Gustavo terzo, un autre Ballo...
Un dossier proposé par Yonel Buldrini
 
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  Cette ridicule mais toute puissante Censure.

Jussi Björling en Gustavo terzo... heu en Riccardo !


Pour comprendre la censure faisant le malheur de l’opéra en Italie au XIXe siècle, il faut déjà connaître un peu ce qu’était  précisément cette Terre de l’Opéra à l’époque. On connaît l’expression méprisante du prince von Metternich : « L’Italie ?… une expression géographique », soulignant l’absence d’unité politique du pays, partagé en effet en de nombreux états. En fait, ce morcellement faisait la richesse culturelle d’un pays dont on découvre aujourd’hui encore les avantages, issus d’une décentralisation extrême, suite logique de l’existence des nombreuses petites capitales d’états, dont l’indépendance d’autrefois est encore attestée par la présence de leurs intacts remparts !

Chacun de ces états disposait d’une censure veillant à maintenir leur stabilité, mise en péril par les idées égalitaires émanant de la Révolution française. La plus réactionnaire était la Censure bourbonienne du Royaume des Deux-Siciles, qui massacrera le pauvre Gustavo Terzo  de Verdi. La Censure pontificale opérait sous le couvert sacré des Etats du pape… La Censure autrichienne veillait activement à étouffer tout ferment libertaire pouvant soulever les territoires occupés de Lombardie et Vénétie, et véhiculés par un art populaire entre tous : l’opéra, si cher au cœur des Italiens.

Pour avoir une idée de la toute-puissance de la Censure, telle que Verdi la subira, il suffit de se plonger dans deux cas extrêmes, valant vraiment la peine d’être reportés.

En 1834, cinq ans avant le premier opéra de Verdi, le pauvre Donizetti avait dû métamorphoser sa Maria Stuarda, interdite par la censure bourbonienne le soir de la générale (!!) et l’adapter en toute hâte en Buondelmonte, avec la grande scène sublime de la Prière des Écossais, lorsque Maria fait ses adieux à ses fidèles sujets éplorés, transformée en scène de conjuration scellant la haine de deux familles florentines du XIIIe siècle ! 

Plus tard encore encore, en 1841, alors que Verdi travaillait à Nabuccodonosor Donizetti devait encore souffrir le cas de Maria Padilla, rôle-titre de la vibrante maîtresse du roi de Castille qui lui avait promis le trône mais en épouse une autre, si bien qu’elle fait irruption dans la salle du trône et arrache la couronne à Bianca di Francia qui s’évanouit, avant de se tuer sous les yeux horrifiés de tous !  Eh bien la censure autrichienne (l’opéra devait être créé au Teatro alla Scala de Milan), imposa  que Maria Padilla meure… de joie !  Le malheureux Donizetti était tellement désespéré, qu’il remania son Finale : plutôt qu’un tragique ridicule et saugrenu, il adopte à contrecoeur une fin heureuse, bien moins frappante au point de vue de l’impact dramatique, mais plus plausible. (Le roi reconnaît et accepte Maria Padilla comme épouse : elle triomphe, sur toile de fond du mécontentement de la délégation française).

Au moment de créer le 21e de ses vingt-six opéras, qui nous occupe pour l’heure, Verdi s’est déjà « frotté » à la censure et en deux circonstances, surtout. En 1850, il donnait Stiffelio, belle œuvre connaissant de nos jours un juste regain de faveur. Si on laissa passer l’immoral adultère d’une épouse de pasteur, on censura la scène dans laquelle elle lui demande d’entendre sa confession !  Au point culminant d’un duo fort poignant, elle s’écrie, en effet, avec déchirement : « Ministro !… confessatemi ! ». Une confession sur scène !  chose impensable !  la censure imposa les fades paroles : « Rodolfo, deh !  ascoltatemi. » (Rodolfo, Ah !  écoutez-moi. ».

Le dernier tableau se passe dans un temple protestant, et le pasteur doit symboliser son pardon en citant, du haut de sa chaire (!) les paroles bibliques de la « première pierre ». Cette fois, c’en était trop, la censure supprima ce tableau et l’opéra fut créé ainsi mutilé !

Le cas de La Maledizione ou de Il Duca di Vendôme est plus connu… mais quels sont ces opéras ?  dira notre aimable lecteur, étonné. Ce sont les anciens titres de ce qui aurait dû être Il Re si diverte, traduction du titre hugolien de Le Roi s’amuse, mais révélant trop l’ignominie d’un souverain libertin !  Voilà pourquoi un obscur duc de Mantoue prend la place du fameux François Ier, roi de France ! (On a reconnu Rigoletto, bien sûr).

Yonel Buldrini

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