurait inconnue…et l’on ne savait même pas qu’elle existait ! 

Retrouver le Gustavo Terzo originel n’était pourtant pas chose simple, et les réviseurs ayant œuvré pour le compte de la Casa Ricordi, sur le manuscrit autographe de Verdi, furent confrontés à un obstacle de départ, pour ainsi dire.

En effet, si l’on retrouvait trace de la musique originelle de Gustavo III, même raturée et remplacée par celle composée pour Un Ballo in maschera, en bien des endroits, les modifications avaient conduit Verdi à remplacer carrément les feuillets par de nouvelles pages !  Les réviseurs constatèrent ainsi que le quart de la partition originelle n’existait plus : la reconstruction devenait alors hypothétique. Un providentiel document fut mis à dispositions par les héritiers actuels de Verdi, sorte d’ébauche de la main du Maestro mais ébauche signifie en l’occurrence une partition offrant deux ou trois lignes : « une partition orchestrale complète en contient environ trente », précisent les réviseurs. Par moments, l’ébauche est si fragmentaire qu’il n’est même rien possible de reconstituer !  Les réviseurs s’en félicitent même (!), notamment à propos du génial Finale de l’opéra, en reconnaissant : « l’absence d’indices sur la première version a été pour nous un soulagement ! ».

Leur conclusion se divise en deux approches qu’ils nomment « Intervention maximaliste » et « Intervention minimaliste ».

La première consiste à  reconstituer le plus possible de musique originellement composée pour le livret de départ Gustavo III. C’est la version choisie en septembre 2002 par l’Opéra de Gothembourg (Göteborg), en Suède, devenue ensuite un enregistrement commercialisé par la firme Dynamic, et c’est la version proposée par le Théâtre de Metz.

L’intervention « minimaliste » consiste à remplacer le livret de la version définitive Un Ballo in maschera par celui de Gustavo III (prévu à l’origine par Verdi), ne remplaçant la musique que lorsqu’elle est incompatible avec ce texte originel restauré.

Evidemment, il existe une troisième solution, énoncée par un un grand chef d’orchestre face au célèbre metteur en scène Margherita Wallmann qui voulait, à la Scala en 1957 (dans une production constellée d’étoiles : Giuseppe Di Stefano, Maria Callas, Ettore Bastianini), transposer l’action en Suède. Véritable gentilhomme musicologue, expert de l’opéra italien, mais péremptoire dans ses affirmations quand il les savait légitimes, le Maestro  Gavazzeni déclara : « Si Verdi s’est contenté de Boston, nous le pouvons aussi ».

La plupart du public ne connaissant pas l’enregistrement de Gothembourg découvrira donc cette musique originelle inconnue grâce au bel enthousiasme animant toute l’équipe du Théâtre de Metz. Ajoutons que la restauration messine sera plus complète qu’à Gothembourg où l’on choisit des costumes… contemporains !! n’osant pas (probablement pour cause de modernisme, une autre censure, par le fait !) opter pour les originaux… c’était pourtant l’occasion !

Yonel Buldrini

[ suite du dossier ]

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]