Disons-le d’emblée, les
musicologues verdiens s’opposent à cette restauration qu’ils considèrent comme
une usurpation, Verdi ayant finalement accepté la version se déroulant à Boston
et intitulée Un Ballo in maschera. Les verdiens avancent le fait que
Verdi tenait par dessus-tout aux situations, et qu’il a pu maintenir celles-ci
dans le livret définitif de Un Ballo in maschera comme il l’a d’ailleurs
reconnu lui-même, nous le verrons plus loin.
…Maintenir les situations, au
prix, il est vrai, du sacrifice d’un certain faste ou brillant, que la cour d’un
roi européen du XVIIIe était évidemment bien plus susceptible d’offrir que celle
d’un comte gouverneur de Boston. Il faut croire que ce brillant n’était
pas si essentiel puisqu’en 1870, l’unification de l’Italie provoquant la
suppression des diverses censures, Verdi aurait pu revenir aux
caractéristiques originales.
Pour ces musicologues profondément
ralliés à la cause verdienne la « récupération » de ce Gustavo Terzo
n’est donc qu’une simple « opération de commerce », s’inscrivant assez, il est
vrai, dans la mode actuelle des retours à l’original…(ici, ce serait
plutôt : retour à l’originel !).
Il est vrai que ce type de
recherches peut révéler des choses intéressantes : ainsi Parme a restauré et
donné La Traviata dans la partition originale de Verdi et les différences
sont parfois sensibles. La même ville a tenté une Norma avec des
instruments dits « d’époque », le résultat est bouleversant… dans le sens de
catastrophique ! Le velours bellinien des sonorités de l’orchestre disparaît,
au profit de sons rêches, secs, agressifs : même la flûte sonne insupportable,
remplaçant l’élégie romantique par des appels péremptoires à la manière d’un
Lully, dans les ballets
maniérés du style Louis XIV.
Dans ma discussion avec les
musicologues verdiens, j’objectai l’intérêt pourtant évident de redonner les
premières versions de Macbeth, Simon Boccanegra, La Forza del destino, Don
Carlos. Mais, me répondirent-ils, ces versions existent et furent créées
ainsi, par Verdi, tandis que Gustavo Terzo n’existe pas, ou
seulement en ébauches abandonnées ! A ce compte-là, il faudrait également
bouleverser Rigoletto et retrouver le projet originel intitulé
La Maledizione et qui conservait les personnages de la pièce-source de
Victor Hugo, à commencer par le roi de France François Ier…
Il ne s’agit pas de détrôner le « vecchio
Ballo in maschera », comme disent les verdiens, ce « vieux Ballo in
maschera, le seul et légitime approuvé par Verdi », mais de tenter une
expérience, d’offrir une première mouture de la mise en musique d’un sujet ayant
en son temps retenu l’attention du grand Compositeur.
Il faut en effet insister sur le
fait que la partition originelle Gustavo III présente des modifications
jamais exécutées car écartées par Verdi et l’intérêt de cette opération menée
par le Théâtre de Metz réside par conséquent dans la première présentation en
France de cette partition.
La transposition dramatique,
c’est-à-dire des lieux, de l’époque, des noms et des costumes a souvent eu lieu
car certaines mises en scène (en Suède, notamment !) avaient déjà tenu à
« récupérer » l’ambiance suédoise, replaçant l’action à Stockholm, à l’époque de
Gustave III et retouchant le livret aux endroits nécessaires…mais la musique
originelle, primitivement prévue par Verdi, puis écartée, demeurait inconnue…et
l’on ne savait même pas qu’elle existait !
Retrouver le Gustavo Terzo
originel n’était pourtant pas chose simple, et les réviseurs ayant œuvré pour le
compte de la Casa Ricordi, sur le manuscrit autographe de Verdi, furent
confrontés à un obstacle de départ, pour ainsi dire.
En effet, si l’on retrouvait trace
de la musique originelle de Gustavo III, même raturée et remplacée par
celle composée pour Un Ballo in maschera, en bien des endroits, les
modifications avaient conduit Verdi à remplacer carrément les feuillets par de
nouvelles pages ! Les réviseurs constatèrent ainsi que le quart de la
partition originelle n’existait plus : la reconstruction devenait alors
hypothétique. Un providentiel document fut mis à dispositions par les héritiers
actuels de Verdi, sorte d’ébauche de la main du Maestro mais ébauche
signifie en l’occurrence une partition offrant deux ou trois lignes : « une
partition orchestrale complète en contient environ trente », précisent les
réviseurs. Par moments, l’ébauche est si fragmentaire qu’il n’est même rien
possible de reconstituer ! Les réviseurs s’en félicitent même (!), notamment à
propos du génial Finale de l’opéra, en reconnaissant : « l’absence d’indices sur
la première version a été pour nous un soulagement ! ».
Leur conclusion se divise en deux
approches qu’ils nomment « Intervention maximaliste » et « Intervention
minimaliste ».
La première consiste à
reconstituer le plus possible de musique originellement composée pour le livret
de départ Gustavo III. C’est la version choisie en septembre 2002 par
l’Opéra de Gothembourg (Göteborg), en Suède, devenue ensuite un enregistrement
commercialisé par la firme Dynamic, et c’est la version proposée par le Théâtre
de Metz.
L’intervention « minimaliste »
consiste à remplacer le livret de la version définitive Un Ballo in maschera
par celui de Gustavo III (prévu à l’origine par Verdi), ne remplaçant
la musique que lorsqu’elle est incompatible avec ce texte originel
restauré.
Evidemment, il existe une
troisième solution, énoncée par un un grand chef d’orchestre face au célèbre
metteur en scène Margherita Wallmann qui voulait, à la Scala en 1957 (dans une
production constellée d’étoiles : Giuseppe Di Stefano, Maria Callas, Ettore
Bastianini), transposer l’action en Suède. Véritable gentilhomme musicologue,
expert de l’opéra italien, mais péremptoire dans ses affirmations quand il les
savait légitimes, le Maestro Gavazzeni déclara : « Si Verdi s’est contenté de
Boston, nous le pouvons aussi ».
La plupart du public ne
connaissant pas l’enregistrement de Gothembourg découvrira donc cette musique
originelle inconnue grâce au bel enthousiasme animant toute l’équipe du Théâtre
de Metz. Ajoutons que la restauration messine sera plus complète qu’à
Gothembourg où l’on choisit des costumes… contemporains !! n’osant pas
(probablement pour cause de modernisme, une autre censure, par le fait !)
opter pour les originaux… c’était pourtant l’occasion !
Yonel Buldrini
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