Pour comprendre la censure faisant
le malheur de l’opéra en Italie au XIXe siècle, il faut déjà connaître un peu ce
qu’était précisément cette Terre de l’Opéra à l’époque. On connaît l’expression
méprisante du prince von Metternich : « L’Italie ?… une expression
géographique », soulignant l’absence d’unité politique du pays, partagé en effet
en de nombreux états. En fait, ce morcellement faisait la richesse culturelle
d’un pays dont on découvre aujourd’hui encore les avantages, issus d’une
décentralisation extrême, suite logique de l’existence des nombreuses petites
capitales d’états, dont l’indépendance d’autrefois est encore attestée par la
présence de leurs intacts remparts !
Chacun de ces états disposait
d’une censure veillant à maintenir leur stabilité, mise en péril par les idées
égalitaires émanant de la Révolution française. La plus réactionnaire était la
Censure bourbonienne du Royaume des Deux-Siciles, qui massacrera le pauvre
Gustavo Terzo de Verdi. La Censure pontificale opérait sous le couvert
sacré des Etats du pape… La Censure autrichienne veillait activement à étouffer
tout ferment libertaire pouvant soulever les territoires occupés de Lombardie et
Vénétie, et véhiculés par un art populaire entre tous : l’opéra, si cher au cœur
des Italiens.
Pour avoir une idée de la
toute-puissance de la Censure, telle que Verdi la subira, il suffit de se
plonger dans deux cas extrêmes, valant vraiment la peine d’être reportés.
En 1834, cinq ans avant le premier
opéra de Verdi, le pauvre Donizetti avait dû métamorphoser sa Maria Stuarda,
interdite par la censure bourbonienne le soir de la générale (!!) et l’adapter
en toute hâte en Buondelmonte, avec la grande scène sublime de la Prière
des Écossais, lorsque Maria fait ses adieux à ses fidèles sujets éplorés,
transformée en scène de conjuration scellant la haine de deux familles
florentines du XIIIe siècle !
Plus tard encore encore, en 1841,
alors que Verdi travaillait à Nabuccodonosor Donizetti devait encore
souffrir le cas de Maria Padilla, rôle-titre de la vibrante maîtresse du
roi de Castille qui lui avait promis le trône mais en épouse une autre, si bien
qu’elle fait irruption dans la salle du trône et arrache la couronne à Bianca di
Francia qui s’évanouit, avant de se tuer sous les yeux horrifiés de tous ! Eh
bien la censure autrichienne (l’opéra devait être créé au Teatro alla Scala de
Milan), imposa que Maria Padilla meure… de joie ! Le malheureux Donizetti
était tellement désespéré, qu’il remania son Finale : plutôt qu’un tragique
ridicule et saugrenu, il adopte à contrecoeur une fin heureuse, bien moins
frappante au point de vue de l’impact dramatique, mais plus plausible. (Le roi
reconnaît et accepte Maria Padilla comme épouse : elle triomphe, sur toile de
fond du mécontentement de la délégation française).
Au moment de créer le 21e de ses
vingt-six opéras, qui nous occupe pour l’heure, Verdi s’est déjà « frotté » à la
censure et en deux circonstances, surtout. En 1850, il donnait Stiffelio,
belle œuvre connaissant de nos jours un juste regain de faveur. Si on laissa
passer l’immoral adultère d’une épouse de pasteur, on censura la scène dans
laquelle elle lui demande d’entendre sa confession ! Au point culminant d’un
duo fort poignant, elle s’écrie, en effet, avec déchirement : « Ministro !…
confessatemi ! ». Une confession sur scène ! chose impensable ! la censure
imposa les fades paroles : « Rodolfo, deh ! ascoltatemi. » (Rodolfo, Ah !
écoutez-moi. ».
Le dernier tableau se passe dans
un temple protestant, et le pasteur doit symboliser son pardon en citant, du
haut de sa chaire (!) les paroles bibliques de la « première pierre ». Cette
fois, c’en était trop, la censure supprima ce tableau et l’opéra fut créé ainsi
mutilé !
Le cas de La Maledizione ou
de Il Duca di Vendôme est plus connu… mais quels sont ces opéras ? dira
notre aimable lecteur, étonné. Ce sont les anciens titres de ce qui aurait dû
être Il Re si diverte, traduction du titre hugolien de Le Roi s’amuse,
mais révélant trop l’ignominie d’un souverain libertin ! Voilà pourquoi un
obscur duc de Mantoue prend la place du fameux François Ier, roi de France ! (On
a reconnu Rigoletto, bien sûr).
Yonel Buldrini
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